Intervention de Armelle Guyomarch

Réunion du 18 juillet 2012 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Armelle Guyomarch, juriste :

Si la préservation du patrimoine dans les zones de conflit revêt une telle importance, c'est que le patrimoine est un facteur très important d'identification politique, souvent mis en avant lors de la construction de nouveaux États Nations. Lorsque survient un conflit, le patrimoine fait souvent l'objet de réappropriations, de destructions, de détournements, de vols et de trafics illicites, comme l'ont souligné la Direction générale des douanes ainsi que l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels du ministère de l'intérieur, qui travaille en réseau avec ses partenaires européens et internationaux. Nous nous félicitons que la France soit l'un des deux États européens à s'être doté d'un tel office.

Les différentes façons de prendre en otage le patrimoine ne font souvent aucun cas des populations – c'est le cas au Mali et en Syrie – alors même que ces populations fondent leur identité sur ce patrimoine, qu'il soit matériel ou immatériel. D'ailleurs l'un ne va pas sans l'autre. La destruction d'un patrimoine matériel s'accompagne souvent d'une atteinte au patrimoine immatériel, aux identités et à l'histoire qu'il véhicule.

Je salue l'avancée qu'a représenté en 2005 la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, dite Convention de Faro, qui a instauré la reconnaissance du droit au patrimoine. La Convention se réfère à la notion de communauté patrimoniale, ce qui suppose que la décision de protéger ou de valoriser un patrimoine culturel revient à la société civile, et non plus uniquement aux professionnels du patrimoine. La France a engagé le processus de ratification de la Convention de Faro. Notre département a été chargé par la direction juridique du Quai d'Orsay de mettre en place la procédure adéquate. Peut-on considérer que le droit au patrimoine, qui a été formalisé, après de longues discussions entre experts européens, dans la déclaration de Fribourg de 2007, est un nouveau droit de l'homme ?

Comment protéger le patrimoine culturel et intervenir lorsqu'il est atteint ?

La Convention de 1954 de l'UNESCO pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé constitue le principal cadre juridique du droit international en la matière. Cette convention, ratifiée par la France – ainsi que ses protocoles additionnels – a modernisé le code de conduite des armées, mis en place une méthode de tri des biens culturels et leur cartographie. Elle a créé une signalétique propre aux sites patrimoniaux – le fameux écusson bleu et blanc, repris le Comité français du Bouclier bleu. La Convention prévoit l'obligation de sauvegarder et de respecter les biens culturels. Le protocole additionnel de 1997 rend encore plus contraignantes les obligations des belligérants puisqu'il établit une responsabilité individuelle des auteurs de crimes contre la culture et insiste sur la nécessité de prendre, en temps de paix, des mesures préparatoires en vue de la sauvegarde des biens.

Mais la Convention de 1954 n'a pas été ratifiée par l'ensemble des États parties. C'est le cas de la Syrie et de certains États frontaliers du Mali comme la Mauritanie et l'Algérie.

En outre, parallèlement à la montée en puissance d'une organisation judiciaire internationale, le statut de la Cour pénale internationale prévoit que celle-ci sera compétente pour juger les personnes présumées avoir lancé des attaques contre des biens civils, mais aussi des biens consacrés à la religion, à l'éducation, à l'art, des monuments historiques, pour autant que ces bâtiments n'aient pas été utilisés à des fins militaires. De même, la Convention de 1954 appelle les États à faire en sorte que les zones de conflits se situent en dehors des sites patrimoniaux archéologiques. C'est ainsi qu'en Syrie, la reconnaissance par les différents commandements militaires d'événements relevant d'un conflit armé international a permis de préserver un certain nombre de sites archéologiques.

Comment agir avant, pendant et après le conflit ?

En amont, c'est-à-dire en temps de paix, il importe de prévenir les atteintes au patrimoine. Tout d'abord, en renforçant l'état de droit dans les secteurs de la police, de la justice et des douanes. Avec nos collègues des services de coopération et d'action culturelle et les chancelleries, nous nous efforçons de mettre en place un système pénal contraignant, de renforcer les compétences, de mener à bien des projets partagés avec nos homologues européens sur certaines zones géographiques, de développer des systèmes permettant d'unifier les bases de données patrimoniales.

En juin s'est tenue à Beyrouth une conférence régionale réunissant un grand nombre de professionnels du patrimoine d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Nos collègues libanais, égyptiens, jordaniens, palestiniens et yéménites nous ont exprimé leurs souhaits : disposer d'un système qui permettrait des échanges entre leurs bases de données informatiques, développer des filières professionnelles spécialisées dans le domaine du patrimoine et mener des politiques d'éducation au patrimoine.

Pendant le conflit armé, qu'il soit interne ou international, c'est la Convention de 1954 qui s'applique – mais ce n'est le cas ni au Mali ni en Syrie, en raison de l'application du droit humanitaire. Il s'agit de prévenir l'utilisation des biens culturels à des fins militaires et d'éviter qu'ils se transforment en objectifs militaires, d'éloigner les biens culturels meubles des zones de conflits et des objectifs militaires, et de recourir au marquage à l'aide de l'écusson bleu et blanc du Comité international du Bouclier bleu. Les conflits génèrent naturellement des dommages collatéraux – pillages, fouilles sauvages, déconstructions illégales – voire, comme c'est malheureusement le cas en Syrie ou au Mali, une épuration culturelle.

En aval, il convient de lutter contre les trafics illicites en développant, avec l'aide des représentants du marché de l'art, la traçabilité des biens culturels. Ce n'est pas chose aisée mais la France s'est dotée d'une législation rigoureuse en la matière. Il faut en outre renforcer la coordination entre les différentes banques de données, par exemple la base française Treima, la base italienne Leonardo et la base d'Interpol ; anticiper pour être capable de passer à l'action le plus rapidement possible et éviter ainsi une trop longue errance patrimoniale. Il faut enfin favoriser le retour immédiat des populations déplacées. C'est ce qu'il conviendrait de faire au Mali et en Syrie.

Face à la situation en Syrie, nous avons donc organisé une rencontre entre les différents professionnels du patrimoine et des antiquités du Yémen, de Palestine, de Jordanie, d'Égypte, du Liban. Ce séminaire, qui s'est tenu à Beyrouth durant trois jours, a abouti à la déclaration de Beyrouth dont l'objet est d'alerter le monde sur le devenir du patrimoine syrien. Nos collègues officiers de sécurité intérieure à Beyrouth et l'Institut français du Proche-Orient (IFPO) travaillent de concert avec leurs différents homologues européens pour lutter contre les trafics illicites.

Nous envisageons d'organiser en 2013 une conférence similaire pour évoquer la situation dans l'Europe balkanique où se développent les trafics illicites, dus en partie à la crise en Grèce. Un pôle de sécurité, initié par la France, sera mis en place à Belgrade. Magistrats, douaniers et policiers organiseront en réseaux professionnels leurs homologues macédoniens, serbes, croates et grecs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion