Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici réunis pour l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi visant à demander aux grandes entreprises plus de vigilance relativement au respect des règles élémentaires en matière d’environnement et de pratique sociale dans leur activité, notamment lorsqu’elles ont recours à la sous-traitance.
Cette proposition de loi, déposée à l’origine par l’ensemble des groupes de gauche de cette assemblée, en 2014, faisait suite à l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza, au Bangladesh, en avril 2013, qui a causé plus de 1 000 morts. Il s’en était suivi une émotion internationale considérable. Dans cet immeuble s’entassaient, dans des conditions de travail inacceptables et pour un salaire de misère, plusieurs milliers d’ouvrières et d’ouvriers du textile, recrutés par des sous-traitants pour fabriquer des chemises et des pantalons pour le compte de grandes marques connues en Europe et aux États-Unis.
Depuis de longues années, nous sommes nombreux à réclamer une mondialisation plus solidaire et plus humaine. L’opinion internationale, de grandes ONG de défense des droits de l’homme et de grandes voix humanistes disent que la mondialisation économique doit être régulée. Ce ne sont pas des clivages entre la gauche et la droite. L’argent pour l’argent ne peut être le seul horizon de l’humanité. La recherche du profit doit être encadrée par le respect des règles humaines élémentaires.
Aujourd’hui, on ne peut plus accepter que le manque d’éthique économique enrichisse quelques-uns au détriment de millions de personnes travaillant dans des conditions indignes pour un salaire de misère. Le drame du Rana Plaza est symptomatique, mais il n’est malheureusement pas un fait isolé, car cela continue. On peut penser au naufrage du pétrolier Erika, il y a quelques années, mais il y a tant d’autres pétroliers qui naviguent sous des pavillons de complaisance.
On pense aux révélations concernant le travail forcé pour la construction des stades de football, à l’occasion de la Coupe du monde au Qatar, ou, plus récemment encore, on a lu avec tristesse et consternation l’enquête du journal Le Monde à propos des pratiques des sous-traitants du groupe Lafarge, qui feraient exploiter les mines par des enfants.
Toutes ces révélations renforcent la conviction de nombreux progressistes et humanistes qu’il faut légiférer. De même – et c’est tant mieux –, de plus en plus de grands médias alertent l’opinion du cynisme économique de quelques-uns. Le reportage de France 2, hier soir, sur les travailleurs détachés, est d’ailleurs significatif dans un autre domaine.
Bien sûr, la communauté internationale, les États ou les grandes multinationales se disent sensibles à cette question. On ne compte plus les déclarations d’intention des leaders et des grands groupes. On ne compte plus non plus les rapports internationaux ou nationaux sur ces questions. Il y en a plein les placards.
Ces textes et ces recommandations ne suffisent pas. Il ne faut pas se contenter de renvoyer à la bonne volonté individuelle des acteurs. Il faut des règles claires pour engager la responsabilité des sociétés dominantes dans les agissements des entreprises travaillant pour elles, directement ou indirectement. Les multinationales doivent s’engager à faire respecter les droits humains. Cette proposition de loi nous engage dans cette voie. C’est une avancée, certes timide, mais indéniable.
Monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, lors de cette deuxième lecture, il ne s’agit pas de refaire le match de la discussion en première lecture. La version que nous avions adoptée l’an dernier a déjà été édulcorée à la demande du Gouvernement, afin d’être applicable concrètement et immédiatement.
Nous avons su préserver une démarche de consensus pour faire en sorte qu’un texte utile soit adopté. Le texte voté par notre assemblée le 30 mars 2015, il y a déjà un an – que c’est long ! –, est positif. Il est issu d’un accord entre le Gouvernement et sa majorité, au sens le plus large, concret dans son application et ferme dans ses intentions. Notre majorité peut en être fière.
Pourtant, ce texte raisonnable a été sèchement retoqué au Sénat. La majorité de droite sénatoriale a repris l’ensemble de l’argumentaire réactionnaire, ainsi que celui des grands groupes et du MEDEF, d’une manière extrêmement caricaturale. Contrairement à ce que veulent laisser croire les cris d’orfraie poussés par la droite parlementaire, qui succombe décidément à tous les lobbies, cette loi ne mettra pas l’économie française à genoux.
Pour ma part, je considère que, si la France n’est bien entendu pas isolée du reste du monde ni de la concurrence internationale, elle peut aider à éclairer le chemin d’une mondialisation mieux régulée. Aussi, je me félicite principalement que cette loi demande aux grands groupes d’élaborer un plan de vigilance visant à contrôler les agissements de leurs sous-traitants, et ainsi à rendre ceux-ci coresponsables devant la justice en cas de non-respect des règles essentielles des droits humains et environnementaux dans le cadre de leur processus de production.
Comment peut-on s’opposer à cette mesure de bon sens ? Je regrette la position de la droite sur cette question fondamentale. Rien ne peut justifier une négligence menant à la dégradation des droits humains au travail ; rien ne peut justifier le travail forcé ; rien ne peut justifier des salaires de misère ; aucune négligence ne peut justifier des conditions de travail inhumaines. À l’instar des décisions concernant la fraude fiscale, il faut une législation pour préserver les droits humains dans l’économie mondiale.
Au final, même si l’on peut regretter que le texte n’aille pas assez loin sur certains aspects – je pense notamment à l’inversion de la charge de la preuve –, et que je conçois que des collègues de la majorité demandent encore des améliorations, le combat pour de nouvelles conquêtes sociales et environnementales nécessite parfois, pour vaincre, de faire preuve de tactique en avançant étape par étape. C’est pourquoi notre groupe n’a pas déposé d’amendements pour cette deuxième lecture du texte. D’ailleurs lorsqu’on lit les tribunes récentes des ONG, dont je salue les militants, elles sont sans équivoque, évoquant un vote historique des députés en 2015 et le large soutien populaire dont bénéficie le texte. Il nous faut l’adopter conforme si nous voulons avancer vers sa promulgation, par respect des 200 000 citoyens qui ont signé la pétition demandant aux pouvoirs publics de garantir la mise en oeuvre de cette loi.
C’est pourquoi je me tourne désormais vers le Gouvernement qui seul peut garantir la promulgation rapide du texte. Madame la ministre, vous dites soutenir cette proposition de loi ; c’est bien, mais en politique comme en amour, il faut aussi des preuves. Aussi, madame la ministre, avez-vous, oui ou non, l’intention de donner suite à notre vote positif d’aujourd’hui et d’accélérer l’inscription à l’ordre du jour de ce texte en deuxième lecture au Sénat dès ce printemps ? Comptez-vous user ensuite de votre prérogative prévue à l’article 45 alinéa 2 de la Constitution pour convoquer au plus vite une commission mixte paritaire, afin que cette loi voie le jour dans les plus brefs délais, avant la fin de cette législature ? Sachant que de nombreuses grandes entreprises ont déjà commencé à s’y préparer, et que beaucoup de nos concitoyens regardent avec intérêt nos prochaines décisions, rien ne justifie d’attendre encore. Je vous remercie par avance pour votre réponse précise.