Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes à nouveau réunis pour débattre de la responsabilisation des multinationales tout au long de la chaîne de production, une mesure indispensable pour prévenir et réparer des dommages graves sur le plan humain ou environnemental.
Comme l’a rappelé le président de la commission des lois, nous avons commencé à travailler concrètement sur ce dossier, avec vous, monsieur le rapporteur, et avec notre collègue Philippe Noguès, dès le début de cette législature. Nous nous y étions engagés, avec de nombreux collègues, avant même notre élection. Le Forum citoyen pour la responsabilité sociétale des entreprises, qui regroupe syndicats et ONG – dont Amnesty international, le Comité catholique contre la faim et pour le développement, CCFD, Sherpa et le collectif de l’Éthique sur l’étiquette –, alerte en effet depuis des années sur les faiblesses d’une législation qui ne prend pas suffisamment en compte l’évolution de la mondialisation dans ce qu’elle a de pire.
L’effondrement du Rana Plaza a médiatisé des situations tragiquement banales. Dans le secteur textile, la production a été délocalisée dans des pays où se conjuguent bas salaires et protection sociale et environnementale inexistante ou inappliquée, tout en créant du chômage ici. Mais ce n’est pas le seul secteur à risque. Hier, on apprenait que des enfants ougandais extrayaient de la pouzzolane pour une filiale de Lafarge qui se vante, dans son rapport développement durable, de respecter les nouvelles directives sur le reporting RSE. C’est bien la preuve que les déclarations la main sur le coeur ne suffisent pas !
En mettant la pression sur les prix – qu’elles souhaitent bas – et les délais – qu’elles exigent courts –, les entreprises donneuses d’ordre favorisent la sous-traitance informelle et les conditions de travail indignes qui en découlent. Et si une catastrophe survient, elles montrent une fâcheuse tendance au déni. Au vingt et unième siècle, il y a malheureusement toujours des damnés de la terre et des gens qui en profitent. Ce n’est pas acceptable. Et nous ne l’acceptons pas.
Dès 2012, nous avons voulu renforcer la loi pour responsabiliser les sociétés mères vis-à-vis de leurs activités directes ou indirectes. Ce « nous » englobe les quatre groupes de la majorité, unis pour ce juste combat. Notre réflexion s’est appuyée sur des expertises juridiques de haut niveau : Olivier de Schutter, Antoine Lyon-Caen, pour ne citer que les spécialistes les plus connus. Nous avons consulté les ONG, les syndicats, les fédérations d’entreprises, la plate-forme pour la RSE. Nos travaux nous ont conduits à proposer la transcription dans le droit français des principes directeurs des Nations unies et de l’OCDE. Ce n’est pas révolutionnaire ! Certains cherchent à faire peur au Gouvernement en invoquant la compétitivité ou le risque d’exode des entreprises. Pourtant, une étude récente montre que notre pays est le premier en Europe pour son attractivité en matière d’investissements. Les installations en France de quartiers généraux « monde » ou « Europe » ont presque doublé entre 2014 et 2015, passant de seize à vingt-sept. Nos collègues de la droite devraient être rassurés !
Cette proposition de loi constitue certes une avancée, mais ce n’est qu’un premier pas, moins ambitieux que le texte que nous avions proposé au départ dans le cadre de la niche écologiste. Elle gagnerait à être renforcée, notamment pour aligner les seuils des entreprises sur les directives européennes en matière de RSE. Cela relève de la simple cohérence et nous proposerons des amendements en ce sens.
Mais faut-il encore attendre, comme le proposent certains de nos collègues à droite ? Attendre quoi ? Un autre Rana Plaza ? Faisons mentir le président de l’Association française des entreprises privées, AFEP, qui dans Libération, ce matin, se vante d’avoir l’assurance du Gouvernement de laisser cette proposition a minima s’égarer dans la navette parlementaire. J’espère, madame la ministre, que vous allez nous rassurer sur ce point ! Au contraire, la France peut rallier ses collègues européens à cette juste cause, comme elle l’a fait dans le passé avec la directive sur le reporting extra-financier, où notre pays a montré l’exemple. Notre Assemblée, à mon initiative, a adopté une résolution qui va en ce sens, de même qu’une résolution sur la traçabilité des « minerais du sang » utilisés dans les téléphones portables. Le 18 mai prochain, la commission des affaires européennes rassemblera des parlementaires de toute l’Union pour travailler à un « carton vert », une initiative législative visant à inscrire le devoir de vigilance des multinationales dans le droit européen. Plusieurs pays ont déjà témoigné de leur soutien à cette démarche. Vous le voyez, chers collègues, les efforts se conjuguent, tant au niveau national qu’européen, pour faire avancer la justice.
Pour conclure, madame la ministre, permettez-moi d’espérer, avec mon collègue et rapporteur Dominique Potier, que cette proposition de loi sera définitivement adoptée d’ici cet été. Ce travail commencé il y a déjà quatre ans doit résolument avancer. « Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C’est pourquoi, contre toute attente, l’espérance survit », disait René Char. En l’occurrence, nous voterons certes cette proposition de loi, mais l’espérance dépassera nos frontières et nous serons fidèles aux valeurs humanistes de la France en y répondant sans attendre.