Intervention de Bernard Pêcheur

Réunion du 2 mars 2016 à 16h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Bernard Pêcheur, président de section au Conseil d'état :

Je vous prie tout d'abord d'excuser M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État. Je parlerai aujourd'hui en mon nom propre, non au nom du Conseil d'État, même si certaines de mes réflexions sont assurément communément partagées au sein du corps auquel j'appartiens.

Il est toujours difficile de parler de la haute fonction publique, car c'est une réalité que l'on ne cerne pas bien, puisque la notion n'existe pas en tant que telle.

S'agit-il des emplois à la décision du Gouvernement ? Il s'agirait alors d'un tout petit vivier d'emplois, dont les limites sont définies par le décret du 24 juillet 1985. Il compte environ 550 agents au total : préfets, ambassadeurs, directeurs d'administration centrale et secrétaires généraux des ministères. Mais votre réflexion porte sans doute sur un champ plus large.

Dans une deuxième définition, la haute fonction publique pourrait recouvrir le périmètre des emplois pourvus en conseil des ministres, soit en vertu de l'alinéa 3 de l'article 13 de la Constitution, soit en vertu de l'ordonnance du 28 novembre 1958. Outre les emplois que je viens d'évoquer, ce périmètre englobe les membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes, des corps qui recrutent à la sortie de l'École nationale d'administration (ENA) ou des corps d'ingénieurs qui recrutent à la sortie de l'École polytechnique. Ce serait une façon plus exacte d'appréhender la réalité.

Peut-être la meilleure définition serait-elle cependant celle de l'encadrement supérieur, tel qu'il est défini à l'article 6 quater de la loi du 13 juillet 1983 et dans les décrets pris pour son application. Cette loi veille à la nomination équilibrée des hommes et des femmes dans l'encadrement supérieur. Les emplois concernés appartiennent aussi bien à la fonction publique de l'État qu'à la fonction publique hospitalière ou à la fonction publique territoriale.

De nature législative, cette définition permet sans doute une meilleure approche de la notion. Non seulement elle englobe les emplois de direction des trois fonctions publiques, mais elle s'étend également, au-delà des emplois du premier cercle – à la décision du Gouvernement – aux emplois fonctionnels de sous-directeurs, de chefs de service et de directeurs de services territoriaux de l'État. De nature fonctionnelle, elle revêt ainsi une dimension transversale par-delà les statuts d'emploi. Je ne me bornerai donc pas à parler devant vous de la fonction publique de l'État, mais évoquerai aussi la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale. Encore, pour être complet, faudrait-il ajouter, à ce cercle d'emplois fonctionnels, les corps-viviers issus des grandes écoles (ENA, X, INET).

Telles sont les définitions possibles de la haute fonction publique.

D'autres existent qui me semblent cependant plus imprécises et moins opérantes. Il en est ainsi des emplois hors échelle. Les évoquer reviendrait à définir les contours de la haute fonction publique par la rémunération, en se référant à l'arrêté du 29 août 1957 et à son barème. Ces emplois hors échelle ne concernent certes qu'une petite frange des agents publics, mais incluent des emplois relevant de l'enseignement supérieur et de la recherche ; cette approche par le niveau de salaire n'a donc pas d'intérêt en soi. Sans retenir forcément cette définition par la rémunération, j'évoquerai cependant la question salariale, qui importe aux hauts fonctionnaires comme aux autres.

Souvent, la presse se focalise sur l'ENA et sur les corps qui lui sont associés. Cette approche a le défaut d'être caricaturale et inexacte. La haute fonction publique et les grands corps de l'État ne sont pas seulement constitués d'anciens élèves de l'ENA. Votre problématique de recrutement, de formation et de carrière dépasse donc ce cadre.

Demandé par le premier ministre Jean-Marc Ayrault, le rapport sur la fonction publique lui a été remis le 5 novembre 2013. Son champ était large, puisqu'il s'agissait de dresser un bilan et d'établir une évaluation de l'état des fonctions publiques, en proposant éventuellement des évolutions, des réformes, éventuellement une revalorisation. Ce rapport n'avait donc pas pour objet principal la haute fonction publique, envisagée comme l'ensemble des titulaires des emplois supérieurs des trois fonctions publiques et des corps viviers correspondants.

J'y soulignais qu'une politique salariale ne peut se limiter à un gel des salaires. Il le faut et il le fallait ; mais, s'il existe, c'est qu'une sortie au gel des salaires existe aussi. Je ne pense pas qu'un État développé comme la France doit avoir une fonction publique – ou une haute fonction publique – sous-payée et sous-rémunérée par rapport à la situation dans des pays comparables ou par rapport au secteur privé. Or, depuis août 2010, les rémunérations sont gelées.

Le moment venu – et il appartiendra au Gouvernement de définir ce moment – il faudra procéder à des revalorisations y compris dans la haute fonction publique. S'agissant des reclassements et des requalifications de carrières, le Gouvernement a discuté avec les organisations syndicales d'un protocole relatif aux parcours professionnels, carrières et des rémunérations (protocole PPCR). Mme Lebranchu a décidé de le mettre en oeuvre, avec l'aval du premier ministre Manuel Valls. Mais ce protocole concerne les échelles de chiffre C, B et A, non la haute fonction publique. Il faudra donc poser la question s'agissant de cette dernière.

Je parlerai maintenant de mon expérience des dix dernières années, tant dans ses aspects positifs que négatifs.

Au sujet des recrutements dans la haute fonction publique, je soulignerai d'emblée un point positif. De 1998 à 2010, j'ai présidé l'École nationale supérieure de la police nationale. En 2006, à la demande du ministre de l'intérieur de l'époque, M. Nicolas Sarkozy, nous avons mis en oeuvre les premières classes préparatoires intégrées dans la police nationale. L'idée s'est avérée très féconde. Nous rattrapions ainsi des jeunes sortis des filières, mais satisfaisant aux conditions de diplômes, pour les préparer au concours de commissaire de police, mais aussi d'autres concours de la fonction publique et de la gendarmerie. D'emblée, des succès ont été enregistrés dans les différents concours.

À la suite de l'évaluation qui en a été faite, le principe a été généralisé pour toutes les grandes écoles administratives. C'est très positif. J'attire votre attention sur le fait qu'à l'École nationale supérieure de la police nationale, ces classes intégrées l'étaient effectivement, puisque les élèves y côtoyaient les élèves commissaires, dont ils partageaient l'internat. L'entrée ne s'y faisait pas sans une présentation individuelle au directeur et ils se trouvaient d'emblée dans le moule de la préparation au concours. Tant que ce caractère résidentiel peut être préservé, c'est une très bonne chose. Mais toutes les écoles ne disposent certes pas des mêmes capacités que l'École nationale supérieure de la police nationale à Saint- Cyr-au-Mont-d'Or.

S'agissant de l'organisation des carrières dans la haute fonction publique de l'État, la réforme territoriale de l'État a été l'occasion d'une petite révolution. Les administrations de l'État vivaient en effet sur un paradigme dépassé : aux administrations centrales revenaient prétendument les tâches nobles de conception, tandis que les « services extérieurs » n'étaient dirigés que par des cadres A nettement sous-classés par rapport à ceux qui auraient dû être leurs homologues en administration centrale, directeurs et chefs de service. La réforme territoriale a été l'occasion d'une inversion de tendance. Un décret de 2009 a institué un reclassement des directeurs territoriaux, désormais classés par groupes de responsabilité et élevés aux échelles D, C et B, échelles bien supérieures à celles qui prévalaient jusqu'alors en matière de rémunération. Cela semble tout à fait légitime vu leur niveau de responsabilité dans les territoires.

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