Monsieur le président, madame la ministre des outre-mer, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui face à un enjeu extrêmement important pour l’ensemble de la nation, et plus particulièrement pour les collectivités d’outre-mer.
C’est pourquoi je tiens à remercier le Gouvernement, et d’abord Mme la ministre des outre-mer et le ministère des affaires étrangères, la commission des lois ainsi que tous nos collègues d’avoir contribué à participer à ce projet d’extension des possibilités de coopération, au sens global du terme, et plus spécifiquement pour l’outre-mer.
Depuis une vingtaine d’années, des avancées considérables ont été réalisées pour favoriser la coopération régionale, étant entendu que l’article 52 de la Constitution exprime clairement la responsabilité régalienne en matière d’engagement extérieur de l’État.
Plusieurs lois ont été votées : les lois de décentralisation de 1982 et 1992, et la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, portée par Claude Lise.
On constate par ailleurs une vraie dynamique de coopération dans l’ensemble des collectivités nationales. Les chiffres sont éloquents : près de 5 000 collectivités ont engagé des partenariats avec près de 9 000 collectivités étrangères dans 144 pays pour des montants financiers considérables. On mesure la dynamique économique liée à la coopération : la politique extérieure de l’État est menée aussi à travers les collectivités ultramarines.
Près d’une soixantaine d’actions de coopération sont conduites par les départements et régions d’outre-mer, dont trente-trois par les collectivités de Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane avec les pays limitrophes.
Une vraie dynamique a été lancée par la loi de juillet 2011. Dès 2012, celle-ci a donné possibilité aux régions et départements, qui ne sont en rien des États indépendants – puisqu’il ne s’agit pas d’États et qu’ils ne sont pas indépendants –, d’adhérer en tant que membres associés à travers le CIOM, le Conseil interministériel pour l’outre-mer, à des organisations internationales.
C’est ainsi que la Guadeloupe et la Martinique ont adhéré à l’Association des États de la Caraïbe, l’AEC, qui regroupe les 270 millions d’habitants de la Grande Caraïbe. La Martinique est devenue membre de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale, l’OECO, et a engagé des démarches pour adhérer à la Communauté caribéenne, la CARICOM.
D’autres mesures significatives ont été prises : la nomination d’ambassadeurs délégués à la coopération régionale – plusieurs régions ont installé dans les ambassades des représentants des collectivités –, la création de fonds de coopération régionale et la nomination d’ambassadeurs délégués par zone. Autant d’étapes qu’il faut saluer.
Pourtant, des obstacles importants subsistent, notamment pour les collectivités d’outre-mer, régies par l’article 73 de la Constitution, dont la proposition de loi respecte l’épure.
Ils créent des contraintes dont les conséquences sont bien connues, notamment par Victorin Lurel, ancien président du conseil régional de la Guadeloupe. Le cadre juridique crée un déficit de lisibilité lors des discussions et des négociations avec les pays tiers, en même temps que l’impossibilité d’élaborer des programmes-cadres de coopération, c’est-à-dire de se doter d’une vision globale.
Il faut aussi mentionner l’encadrement très strict de la notion de zone de voisinage : la Martinique ne peut coopérer en droit qu’avec Sainte-Lucie et la Dominique, et ne peut se tourner vers l’Amérique de Sud. Elle le fait, certes, mais dans un cadre juridique qu’on pourrait qualifier de borderline.
Je signale enfin les difficultés matérielles rencontrées par les agents territoriaux ultramarins positionnés à l’extérieur.
Cette situation est préoccupante compte tenu des enjeux que représentent la réappropriation de la diplomatie territoriale par les collectivités et la réorientation de la coopération régionale vers le volet économique, qui n’est pas question de négliger mais que les contraintes finissent par paralyser.
Il faut profiter de notre position géostratégique. On sait par exemple que la Réunion pourrait être, dans le bassin de l’Océan indien, une plate-forme où se ferait l’interface technologique et économique entre l’Europe, et ses 500 à 600 millions de consommateurs, et l’Afrique orientale, qui rassemble près de 600 millions d’habitants. Il y a là une dynamique que nous pourrions nous approprier : il faut développer ces atouts considérables, au lieu de raisonner, comme on le fait trop souvent, en termes de handicap.
La proposition de loi traduit l’ambition d’une diplomatie économique territoriale. Je le rappelle afin de rassurer la diplomatie nationale, ce texte s’inscrit pleinement dans le cadre constitutionnel, mais il offre aux collectivités ultramarines la possibilité de devenir les fers de lance de la diplomatie française dans leur bassin géographique transfrontalier et les tenants d’une nouvelle dynamique économique. Celle-ci pourrait favoriser la construction d’un nouveau modèle qui réduirait le chômage et les difficultés structurelles que nous connaissons.
Nous vous proposons d’abord d’élargir la notion de voisinage – ce qui permettrait à la Réunion de coopérer avec un bassin élargi, comprenant l’Inde et l’Afrique –, puis de créer la possibilité, pour chaque collectivité d’outre-mer qui le souhaite, d’établir un programme-cadre de coopération avec l’ensemble des pays du bassin géographique transfrontalier. Ce programme-cadre portant sur plusieurs thématiques créerait la possibilité de négocier et de signer les accords de coopération.
Si la loi de janvier 2014 a prévu des dérogations offrant la possibilité de signer de tels accords, celles-ci n’étaient pas clairement définies. Pour les préciser, nous nous sommes inspirés de trois cadres déjà reconnus par la loi : les groupements européens de coopération transfrontalière ou GECT, les groupements euro-régionaux de coopération ou GEC, et les groupements locaux de coopération transfrontalière ou GLCT.
Nous avons apporté des améliorations importantes, notamment pour tenir compte des évolutions des collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
Nous avons aussi pris en compte les enjeux pour Mayotte, du fait de l’extension des pouvoirs de ce département au titre de la coopération régionale, et les besoins importants qu’ont nos collectivités de s’inscrire dans un partenariat avec les institutions financières de proximité. Je pense à la Banque de développement des Caraïbes. Un amendement allant dans ce sens concerne la Polynésie.
Toute cette structuration juridique n’aurait pas de sens si l’on n’exprimait pas très clairement les choses. De quoi s’agit-il ? Nous sommes à un moment extrêmement important du développement de beaucoup de pays d’outre-mer. Nous devons absolument chercher à libérer les énergies locales. Le niveau de formation est suffisamment important, l’ingénierie suffisamment dynamique et la technologie suffisamment forte pour que l’on donne des possibilités aux jeunes Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais ou Réunionnais de s’exprimer directement.
Nous devons aussi sortir de certaines absurdités. On sait que tous les déchets dits « dangereux » sont réexportés automatiquement, du fait de contraintes juridiques européennes ou financières, et qu’ils ne peuvent être mutualisés dans des bassins géographiques transfrontaliers qui permettraient de construire une véritable économie circulaire.
Nous devons aussi travailler, parce que nous sommes dans la République, dans la France. La plupart de nos pays l’ont réaffirmé lors de divers scrutins. On ne revient pas sur ce point, malgré certaines interprétations selon lesquelles nous voudrions en sortir. Ce dont il faut sortir, en revanche, c’est d’une dépendance économique directement liée à l’hexagone, de même qu’il faut utiliser tous les potentiels de proximité pour assurer une croissance nouvelle.
La nature nous redonne un peu la main. Par le biais de la transition énergétique, du changement climatique, de la réappropriation de l’économie collaborative ou de l’économie circulaire, une nouvelle dynamique, voire une nouvelle respiration, peut se créer.
Je l’ai dit : laissez-nous respirer, laissez l’inspiration se construire, parce que le modèle du développement ne se décrète pas. Il se construit dans une ambiance et une organisation bien précises.
Laurent Fabius a parlé de coopération et de diplomatie démultipliée. Cela signifie que, tandis que l’action extérieure de l’État est garantie, et qu’il fait son travail en matière de coopération, celle-ci passe par l’utilisation des plates-formes, des énergies et du potentiel locaux.
À cet égard, la proposition de loi constitue une étape extrêmement importante. Bien entendu, chacun devra réfléchir dans sa région au moyen de se l’approprier. Il devra se demander comment faire et quelles dynamiques créer. Mais nous aurons du moins ouvert des portes pour permettre à nos départements d’outre-mer d’entrer dans une nouvelle ère.