Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Séance en hémicycle du 23 mars 2016 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur cher Dominique Potier, c’est avec beaucoup de plaisir que je reviens en deuxième lecture parler de ce texte.

Les orateurs précédents ont déjà dit beaucoup de choses. Je crois quant à moi que la France n’a pas d’exemple à donner, que ce texte n’a pas vocation à servir d’exemple à qui que ce soit. Il s’inscrit simplement dans un temps de l’histoire, notamment dans un temps de l’histoire de la modernité occidentale – le temps où il faut dire : ça suffit ! D’autres le font, notamment les pays d’obédience anglo-saxonne, les pays de common law, en adoptant des guides de bonne pratique. Mais en France, on n’est pas très à l’aise avec ces choses-là : il faut que nous passions par la loi, sinon nous n’irions pas assez vite.

Cher Dominique Potier, qui êtes à l’initiative de ce texte, nous sommes, je crois, dans le bon timing pour faire avancer les choses, et pour que la « vigilance raisonnable », qui est le concept central de ce texte, s’applique. Je crois d’ailleurs que la plupart des grandes entreprises le savent, et qu’elles y veilleront, dans leur intérêt même.

Car c’est bien le problème : il faut que ce texte s’applique le plus vite possible. Il faut que le parcours législatif soit achevé avant l’été, pour que soit pris ensuite, comme le prévoit le texte, le décret en Conseil d’État qui précisera les modalités de présentation et d’application du plan de vigilance que chaque entreprise devra établir et rendre public. Cela signifie d’ailleurs que l’entreprise aura négocié avec son personnel : on est bien là dans une démarche de coconstruction – on sait que c’est la seule qui soit réellement efficace.

Je veux rappeler que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ces CHSCT qui ont tant fait parler d’eux quand ils ont été institués, avaient juste été conçus pour faire appliquer les règles dans l’entreprise. Ils ont ensuite évolué, devenant des lieux où l’on anticipait les risques susceptibles de peser sur les employés, et maintenant c’est un endroit où l’on conçoit la manière dont tout le monde pourra être plus performant, au bénéfice de l’entreprise et sans risque pour le salarié.

Nous engageons aujourd’hui une démarche similaire. Il s’agit d’un premier pas – Philippe Noguès vient de parler de « pied dans la porte », c’est une bonne formule. Nous n’imposons rien, nous disons seulement aux entreprises qu’elles devront tout mettre en oeuvre pour s’assurer que leurs filiales et les sous-traitants auxquels elles font appel respectent certaines règles. Il s’agit pour elles d’adopter un code de bonne conduite, un guide de bonnes pratiques ; sauf que la loi leur impose de le faire, et prévoit de vérifier qu’elles l’auront bien fait.

Tel est le sens de l’article 1er : toute personne justifiant d’un intérêt à agir pourra demander à la juridiction compétente d’enjoindre à la société d’établir le plan de vigilance et d’en assurer la communication au public. C’est une manière de dire aux entreprises qu’elles ont tout intérêt à le faire, pour ne pas se retrouver dans cette situation. Nous nous adressons en priorité aux grandes entreprises, celles qui emploient plus de cinq mille salariés sur le territoire national ou plus de dix mille à l’échelle mondiale : c’est que les grandes entreprises françaises doivent donner l’exemple, car beaucoup de leurs filiales et de leurs sous-traitants sont des PME, implantées en France ou à l’étranger.

Nous avons tous, collectivement, intérêt à cela, nous qui sommes des êtres humains, comme tous les ouvriers et, surtout, toutes les ouvrières – car ce sont principalement les ouvrières qui meurent. Au Rana Plaza, il y eut, comme vous l’avez rappelé, cher Dominique Potier, plus de 1 100 morts, pour la plupart des femmes. Elles sont mortes pour une chose fondamentale, un produit de base : le textile – car tout le monde s’habille. Et puis voilà : un immeuble qui s’effondre, des morts.

La semaine dernière, nous avons travaillé sur la biodiversité et avons consacré le principe du préjudice écologique. Pourrions-nous ne pas consacrer le principe du préjudice humain ? Ignorer la mort d’hommes et de femmes, les blessures, les mauvais comportements, les empoisonnements ? Notre collègue parlait à l’instant des secteurs chimiques et miniers, et de la manière dont on envoyait des gens travailler dans des conditions non pas insatisfaisantes, mais inacceptables !

Nous sommes là en présence d’un texte de loi qui affirme des choses simples, des choses fortes, et qui pose une pierre, celle de la France. Il se fonde sur la réalité et les entreprises devront s’y soumettre. Je crois que toutes savent qu’au fond, c’est dans leur intérêt : non seulement cela va dans le sens de l’histoire, mais cela répond au mouvement actuel, car on voit bien que de nombreux pays dans le monde y viennent, que ce soit des pays nordiques, des pays anglo-saxons ou même d’autres grands pays comme le Brésil, la Chine ou l’Inde. Tel est aussi notre intérêt : que nous ayons l’honneur pour nous et que, d’une certaine manière, nous introduisions de la morale en politique.

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