Intervention de Danièle Wozny

Réunion du 18 juillet 2012 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Danièle Wozny, responsable du pôle Patrimoine mondial de la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats du ministère des affaires étrangères :

Le pôle Patrimoine mondial, qui dépend de la Direction générale de la mondialisation, a été créé il y a à peine trois ans afin de mieux répondre aux nouveaux enjeux que représente la préservation du patrimoine dans un contexte de mondialisation. C'est un département de petite taille puisqu'il n'est composé que de quatre personnes.

Nous avons très vite compris, au sein du pôle, que le patrimoine ne peut plus être pensé qu'en termes de territoire, car il constitue un ensemble composé d'objets patrimoniaux mais aussi d'un environnement naturel, culturel et humain. Si les hommes ne sont pas pris en compte, il est évident que nous n'arriverons à rien – les exemples du Mali, de la Syrie et de différents pays du Moyen-Orient sont éloquents à cet égard.

Les nouveaux enjeux du patrimoine sont avant tout politiques. Nous assistons actuellement à un gigantesque trafic illicite d'oeuvres d'art en provenance de Syrie, du Yémen, d'Égypte, d'Irak, de Tunisie et, depuis la crise, de Grèce. Mais chaque pays est un cas particulier nécessitant des outils adaptés et la solution que nous envisageons pour un pays ne vaut pas pour les autres pays.

Preuve de l'aspect politique des enjeux, l'empressement des États à faire inscrire un grand nombre de sites, comme vous l'avez constaté récemment lors de la dernière session du Comité du patrimoine mondial qui s'est tenue à Saint-Pétersbourg.

Le pôle est un lieu d'interrogation. Nous y réfléchissons à toutes les questions que soulève la préservation du patrimoine. Nous cherchons notamment la raison de la sous-représentation du continent africain sur la liste des biens inscrits au patrimoine mondial. En effet, les biens africains représentent 9 % de la totalité des biens – mais 50 % des patrimoines en péril. Et ce n'est pas parce que l'Afrique manque de sites ou n'est pas capable de remplir les dossiers d'inscription puisque des experts internationaux rémunérés peuvent établir les dossiers à la demande des pays demandeurs. La question est donc ailleurs.

Autre aspect politique des enjeux du patrimoine, le retour des biens culturels, que l'on appelle communément restitution – mot que nous évitons car il pose en soi un problème. En la matière, chaque situation reflète le plus souvent la relation politique qui existe entre les États. Nous essayons de répondre au mieux, dans des délais souvent assez courts. Pour cela, nous avons mis en place une cellule interministérielle de veille, informelle, qui nous permet de rencontrer nos collègues des ministères de l'intérieur, de la justice, de la culture et des représentants des douanes en vue d'adopter des positions communes.

Les enjeux politiques du patrimoine s'accompagnent désormais d'enjeux économiques dans la mesure où il est devenu une promesse de retombées économiques. Soit, mais pour qui et au profit de qui ? L'expérience montre que si les habitants ne sont pas concernés, les sites périclitent, ce qui provoque l'effet inverse de ce que nous recherchions, à savoir leur valorisation. L'augmentation du prix des terrains incite les populations à déserter les villages et à rejoindre les périphéries urbaines, et alors seules quelques personnes se partagent les bénéfices de la valorisation du patrimoine.

Si les retombées économiques sont généralement liées au patrimoine culturel, nous assistons à un autre phénomène qu'il nous est plus difficile d'analyser : il s'agit du processus de patrimonialisation de certaines ressources naturelles qui n'avaient jusqu'à ce jour jamais été monnayées – par exemple les plantes médicinales. Un certain nombre de pays souhaitent qu'elles soient enregistrées comme des biens nationaux de peur de voir de grandes sociétés s'en emparer pour fabriquer des médicaments ou des produits cosmétiques, privant les populations de biens dont elles sont héritières depuis plusieurs générations. Il en va de même pour les pierres précieuses et les minerais. Ces phénomènes, plus récents, font l'objet de conventions internationales.

Notre département est par essence multidisciplinaire. Nous travaillons en collaboration avec nos collègues des ministères de la culture, de l'environnement, de la justice, avec d'autres départements du ministère des affaires étrangères et avec le Muséum d'histoire naturelle.

Mais revenons à la situation au Mali. Il y a quelques jours, nous avons réuni l'ensemble des conseillers culturels du réseau français à l'étranger afin de les sensibiliser à la question du patrimoine. Dans ce cadre, nous avons invité le directeur de la banque culturelle de Douentza, au nord du Mali, en plein Pays Dogon, afin qu'il nous parle de la banque culturelle qu'il dirige – il s'agit d'une banque de microcrédit, qui fonctionne un peu comme le Mont-de-piété. Les villageois y déposent un bien qui appartient à leur famille depuis longtemps et reçoivent en échange de l'argent pour développer un petit commerce ou une petite entreprise – chez les Dogons, les femmes s'investissent généralement dans l'agriculture, les hommes dans l'élevage. Ces biens sont placés dans un musée, ce qui permet de les inventorier et, en cas de fuite, de saisir Interpol et le Conseil international des monuments et des sites (Icomos).

Ce fonctionnement est très satisfaisant pour les populations car le musée devient très vite un centre culturel, ce qui représente un véritable atout pour leur village. Les villageois ont organisé leur autodéfense : ils sont armés et surveillent les environs, avec les effets secondaires que vous pouvez imaginer – je vous fais grâce des horreurs que nous a racontées M. Cissé.

Aujourd'hui le commerce a cessé et les fonctionnaires de l'État malien sont retournés à Bamako. Les habitants des 44 communes fédérés par la banque se retrouvent seuls. En l'absence de touristes, ils ne sont plus en mesure de verser les intérêts à la banque, ce qui a pour conséquence que celle-ci périclite et ne pourra bientôt plus continuer à fonctionner. Les habitants seront donc obligés de vendre leurs biens pour nourrir leurs enfants. Pourtant, pour que sa banque résiste pendant un an, M. Cissé évalue son besoin à 5 millions de francs CFA, soit environ… 7 500 euros !

De nombreux pays nous demandent assistance en vue de construire un musée national ou un musée des arts et traditions populaires. S'il est intéressant pour nous de mettre en place des coopérations entre des musées comme le Louvre ou le Quai Branly et les musées nationaux de grands pays, il nous paraît beaucoup plus important de répondre à la demande d'un musée national dans des pays comme la Birmanie ou la Tanzanie, qui comportent des minorités ethniques remuantes et où la création d'un musée d'art et des traditions populaires peut contribuer à régler les conflits.

Nous sommes là pour poser des questions, réfléchir et aider nos collègues en poste à analyser les demandes et à tenter d'y répondre par le biais d'une coopération, en évitant tout ce qui pourrait ressembler à une substitution, car celle-ci, comme vous le savez, coûte cher et a des effets néfastes.

J'en viens au cas de l'Égypte. Après la révolution égyptienne, les Égyptiens ont été tentés de reconstruire leur identité sur la base d'un patrimoine pharaonique qui leur avait été volé, selon eux par les gens au pouvoir. Nous assistons aujourd'hui à un autre phénomène : un certain nombre de factions islamiques, relayées par les médias de quelques pays arabes, présentent le patrimoine pharaonique comme un patrimoine païen qui aurait dû être détruit depuis longtemps et proposent de reconstruire l'identité égyptienne à partir d'un patrimoine islamique. Or, celui-ci est extrêmement riche et représente une multitude d'histoires et de courants tellement différents les uns des autres que l'on voit mal comment un consensus pourrait émerger autour d'un patrimoine islamique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion