Intervention de Marie-George Buffet

Séance en hémicycle du 21 mars 2016 à 16h00
Création architecture et patrimoine — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine aura connu un parcours marqué de belle façon par le travail des parlementaires, à l’écoute des attentes des hommes et des femmes de culture et de leurs organisations représentatives.

Sur tous les bancs de notre assemblée, nous avons réagi à un projet initial du Gouvernement timide dans son champ d’application et porteur de peu d’ambition. Après les nombreuses interrogations, voire déceptions du monde des arts et de la culture, nous avons pu assurer une meilleure prise en compte des attentes exprimées lors des auditions. Je veux ici saluer tout particulièrement l’apport de notre rapporteur Patrick Bloche et des députés de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qui ont, à l’occasion d’un débat parfois contradictoire et passionné, mais toujours constructif et utile, cherché à répondre à une exigence : affirmer la place de la culture et du patrimoine dans notre combat pour l’émancipation humaine.

Nous ne sommes pas encore au bout du chemin pour parvenir à la grande loi à laquelle aspirent tous les professionnels et tous les citoyens et citoyennes qui ont à coeur la culture et son rayonnement, mais nous n’en sommes pas loin, et je suis certaine, madame la ministre, de votre apport et de votre soutien dans cet effort.

Mais revenons au texte ici en débat.

Ses articles premiers indiquent : « La création artistique est libre ainsi que sa diffusion ». L’inscription de ces droits dans la loi est-elle nécessaire ? Qui peut en douter, alors que de par le monde, on apprend ici qu’un poète est emprisonné, là qu’un film est interdit ou des médias réduits au silence ? Combien d’États bafouent cette liberté essentielle sans que cela nuise à leurs relations commerciales ou les fasse mettre au ban de la communauté internationale ?

Et devons-nous nous exonérer, en France, de nous interroger sur la liberté de création ? Nous avons vu récemment des films interdits sous la pression de groupes intolérants ou boycottés dans les pages culture de quotidiens sous la pression d’actionnaires. Cela n’est pas comparable, diront certains ; bien sûr, mais peut-on hiérarchiser la gravité des atteintes à la liberté de création ? Quel que soit le pays où s’exerce la censure, quelle que soit la violence de celle-ci, c’est à chaque fois la liberté des individus et la démocratie qui sont blessées.

En s’attaquant aux visiteurs du musée du Bardo à Tunis, aux spectateurs du Bataclan à Paris ou au site de Palmyre, le groupe Daech, comme dans d’autres moments sombres de notre histoire, s’attaque à la culture pour assassiner la liberté et asseoir sa domination par la terreur. La culture a en effet le pouvoir fantastique de faire partage, de permettre à l’humanité de s’émanciper en anticipant son futur à l’aune de ses besoins et de ses rêves.

Chers collègues, lors du débat sur la loi relative à l’indépendance des médias, nous avons mis en évidence les risques que faisaient peser sur la liberté d’expression des journalistes le pouvoir de l’argent et les dérives étatiques autoritaires. Nous y avons répondu par des mesures tendant à assurer l’indépendance des rédactions et la protection des sources – je veux saluer le travail de nos collègues Pouzol et Attard sur ce point.

C’est une des questions dont nous devrons débattre aujourd’hui : le poids de l’argent dans un secteur qui devrait en être libéré. Il n’est pas inutile de rappeler à cette occasion la résolution que nous avons adoptée en juin 2013, et qui confirmait à l’Union européenne notre attachement sans faille à l’exception culturelle. La culture n’est pas une marchandise, et ce projet de loi peut être un appui dans l’action nécessaire visant à placer la culture hors d’atteinte de celles et ceux qui voudraient la réduire à une source de rentabilité financière.

Quand nous parlons de culture, nous parlons de création, d’imagination, de réflexion, d’abstraction, d’anticipation, d’échange, que seuls des femmes et des hommes libres et indépendants sont en mesure d’accomplir. L’action de l’État et du service public en faveur de la création artistique et de sa diffusion est essentielle pour garantir les droits de chaque citoyen et citoyenne à l’accès à la culture et permettre aux créateurs et créatrices de disposer des soutiens nécessaires à leur activité. Oui, il est de la responsabilité nationale, donc de celle de l’État, de donner par la loi les moyens à la culture de vivre et de se développer. Les artistes, les créateurs et créatrices ne doivent dépendre ni du fait du prince ni de la seule générosité de mécènes avertis. Ils et elles doivent disposer de droits et moyens leur permettant d’exercer leurs arts et métiers. Si chaque citoyen doit avoir les moyens de bénéficier de son travail, il doit en effet aussi pouvoir accéder à une pratique artistique.

Permettez-moi, pour illustrer mon propos, d’exprimer la fierté de la ville de Stains d’avoir vu, avec Rod Paradot, un de ses jeunes couronné d’un César : cette ville est aussi un territoire d’intense activité culturelle au service du plus grand nombre.

Je me félicite donc du contenu de l’article 2, qui définit le rôle et les objectifs en matière de politique culturelle de l’État, à travers ses services centraux et déconcentrés, et des collectivités territoriales. Les personnels de ces services sont d’ailleurs mobilisés aujourd’hui pour pouvoir exercer ces missions. Les onze alinéas de l’article ne relèvent pas d’une loi bavarde, mais donnent la claire et complète définition des responsabilités de la puissance publique, avec, par exemple, l’inscription du parcours d’éducation artistique et culturel dans le code de l’éducation, la reconnaissance de la diversité de la création et des expressions culturelles, l’exigence d’équité territoriale ou encore le rôle des associations et de l’éducation populaire.

Cet article, qui porte sur les responsabilités de l’État, inclut l’audiovisuel. C’est une reconnaissance, car il s’agit d’un vecteur culturel pour le plus grand nombre et de l’un des outils importants de la création. Il était donc nécessaire de consacrer son rôle et ses missions dans la loi.

Madame la ministre, permettez-moi de revenir sur le contenu du texte s’agissant des professionnels du spectacle. Ils – et elles – restent peu servis par le projet de loi, alors que le Gouvernement s’est engagé auprès de leurs représentants à sécuriser les parcours professionnels des artistes et techniciens des métiers du spectacle. On ne peut complètement dissocier la loi que nous élaborons des actuelles négociations UNEDIC et du risque que fait peser le MEDEF sur les annexes 8 et 10 en disant sa volonté d’économiser 200 millions d’euros sur le régime des intermittents. D’ailleurs, ces derniers seront dans la rue jeudi prochain, à l’appel de leurs syndicats, pour exprimer leurs inquiétudes. Si le régime des intermittents est reconnu dans la loi – ce dont on peut se féliciter –, cela ne saurait suffire à assurer ni sa pérennité, ni les droits et garanties auxquelles devraient avoir droit chaque travailleur et chaque travailleuse.

Contrairement à la philosophie et au contenu de la loi « travail » à venir, ce n’est pas, là encore, de moins de réglementation que les artistes et techniciens du spectacle ont besoin, mais de droits et de garanties dans l’exercice de leurs métiers respectifs. Cela nécessite de légiférer pour faire reculer la précarité. Le spectacle ne peut vivre sans ses artistes et ses techniciens. Aussi je regrette que les amendements que nous avions présentés en première lecture n’aient pas été retenus.

Vous me permettrez enfin, sur ce sujet, d’inviter notre assemblée à aller au bout de la différenciation nécessaire entre les pratiques amateurs et les activités professionnelles des artistes. Le texte de la commission, déjà positif, peut encore être amélioré pour garantir un rôle et une place aux pratiques amateurs comme aux professionnelles. Nous avons présenté un amendement en ce sens ; vous en avez, madame la ministre, annoncé un autre issu de la concertation : nous avons hâte d’en prendre connaissance.

De même, notre commission a réintroduit dans le texte la version adoptée par notre assemblée sur l’archéologie préventive : très bien, mais des amendements gouvernementaux posent quelques problèmes. Aussi défendrons-nous deux amendements relatifs au champ d’intervention des collectivités territoriales et à la maîtrise d’ouvrage.

Enfin je veux saluer l’adoption, par la commission, d’un amendement que j’avais proposé sur le crédit d’impôt recherche – CIR – qui, touché par les sociétés privées d’archéologie préventive, a alimenté une spirale déflationniste des prix de l’archéologie préoccupante pour la viabilité financière du secteur comme pour sa capacité à faire prévaloir durablement, à travers le secteur public, la qualité scientifique des opérations, ainsi que l’avait indiqué notre collègue Martine Faure dans son excellent rapport. J’espère donc que, sur ce point, la position de la commission sera confirmée en séance.

Par ailleurs, madame la ministre, vous nous aviez indiqué que des propositions seraient faites concernant les salariés de l’INRAP à l’occasion de cette deuxième lecture : nous attendons vivement de les connaître.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la culture est au coeur des enjeux de la période tourmentée que nous vivons, car elle est à la source de cet esprit critique et de cette envie de création que les forces du déclin et de l’ignorance veulent nier. Soyons donc mobilisés pour la défendre. Le projet de loi qui nous est soumis peut être un élément de cette mobilisation ; c’est pourquoi les députés du Front de gauche, qui ont travaillé à l’enrichir, le voteront à l’issue de nos travaux.

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