Intervention de Mathilde Berthelot

Réunion du 16 mars 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Mathilde Berthelot, responsable de programmes à Médecins sans frontières :

Je représente aujourd'hui Médecins sans frontières car notre président a dû partir en urgence au Yémen. Je suis pour ma part responsable des programmes pour notre organisation et je suis plus particulièrement l'action de MSF en Grèce et dans les Balkans ainsi que les actions en faveur des migrants en France. En raison de mon expérience de terrain ces dernières années, je suis aussi la personne référente pour les actions menées en Afghanistan, au Pakistan et en Palestine.

MSF intervient depuis plus de quatre ans en Turquie à la frontière syrienne, au Liban, en Jordanie, pays qui sont directement touchés par l'afflux de réfugiés. Il n'est plus possible de travailler directement en Syrie et les récents bombardements de plusieurs structures de soins est bien un indice de la gravité de la situation de ce pays.

La situation est aussi très problématique dans d'autres pays comme l'Afghanistan où les talibans, toujours très puissants, contraignent de nombreux Afghans à entamer une migration à l'intérieur de leur propre pays pour échapper à leur zone d'influence mais les pays voisins comme l'Iran ou le Pakistan se partagent l'accueil de 6 millions d'Afghans.

Concernant les réfugiés syriens, les pays qui sont le plus impactés par leur afflux sont surtout la Turquie qui en accueille 2,5 millions, la Jordanie ou le Liban où vivent un million de Syriens alors que le Liban compte 4 millions d'habitants. En comparaison, l'Europe doit faire face à un « fardeau » beaucoup moins lourd que ces pays limitrophes.

Pour l'année 2016, MSF prévoit deux actions principales en Grèce, une à Athènes pour mettre offrir un centre de soins primaires aux réfugiés et une autre pour le premier accueil des réfugiés concernant les iles de Samos et Agathonisi (Mobile Landing & Rescue Team) où nous accueillons, à l'arrivée des bateaux, 70 % des migrants qui débarquent . Nous avons fait le choix de travailler avec des pêcheurs locaux qui connaissent bien les dangers la navigation de cette zone qui est sujette à des courants violents et où la côte est parsemée d'ilots avec des récifs très accidentés. MSF va au-devant des embarcations de migrants qui sont souvent en perdition, le moment de l'accostage étant très dangereux alors qu'il n'y a plus de pilote dans ces embarcations.

Certains bateaux viennent s'échouer sur des ilots inhabités et peuvent rester plusieurs heures sans secours alors que leurs passagers sont mouillés et sans nourriture. Les équipes de volontaires vont donc aider les migrants qui arrivent en leur offrant des vêtements secs, et une aide matérielle. Actuellement grâce à l'organisation des volontaires et leur présence sur les réseaux sociaux, il arrive fréquemment que les candidats au voyage en mer via des passeurs contactent nos équipes pour signaler leur départ imminent et ainsi prévenir de leur future arrivée. C'est ainsi que nous accueillons une grosse part des arrivants sur ces deux iles situées très proches de la Turquie.

Les équipes en Grèce comprennent 41 personnes locales, 17 personnes venant d'autres pays européens et a représenté pour 2015 un budget de 1,6 million pour l'ensemble des sites grecs.

Au plan quantitatif, il y a eu en 2015 853.650 arrivées en Grèce (source International organization for migration, IOM), dont 55 % venant de Syrie, Afghanistan 25 %, Irak 11 %, Pakistan 3 % - Autres nationalités 6 %. Les hommes représentaient 54 % , les femmes 17 % et les enfants 29 %.

Pour 2016, on évalue à 131.847 les arrivées de janvier à début mars, plus 9 294 personnes arrivées en Italie, soit un total de 141 141 arrivées enregistrées, le nombre de familles étant en augmentation avec 36 % d'enfants. La proportion d'Afghans augmente aussi et ils représentent 30 % des arrivants. Le nombre de décès s'élève à 444 décès pour les premiers mois de 2016 alors que sur la même période en 2015 les arrivées étaient de 20 700 et les décès de 505 (Grèce et Italie).

Le dernier chiffrage datant du 11 mars évalue les arrivées à 146 652 et les décès à 455.

En raison de la décision de plusieurs pays de bloquer les frontières, la situation des migrants s'aggrave. A la frontière entre la Macédoine et la Grèce, à Idomenei, la situation a commencé à devenir critique en décembre avec la décision de ne laisser passer que les ressortissants syriens, irakiens et afghans et s'est encore détériorée avec les restrictions limitant les passages à 200 par jour depuis la mi-février. Selon le HCR, 44 500 personnes étaient bloquées en Grèce dont 11.000 à Idomenei, avec une estimation de 50.000 personnes bloquées d'ici fin mars.

Notre action en Grèce continentale se situe essentiellement dans le port du Pirée et nous projetons d'intervenir dans un centre de rétention à Corinthe et à Patras ainsi qu'à la frontière avec l'Albanie. Nous assurons surtout une prise en charge médicale de premier recours avec des campagnes de vaccinations par exemple, car les enfants sont très sensibles à certaines maladies, comme la rougeole, qui a aussi touché des adultes et même des volontaires de MSF. Nous assurons aussi des interventions en santé mentale grâce à l'aide de psychologues.

Vous m'avez interrogé sur le fonctionnement des hotspots.

Je ne connais pas tous les détails de la procédure administrative suivie mais si je me fonde sur les témoignages reçus, les réfugiés lorsqu'ils arrivent se font enregistrer et les modalités suivies ne sont pas très strictes (prises d'empreintes digitales non systématiques par exemple). Ensuite, comme les îles grecques ne disposent pas de structures d'accueil en dur, bien organisées beaucoup de migrants partent vers Athènes. Il faut se rendre compte du poids que représentent ces flux de migrants pour une île comme Agathonisi, où vivent habituellement 150 habitants et qui a été confrontée à 35000 arrivées.

Notre action a aussi consisté en des actions de sauvetage maritime en haute mer avec trois bateaux en Méditerranée, avec lesquels nous avons pu sauver 23.000 personnes. Les soins étaient données sur les bateaux et au total nous avons réalisé 100.000 consultations en mer et sur terre (Italie, Grèce, Balkans) avec des pathologies liées aux conditions de voyage très difficiles (Infections respiratoires, cutanées, blessures suite à des actes de violence).

Concernant notre action à Calais et à Grande Synthe, notre action s'est concentrée sur la fourniture d'abris et de soins de première urgence.

À Calais, nous avons tout d'abord construits quelques abris compte tenu des conditions de vie déplorables et l'association Médecins du monde nous a appelé à l'aide pour les soutenir dans l'organisation de consultations médicales. Nous avons ouvert un centre de consultations médicales, ouvert six jours sur sept, avec une activité de 150 consultations par jour (diarrhées, infections respiratoires, nombreux cas de gale) plus une forte mobilisation pour faire des vaccinations conte la rougeole notamment. Des consultations psychologiques et psychiatriques ont pu être proposées car certains traumatismes sont très difficiles à surmonter. Des maraudes médicales dans le bidonville ont été faites pour aider à recenser les cas les plus graves et inciter à venir consulter. Des avocats bénévoles ont pu aider à l'instruction des dossiers et à recueillir des témoignages pour les cas de violences. Il est incontestable que les réfugiés ont peur de porter plainte car ils doivent lever l'anonymat et certains craignent même de demander un certificat médical attestant les blessures suites à des actes de violence. Certains ont été confrontés à des violences policières ou venant d'individus extérieurs aux sites.

À Grande Synthe, 2.500 personnes vivaient sur le sur site Basroch début janvier. Notre action a d'abord consisté à améliorer l'hygiène avec installation de douches, WC, ramassage des déchets.

Les consultations médicales sont assurées en alternance avec Médecins du Monde et avoisinent 140 par semaine. La participation de l'organisation Gynéco Sans Frontières permettra de compléter la gamme de soins possibles et sera très importante pour inciter les femmes victimes de violences sexuelles à venir se faire soigner. Le centre de consultation devrait être repris par les médecins hospitaliers qui animent le réseau Permanence d'accès aux soins (PASS) au centre hospitalier de Calais, ce qui devrait alléger l'implication des médecins associatifs.

À partir de mars 2016, et à la demande de la municipalité MSF a organisé l'installation de 375 abris sur le site de La Linière, 126 WC, 66 douches, 6 rampes à eau (48 robinets), une buanderie (20 laves linges).

J'en viens maintenant à la présentation du message plus politique que voudrait diffuser notre organisation au sujet de la politique migratoire.

Les dernières négociations de l'Union Européenne avec la Turquie suscitent de très vives réserves. Le projet s accord avec la Turquie est en contradiction totale avec le droit d'asile et les droits humains car il reviendrait à organiser des expulsions arbitraires avec des refoulements collectifs vers la Turquie sans aucune garantie pour les populations à nouveau déplacées. MSF estime qu'il faut refuser tout système « d'échanges » proposé à la Turquie et avoir la plus grande vigilance sur l'attitude de la Turquie envers les nationalités non-syriennes. De nombreux témoignages font état d'emprisonnement pur et simple, de ressortissants africains notamment, dans des conditions tout à fait indignes.

Concernant les secours en mer, il faut accroitre les moyens publics et donner la priorité aux actions en urgence, le devoir d'assistance doit primer sur tout autre impératif. Il faut mieux anticiper les risques accrus à venir en Libye et aux abords de l'Italie. Les moyens des ONG atteignent leurs limites car les secours en mer coutent très chers.

MSF insiste sur l'urgence de revoir en profondeur la politique de l'Union Européenne en matière migratoire. Sans des canaux de migration légale, les réseaux de passeurs continueront à prospérer.

Nous insistons aussi pour que les pays évitent de renvoyer des migrants vers leur pays d'origine au mépris du danger que cela représente, comme le fait la Grande Bretagne avec les Afghans , considérant ce pays comme un pays « sûr », ce qui est vraiment cynique et traduit l'échec de la politique d'intervention des pays occidentaux dans ce pays.

Il faudrait vraiment arriver à accélérer les démarches avec les juges pour enfants afin que les mineurs isolés à Calais puissent au plus vite être autorisés à rejoindre des membres de leur famille en Angleterre. Aujourd'hui ces mineurs sont traités comme les autres enfants en danger alors que leur situation est très particulière et qu'une procédure spécifique devrait être poursuivie pour accélérer les contacts avec les autorités britanniques. Les centres d'accueil pour mineurs sont très insuffisants et bien souvent, les jeunes accueillis repartent très vite et risquent d'être à nouveau la proie des passeurs ou d'autres types de trafics.

Enfin, concernant l'attitude des autorités françaises et le camp de Grande Synthe, il faudrait éviter que les migrants soient renvoyés dans des lieux insécurisés et insalubres, alors même que des initiatives sont prises pour trouver des solutions. MSF attend avec inquiétude la décision du Ministère de l'intérieur au sujet des cabanons installés à Grande Synthe qui représentent tout de même un grand progrès. Les conditions d'accueil actuelles n'incitent pas les migrants à déposer des demandes d'asile en France. Il est essentiel de leur offrir la possibilité de faire une pause et de réfléchir à leur avenir pour qu'éventuellement ils renoncent à leur passage en Grande Bretagne et déposent une demande d'asile en France.

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