Intervention de Bernard Pêcheur

Réunion du 2 mars 2016 à 16h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Bernard Pêcheur, président de section au Conseil d'état :

Ces cadres à haut potentiel, qui ont vocation à occuper les emplois laissés à la discrétion du Gouvernement, ne viennent certes pas de la lune. Bien sûr, il lui est loisible de nommer des personnalités de la société civile ou du monde économique. Soit, mais en pratique, il nomme plutôt des spécialistes de l'administration, ce qui n'est guère choquant.

Cela pose la question des politiques ministérielles de gestion de l'encadrement supérieur, comme du caractère plus ou moins interministériel de cette gestion. Sur ce point, la circulaire du 10 juin 2015 est assez courte, claire et facile à lire. Elle attire l'attention sur le fait que les premières années de carrière des cadres supérieurs doivent faire l'objet de soins accrus dans chaque ministère. Dès la première année, un tutorat doit s'exercer. Cela peut sembler une évidence, mais ce n'en est pas une, car, le plus souvent, un chef de bureau ou un administrateur tout juste issu de l'ENA se retrouvait livré à lui-même. Pour ma part, je me souviens comment, après ma sortie de l'ENA le 1er juin 1976, je me suis retrouvé à la direction du budget, dès le 1er juillet de la même année, à exercer l'intérim de mon chef de bureau, parti en vacances. Une bonne formation est assurément un atout, mais j'étais seul et j'aurais préféré avoir un tuteur.

Au Conseil d'État, nous nous efforçons de désigner des tuteurs qui prennent pour un an sous leur aile les nouveaux arrivants, conseillers d'État, maitre des requêtes ou auditeurs. L'idée est simple, voire simpliste, mais elle gagne à être mise en oeuvre et chaque ministère est prié d'élaborer un plan managérial. Peut-être cela existe-t-il, à l'Assemblée nationale, pour les administrateurs ? Ce n'est en tout cas pas une mauvaise chose.

La circulaire demande aussi la mise en place d'une formation d'adaptation au premier poste. Par-delà cette formation, des cycles d'évaluation doivent permettre une revue de cadres et futurs hauts potentiels, pilotée par le secrétariat général du Gouvernement avec les directeurs concernés. Certes, cette idée existait déjà dans le passé, mais seulement à titre informel. Il convient donc d'accorder désormais de manière formelle la plus grande attention à la première nomination à un emploi fonctionnel. Car le vivier de hauts potentiels se prépare en amont, entre la sortie des grandes écoles et l'accès aux emplois fonctionnels.

Ce qui est le plus important dans cette politique, c'est qu'elle soit à la fois clairement à la main des ministres, mais que le premier ministre et les autorités interministérielles puissent mutualiser leurs viviers pour les emplois supérieurs. Sur ce terrain, il est d'ores et déjà possible de conduire des formations. Il en existe depuis vingt ans pour les directeurs. Une fois qu'ils sont nommés, ils suivent un cycle de management, sous la houlette de l'ENA. Mais tout cela manque de souffle.

Quant à la question sensible de savoir si l'ENA est nécessaire, ou s'il n'en faut pas, ou s'il faut la supprimer, je renverrai à l'exposé des motifs de l'ordonnance du 9 octobre 1945 qui a présidé à sa création. Écrit par Michel Debré, il pose des objectifs qui sont toujours actuels et pertinents. À sa lecture, il apparaît que le centre des hautes études administratives initialement prévu a manqué. L'ordonnance s'organise en effet autour de quatre grands pôles : l'ENA, les instituts d'études politiques, la direction de la fonction publique et le centre des hautes études administratives, ou CHEA. Alors que les trois premiers pôles fonctionnent bien, même si tout est perfectible, le CHEA n'a quant à lui existé que de 1947 à 1964, et fut formellement supprimé en 2007.

Cela ne veut pas dire qu'il ne se passe rien en matière de perfectionnement ou de formation continue de la haute fonction publique ; il suffit de consulter le rapport d'activité de l'ENA pour s'en convaincre : il y a énormément d'actions de formation continue en ce domaine. Mais, inexplicablement, alors que la sécurité et la justice ont leur institut de formation continue, et qu'il existe l'IHEDN et le CHEDE, il ne subsiste rien de tel pour l'administration généraliste, ce qui existait ayant précisément été supprimé officiellement par la loi du 31 décembre 2007. À titre personnel, je le regrette.

Les actions existantes mériteraient pourtant d'être fédérées et conçues dans un cadre plus global. Il y a des actions conduites dans les ministères, des actions conduits au niveau interministériel, des actions conduites à l'ENA, mais je trouve qu'un CHEA apporterait un cadre plus prospectif et plus ambitieux. Cela pourrait d'ailleurs nous amener à réfléchir à une coopération possible entre l'ENA et l'Institut national des études territoriales (INET), voire davantage. Faut-il en effet deux institutions différentes pour former des administrateurs généralistes ? Je mets de côté la fonction publique hospitalière, car elle s'attache à des activités de production. Cela apparaîtra toujours comme une absorption de l'INET par l'ENA, mais il s'agit pourtant aujourd'hui d'une évidence, et même d'une nécessité.

Ce CHEA ressuscité ou refondé aurait pour ambition de mettre en contact, à mi-parcours, dirigeants ou futurs dirigeants de l'État et des collectivités territoriales. N'ont-ils pas, aux yeux des usagers et de nos concitoyens, la vocation commune de l'intérêt général, de l'administration générale et de la gestion des affaires publiques ?

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