Intervention de Ericka Bareigts

Séance en hémicycle du 23 mars 2016 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Présentation

Ericka Bareigts, secrétaire d’état chargée de l’égalité réelle :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le drame du Rana Plaza en avril 2013 reste gravé dans nos mémoires. Il est le fait d’une absence de considération totale pour le respect des conditions de travail et des droits des travailleurs. Il aura fallu un drame pour réveiller le monde et nous faire prendre conscience de l’ampleur du chemin à parcourir en matière de responsabilité sociétale des entreprises – RSE. L’achat de vêtements, d’un téléphone, bref, de biens de consommation courante peut apparaître comme un acte banal : mais derrière se cache la réalité des chaînes de production dans des pays où s’approvisionnent les grands donneurs d’ordres et les importateurs.

Vous le savez, le Gouvernement français a réagi dès le lendemain de ce drame, notamment en saisissant son Point de contact national pour faire la lumière sur les responsabilités, en réalité partagées par les donneurs d’ordre, les fournisseurs, les autorités locales étrangères, jusqu’au consommateur final. Nous avons présenté des solutions s’inspirant des principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – à l’intention des entreprises multinationales : des mesures de diligence raisonnables, en particulier pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.

La société civile s’est, elle aussi, fortement mobilisée. Nous remercions vivement les initiatives des citoyens car elles jouent un rôle essentiel de mobilisation, permettant de progresser ensemble vers une mondialisation mieux régulée et des entreprises plus soucieuses de l’impact de leur activité sur les droits de l’homme et l’environnement.

Chacun doit soutenir cet engagement en matière de RSE et la France tout particulièrement. La Plateforme RSE – Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises – joue à cet égard un rôle essentiel de dialogue et de concertation associant l’ensemble des acteurs concernés au niveau national. Dans le secteur privé, les entreprises françaises réalisent de très bonnes performances en matière de RSE, comme le montrent de récentes études.

Forts de notre rôle d’avant-garde, nous nous employons à promouvoir la responsabilité sociétale des entreprises. Le rôle précurseur que notre pays a pu jouer aux niveaux européen et international en matière de transparence RSE, grâce à la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001, puis à la loi Grenelle 2 de 2010, l’a montré sans ambiguïté.

La France a également apporté une contribution décisive à l’adoption de la directive sur le reporting non financier par l’Union européenne le 22 octobre 2014. Cette directive fixe pour la première fois un cadre de transparence RSE au niveau européen et prévoit en particulier une transparence sur les procédures de vigilance mises en place par les grandes entreprises européennes au sein de leur chaîne de production.

La France a en outre été très active dans l’adoption le 26 juin 2014 de la première déclaration ministérielle sur la conduite responsable des entreprises multinationales, à l’occasion du forum mondial sur la RSE.

Enfin, le G7 a fait des enjeux sociaux et environnementaux dans les chaînes d’approvisionnement mondiales l’une de ses priorités. La France a joué un rôle particulièrement actif dans la promotion de cet agenda, qui permet de poursuivre nos efforts.

C’est dans cette démarche d’exemplarité française en matière de RSE qu’il convient d’inscrire les débats sur la proposition de loi soumise aujourd’hui au vote de votre assemblée.

Le Gouvernement est favorable à l’instauration d’un devoir de vigilance qui permette d’améliorer la détection et la prévention des risques liés à l’activité des grandes entreprises multinationales, en amont de tout dommage. La proposition de loi initiale sur le devoir de vigilance, déposée en 2013 par Philippe Noguès, Dominique Potier et Danielle Auroi, avait permis, au lendemain du drame du Rana Plaza, de faire écho à la mobilisation de la société civile et de démontrer la détermination du Parlement à renforcer la responsabilité sociétale des entreprises multinationales. Cette proposition de loi a eu le mérite de se saisir de ces enjeux importants.

Le Gouvernement partage pleinement l’objectif d’une vigilance renforcée dans les chaînes d’approvisionnement, en particulier auprès des sous-traitants, afin d’identifier les risques et de prévenir les accidents. Toutefois, la proposition de loi initiale soulevait de très sérieuses difficultés juridiques, notamment en termes de compatibilité avec les principes du droit de la responsabilité et les règles du droit international privé.

À cet égard, et même si certaines rédactions pouvaient sans doute être améliorées dans l’esprit du texte, la nouvelle proposition de loi, déposée par Bruno Le Roux, Dominique Potier et d’autres députés, et examinée par votre assemblée à partir de février 2015, qui vise précisément à résoudre les difficultés juridiques soulevées par le texte initial, offre une réelle occasion de progresser en la matière.

Le Gouvernement a donc soutenu cette proposition de loi et continue de la soutenir. Le texte qui est soumis à votre examen est ambitieux et équilibré. Il reçoit donc l’appui du Gouvernement. Le texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 30 mars 2015 et qui vous est aujourd’hui présenté impose aux grandes entreprises, celles dont les effectifs sont supérieurs à 5 000 salariés en France ou à 10 000 au niveau mondial, d’établir et de mettre en oeuvre de manière effective un plan de vigilance. Ces seuils permettent de cibler cette obligation sur les grandes entreprises qui, en raison de leur taille, sont susceptibles d’avoir une chaîne d’approvisionnement particulièrement vaste et des activités nombreuses et variées dans plusieurs pays du monde. Ces entreprises sont également capables de se doter d’outils de suivi et de contrôle plus perfectionnés que de plus petites entreprises, pour lesquelles ces dispositions seraient moins pertinentes.

Le plan de vigilance devrait comporter des mesures de vigilance dites raisonnables, permettant d’identifier et de prévenir un certain nombre de risques : les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les dommages corporels ou environnementaux graves, les risques sanitaires ou encore la corruption.

Les activités non seulement de la société mais également des sociétés qu’elle contrôle, de ses sous-traitants et de ses fournisseurs seraient concernées. En cas de non-respect de cette obligation de vigilance, la justice, saisie par toute personne ayant un intérêt à agir, pourrait enjoindre l’entreprise à se conformer aux exigences de la loi. Ce texte permettrait d’exiger des grandes entreprises, en tout cas de celles qui ne l’auraient pas déjà volontairement fait, des actions concrètes de vigilance. Il permettrait aussi de mettre en valeur les comportements les plus vertueux en matière de RSE.

Je tiens à souligner que le texte contient déjà des éléments apportant un bon niveau de sécurité juridique et de prévisibilité aux entreprises. C’est le fruit du travail technique approfondi réalisé par le rapporteur, Dominique Potier, que je salue ici et que je remercie pour la qualité des échanges qu’il a eus avec le Gouvernement et toutes les parties prenantes.

D’une part, les modalités du plan de vigilance mentionné à l’article 1er seront précisées par décret en Conseil d’État, ce qui permettra de définir précisément les obligations auxquelles seront soumises les entreprises entrant dans le champ de la loi. D’autre part, le régime de responsabilité prévu à l’article 2 est clair et déjà connu des entreprises. En particulier, il exclut toute présomption de faute ou inversion de la charge de la preuve. La démarche poursuivie par cette proposition de loi est en effet avant tout celle du renforcement de démarches préventives.

Mesdames et messieurs les députés, ce texte constitue ainsi une avancée, à la fois ambitieuse et raisonnée, pour que la France continue de progresser sur le chemin de la responsabilité sociétale des entreprises, sans nuire à leur compétitivité. Ce qui se joue, c’est finalement notre conception de la mondialisation. Il faut placer en son sein le respect des principes fondamentaux du travail et interroger le rôle de chacun : les entreprises en tant que donneurs d’ordres, les citoyens en tant que consommateurs. Chacun est le garant de la régulation mondiale et du développement durable de notre économie.

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