Je vous remercie de cette invitation ; celles et ceux avec qui j'ai partagé ces bancs pendant quinze ans connaissent mon attachement au travail parlementaire, à l'enrichissement par la discussion, à la confrontation des idées, à la coopération, dans l'esprit de la séparation des pouvoirs.
Je remercie le président François Brottes d'avoir organisé rapidement cette rencontre, qui en appelle d'autres.
La France rencontre de grandes difficultés économiques et sociales ; il y a donc urgence. Après la perte en dix ans de 750 000 emplois industriels, après la fermeture en trois ans de 900 usines, la chaîne économique est durement affectée. Le nom du ministère dont j'ai la charge implique presque une obligation de résultats. Le titre de « redressement productif », à la fois défi et hommage rendu à nos équipes, implique surtout la mobilisation de tous autour de la question industrielle et des capacités productives. Notre balance commerciale est, je le rappelle, déficitaire de 70 milliards : nous consommons de plus en plus ce que les autres produisent, et nous produisons de moins en moins ce que les autres consomment. Ce déséquilibre doit représenter pour nous tous un sujet de préoccupation.
Le « redressement productif » constitue également un hommage non dissimulé au grand président des États-Unis Franklin Delano Roosevelt, qui avait, en 1933, après l'effondrement qu'avait représenté la Grande Dépression de 1929, prononcé un discours marquant dans lequel il parlait de « redressement industriel national ». C'est donc une référence au New Deal, et aux idées de Keynes – membre de l'équipe du président Roosevelt – qui ont révolutionné le monde et sont toujours d'actualité.
Notre ministère a des exigences, porte une vision et développe une stratégie.
Ces dernières années, l'économie s'est mondialisée, sans que les peuples aient été étroitement associés à ce processus, sans qu'on les aide à réfléchir aux conséquences de cette mise en concurrence généralisée, multilatérale et uniforme des modèles sociaux, des niveaux de salaires, de la rémunération des capitaux, des fiscalités, et même des souverainetés. Des pays qui, en fonction de leur histoire et de leur géographie, ont fait des choix différents –certains ont des dépenses militaires, d'autres encore ont des services publics de haut niveau –sont ainsi mis en concurrence, comme s'ils vivaient tous sur le même palier ! Avec le rééquilibrage de l'Asie et les dégâts industriels que ce processus a causés dans le monde occidental anciennement industrialisé, vous voyez bien les difficultés que cela provoque
Les défis, pour notre continent et donc notre pays, sont absolument considérables. Les pays qui ont le mieux résisté à la crise, et ont parfois obtenu des résultats extraordinaires, sont ceux qui ont rassemblé les grands groupes, généralement transnationaux, c'est-à-dire la puissance privée, les PME, c'est-à-dire la puissance créatrice, et les pouvoirs publics, c'est-à-dire la souveraineté : je pense à l'Allemagne, à la Corée, à la Chine, et même d'une certaine façon aux États-Unis. Les pays où ces différents acteurs n'ont pas su s'unir se sont affaiblis.
J'appelle notre modèle actuel libéral-financier : libéral, au sens du laissez-faire le plus total, et financier, au sens où, dans les préférences collectives, la question financière a peu à peu suplanté celle de l'industrie et de la production. Ce modèle ne ressemble pas à celui qui a façonné l'histoire du capitalisme français, ni au célèbre modèle rhénan ; et il a causé beaucoup de dégâts.
Nous voulons, nous, évoluer vers un modèle de nature un petit peu colbertiste. Cela dit, Colbert n'a pas fait que de bonnes choses – il est, entre autres, l'auteur du code noir – et nous ne pouvons donc pas nous inspirer de toute son oeuvre. Comme je l'ai fait devant la Conférence nationale de l'industrie, ouverte par le Premier ministre, je parle souvent de « colbertisme participatif » – même si, à l'époque de Colbert, il n'y avait pas de Parlement, pas de discussions dans la société, non plus que de société d'ailleurs ; il n'y avait que l'imperium unilatéral de l'État. Toutefois, il est juste de dire que l'idée de volonté de l'État doit être réhabilitée. L'État doit agir, la puissance publique doit se réarmer et assumer son leadership pour mobiliser les grands groupes, les PME, les territoires en vue d'une réindustrialisation.
Nous travaillons dans l'urgence, un peu comme des médecins urgentistes. Ainsi, dans le secteur des opérateurs téléphoniques, secteur dont Mme Fleur Pellerin a la charge, nous voudrions limiter, voire éviter la casse. Pour nous, tous les moyens sont bons pour faire renoncer aux décisions lorsqu'elles sont évitables – lorsqu'elles sont inéluctables, nous les assumons tous ensemble. Partout où nous pouvons faire l'économie de la destruction économique, industrielle et donc sociale, nous le faisons. Il faut pour cela user de toute la créativité possible, la nôtre, la vôtre. Les pays les plus mobilisés, les plus créatifs, s'en sont beaucoup mieux sortis que tous ceux qui ont fait preuve de conformisme : des solutions considérées il y a peu comme impensables, taboues, inimaginables, sont aujourd'hui inscrites à l'ordre du jour.
J'évoquerai maintenant plusieurs sujets.
Le premier est relatif à la compétitivité, aux conditions dans lesquelles nous nous battons pour défendre notre industrie. On nous parle beaucoup du coût du travail : c'est un facteur important, mais ce n'est pas le seul ! La compétitivité, c'est le prix des facteurs de production : le travail et la protection sociale ; le capital et sa rémunération ; l'énergie et son prix. J'ai eu l'honneur d'animer, avec M. Louis Gallois, ancien président d'EADS, ancien directeur général de l'industrie, ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Chevènement – qui fut lui-même un grand ministre de l'industrie au début des années 1980 –, l'un des ateliers de la grande conférence sociale imaginée par le Gouvernement. Nous nous sommes penchés sur la question de la compétitivité, en envisageant les trois facteurs de production. Pour le Gouvernement, il n'y a pas de sujet interdit ; tous doivent être examinés, quand nous les rencontrons. Le Premier ministre a confié une mission sur ce sujet à M. Louis Gallois, lequel rendra son rapport au mois d'octobre…