Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, si 80 % des Français estiment que les multinationales doivent être plus vigilantes et tenues responsables juridiquement des catastrophes humaines et environnementales ou des atteintes aux droits de l’homme provoquées par leurs filiales et sous-traitants, et bien qu’il ne soit pas certain que le citoyen qui nous interpelle ainsi soit toujours en accord avec le consommateur, cette sensibilité, cette attente, cette exigence de l’opinion nous obligent.
Mais les entreprises elles-mêmes ont intérêt à la mise en place d’un système de vigilance alors que le risque réputationnel comme les risques juridique, concurrentiel et financier prennent de plus en plus d’importance dans ce domaine comme dans celui de la corruption ou encore de l’évasion fiscale. À trop tarder, nos entreprises seront fragilisées car les législations avancent dans les autres pays. Je vois ainsi que nous sommes aujourd’hui en retard dans la lutte contre la corruption et que ce sont les entreprises elles-mêmes qui nous intiment d’agir pour mettre notre législation en adéquation avec celle d’autres pays. La loi Sapin II – texte que nous examinerons dans quelques semaines – est attendue par elles pour ne pas perdre d’atout concurrentiel par rapport à leurs concurrentes.
Nous attendons des entreprises, nous exigeons de leur part, qu’elles se conduisent de manière responsable. Le dispositif que nous défendons réclame d’elles de mettre en oeuvre un plan de vigilance pour l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, incluant leurs filiales et sous-traitants en France et dans le monde.
Le groupe écologiste ne souhaite pas que cette loi, et surtout le décret qui suivra, de même que le plan de vigilance, se résument à une simple ribambelle de bonnes résolutions et de bonnes pratiques ou encore à un outil marketing qui ne seraient pas suivis d’effets. Nous avons collectivement une responsabilité en termes d’efficacité. Il pourra s’agir de clauses dans le contrat avec le sous-traitant exigeant des rapports réguliers sur les questions relatives aux droits humains et environnementaux, mais aussi de bien d’autres mesures.
Je souhaite appeler votre attention sur deux grands enjeux : d’une part, il sera important de renforcer les outils dont dispose le juge pour contrôler la réalité du plan de vigilance et l’effectivité des actions qui y seront exposées ; d’autre part, il conviendra de veiller à ce que le dispositif soit sans équivoque pour les entreprises, la loi doit être claire et indiquer précisément les risques qu’elles doivent prévenir pour leurs personnels et ceux qu’elles encourent pour elles-mêmes en cas d’absence de plan de vigilance ou de mauvaise application de la loi. Si j’insiste pour que les exigences requises auprès des entreprises soient le plus clair possible c’est parce qu’il est nécessaire pour réussir d’obtenir leur adhésion à une telle démarche. Et leur adhésion sera acquise si la loi et le décret définissent nettement les exigences et les sanctions. Les entreprises doivent être sécurisées au regard de l’exigence plus que légitime que nous leur imposons. Nous devons notamment fixer les bornes entre lesquelles le juge va exercer son pouvoir d’appréciation.
Je voudrais également soulever quelques questionnements relatifs à des formulations présentes dans le texte et qui mériteraient d’être clarifiées.
L’article 2 permet d’engager la responsabilité civile des sociétés concernées par un dommage qu’elles auraient « raisonnablement » pu éviter. L’adverbe « raisonnablement » est extrêmement flou et contraire à l’objectif de clarté que j’appelle de mes voeux pour répondre à l’objectif de sécurisation des entreprises dans les dispositifs en vertu desquels elles devront répondre au devoir de vigilance pour se mettre en conformité avec la loi. Le décret d’application aura comme objet de définir le contenu du plan de vigilance. Actuellement, nous n’avons pas plus de précision, ce qui ne nous permet pas de savoir clairement à ce stade si ce dispositif sera pertinent, tant pour protéger les salariés que pour apporter un message clair aux entreprises.
Autre élément, la charge de la preuve pèse sur la victime du dommage. Il revient à la victime de prouver premièrement que le plan de vigilance n’a pas été élaboré, deuxièmement que le plan de vigilance n’a pas été mis en oeuvre de façon effective et troisièmement qu’il existe un lien de causalité entre la survenance du dommage et l’inexistence ou la mauvaise mise en oeuvre du plan de vigilance. Ce rapport du faible au fort peut faire douter de l’efficacité du dispositif.
Il reste donc à réaliser un travail important, notamment s’agissant du décret. En attendant, je veux insister sur l’importance de cette proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre et sur l’avancée majeure qu’elle représente pour l’intérêt général et la protection des personnes et de l’environnement, et saluer la ténacité de nos collègues Dominique Potier, Danielle Auroi et Philippe Noguès.