Je vais tenter de répondre à la première question que tout le monde se pose, et qui est relative à l'efficacité, ou plutôt au manque d'efficacité des conventions internationales.
Les appels pour le Mali se sont multipliés. Je me suis moi-même récemment rendue à Dakar pour rencontrer des collègues africains, et cette rencontre s'est conclue sur un appel pour le Mali. Mais entre-temps, des mausolées ont été détruits et des mosquées violées.
Nous nous rendons compte, en discutant avec nos collègues responsables de patrimoines, que le seul moyen de protéger un patrimoine – que ce soit au Mali ou au Liban – est de s'appuyer sur les populations qui vivent sur place. Car pendant que les forces étrangères, ou certains groupes, se mobilisent pour sauver le patrimoine, celui-ci se démolit.
Les populations sont les principales actrices de la protection du patrimoine. Il faut donc qu'elles soient les bénéficiaires de ce patrimoine et qu'il représente pour elles non seulement un environnement, mais un environnement dont elles sont fières.
Il faut ensuite anticiper, ce qui suppose que l'on inventorie les biens patrimoniaux. Or, dans la plupart des pays, les inventaires sont partiels – quand bien même ils existent. Ainsi, sur les 300 000 manuscrits du Mali, 3 000 seulement seraient inventoriés. Il faut préciser que, dans leur grande majorité, il s'agit de biens privés.
Dès l'instant où un inventaire existe, il devient possible d'assurer la protection du bien correspondant – police, douanes, communauté internationale. Il conviendrait donc que dans le cadre de nos opérations de coopération, nous aidions les populations à procéder à ces inventaires. Mais ce n'est pas simple, car les modèles d'inventaires de la France ou de l'UNESCO ne font pas forcément sens, en l'état, pour les populations dont le patrimoine est vivant. Ainsi, les habitants de la boucle du Niger, s'agissant d'un patrimoine vernaculaire, nous ont montré qu'ils avaient leur propre idée sur les biens qu'il fallait prendre en compte. Cela suppose de mener, en amont, un travail d'adaptation des inventaires.
Vous dites que les Maliens ont pris conscience de leur patrimoine. Dans ce patrimoine, les mausolées sont des lieux vivants qui abritent les esprits des ancêtres, les protecteurs de Tombouctou. La panique actuelle des habitants vient en grande partie de ce que cette chaîne ancestrale a été rompue et que les pires malheurs pourraient s'abattre sur la ville. Malgré tout, ces mausolées sont construits en terre et il est tout à fait possible d'aider les Maliens à les restaurer. Certaines institutions françaises disposent de toute une documentation et des plans précis des mausolées, et les maçons maliens sont tout à fait à même de procéder à cette restauration.
Nous pouvons donc agir. Mais nous devons aussi, dès à présent, préparer la phase qui suivra le conflit. Il ne doit pas s'écouler trop de temps entre le moment où la situation va se calmer et où les habitants pourront rentrer chez eux et retrouver leur village ou leur ville, tels qu'ils étaient auparavant – ou à peu près. Si le temps de vacance patrimoniale est trop grand, ces gens resteront à Dakar ou dans les pays frontaliers.
Avant même que les conflits n'éclatent, il faut former des cadres dans tous les pays et essayer de faire prendre conscience à nos partenaires de l'intérêt des métiers du patrimoine, lesquels sont créateurs d'emplois. Voilà pourquoi nous travaillons avec certains États, comme la Tanzanie, et avec des collectivités territoriales. Je pense à Rochefort qui, grâce à une politique patrimoniale très fine, a réussi à créer à peu près 300 emplois. C'est un exemple dont nous faisons la promotion, dans le cadre des partenariats que nous développons.
Nous veillons donc à renforcer nos coopérations. Mais nous nous heurtons à un problème de moyens. Comme vous le savez, nos budgets sont dramatiquement limités. Nous passons beaucoup de temps à chercher des financements, temps que nous ne consacrons pas à la coopération.
Le récent exemple de la banque culturelle est symptomatique à cet égard : 7 500 euros sont nécessaires pour que 44 communes continuent à vivre de façon à peu près sereine et parviennent à rembourser leurs emprunts. Nous nous appliquons à trouver cette somme, mais ce n'est pas si facile que cela, au sein du ministère des affaires étrangères.
L'un de vous nous a interrogées sur la Géorgie. Nous suivons la situation avec notre ambassadeur. Pour l'instant, nous sommes en train d'étudier le dossier et je ne sais pas encore ce que nous pourrons faire. Les pressions, du côté russe, sont énormes.