Intervention de Serge Bardy

Séance en hémicycle du 23 mars 2016 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Bardy :

Il y a un an, nous étions réunis dans ce même hémicycle pour adopter cette proposition de loi sur le devoir de vigilance en première lecture. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire dont je suis membre avait alors été saisie et j’avais eu l’honneur d’être rapporteur pour avis de ce texte.

Avant de commencer à le commenter, je tiens à remercier les députés qui en sont à l’origine, sans lesquels rien n’aurait été possible : Dominique Potier, cheville ouvrière qui, par son incroyable énergie, permet de débloquer des situations et de faire avancer les choses ; Danielle Auroi et Philippe Noguès, qui ont suivi le dossier dès le stade de son élaboration, avant même la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh ; ainsi qu’Annick Le Loch et Anne-Yvonne Le Dain au sein du groupe SRC.

Je tiens également à remercier chaleureusement la société civile car ce texte est le fruit d’un travail de concertation étroit entre le Parlement, la société civile – organisations non gouvernementales et syndicats – et le monde universitaire. Cette méthode devrait d’ailleurs nous inspirer et être reproduite plus souvent : voilà un exemple concret qui prouve que les parlementaires ne sont pas enfermés dans une tour d’ivoire mais au contraire très ancrés dans les forces vives de notre pays.

Venons-en au fond et aux raisons qui nous poussent aujourd’hui à adopter cette loi. Je ne reviendrai pas sur son contenu. Cette proposition de loi est une première traduction législative de notre préoccupation commune, celle de la responsabilité sociale des entreprises, préoccupation partagée par tous, acteurs publics et privés. Cette année je m’exprime avec un mandat et une responsabilité nouveaux puisque je représente désormais l’Assemblée nationale à la Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises, qui a réalisé un travail d’auditions très important en amont de la première lecture de ce texte. Bien que la concertation n’efface pas toujours les dissensions, surtout lorsque les antagonismes initiaux sont très forts, on ne peut que se féliciter de l’existence de cette plateforme.

La responsabilité sociale des entreprises consiste à identifier, prévenir et, le cas échéant, réparer les dommages sociaux sanitaires et environnementaux ainsi que les atteintes aux droits de l’homme susceptibles de résulter de leurs activités. La France est pionnière dans le monde sur ces sujets : nous pouvons être fiers de nos entreprises qui, dans l’ensemble, sont souvent en pointe par rapport à leurs homologues d’autres pays. S’agissant des droits humains, qui sont l’une des dimensions de la RSE, un corpus de normes s’est peu à peu constitué au niveau international, notamment autour des principes directeurs de l’OCDE et de l’ONU ainsi que des conventions internationales de l’Organisation internationale du travail.

Il appartient aux États de rendre effectifs ces principes et de leur donner toute leur portée en les adaptant aux règles nationales. C’est précisément ce que nous sommes en train de faire avec cette proposition de loi. Nous pouvons nous permettre de le faire car nos entreprises sont en avance : la grande majorité des entreprises françaises sont mûres et n’auront pas de difficulté à mettre en oeuvre le plan de vigilance que cette proposition de loi les invite à élaborer. Au contraire, il est grand temps de valoriser les nombreuses entreprises qui sont engagées depuis longtemps dans des démarches vertueuses et qui ont déjà largement intégré les droits humains dans leurs modèles économiques. Nous leur donnons là un avantage en termes de compétitivité.

Mais cette première proposition de loi n’est que la première étape d’un chemin encore long. Ce texte permettra-t-il de régler tous les problèmes ? Assurément non, mais il envoie un message positif très clair, qui contribuera à tirer les standards vers le haut dans les pratiques sociales et environnementales des entreprises. C’est une étape importante, dont nous ne devons pas minimiser la portée, malgré la tentation naturelle d’en vouloir plus, dès aujourd’hui.

Avant de vous inviter à adopter ce texte, j’aimerais terminer, chers collègues, par un témoignage. Président du groupe d’amitié France-Équateur à l’Assemblée, je me suis rendu en Amazonie équatorienne dans le cadre d’une visite officielle en 2014. J’ai moi-même constaté les dégâts environnementaux dus à l’exploitation pétrolière de Texaco et Chevron, qui a opéré en Équateur entre 1964 et 1990. Dans la zone concernée, l’eau n’est pas potable. Il suffit de passer sa main à la surface de l’eau pour constater la présence d’une substance huileuse. La justice a-t-elle été rendue ? Non. Vingt-six ans plus tard, les populations locales attendent toujours que des mesures de dépollution soient mises en oeuvre.

Ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui est très regardé à l’étranger. Il y a deux semaines, j’étais invité par la diplomatie équatorienne à l’ONU, en marge de la session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. À Genève, un groupe de travail intergouvernemental travaille à l’élaboration d’un traité contraignant sur la responsabilité des entreprises transnationales en matière de droits humains.

N’écoutons pas les sirènes de ceux qui nous enjoignent à ne rien changer. Nous traçons un chemin. Nous jouons un rôle pionnier en faveur d’un meilleur accès à la justice et d’une mondialisation mieux régulée. À cet égard, je ne doute pas que nous serons suivis par nos voisins.

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