La réponse la plus rapide à faire à la suggestion de M. Soubirous serait celle-ci : ce sont les employeurs publics et le Gouvernement qui décident des affectations à la sortie de l'École. Sans me défausser, je rappelle que nous préparons des élèves au recrutement par les employeurs publics qui les demandent. Depuis longtemps et jusqu'à aujourd'hui, les employeurs publics qui recrutent à la sortie de l'ENA sont des administrations qui offrent des emplois d'administrateur civil, mais pas exclusivement : il s'agit également de corps d'inspection et de contrôle – Conseil d'État, Cour des comptes, Inspection des finances ou encore Inspection générale des affaires sociales et Inspection générale de l'administration – ainsi que de tribunaux administratifs, de chambres régionales des comptes, mais aussi de la Ville de Paris et, depuis une date plus récente, de la direction générale de la sécurité extérieure, qui recrute une fois tous les deux ans.
Tout indique dans l'arbitrage rendu chaque année par le Premier ministre concernant les postes de fin de scolarité qu'aucun employeur public ne souhaite cesser son recrutement en sortie de l'École. Lorsque j'ai pris mes fonctions et que j'ai travaillé, avec les équipes de l'École, à la refonte des concours et de la scolarité, j'ai contacté l'ensemble des employeurs publics pour m'enquérir de leur degré de satisfaction concernant les compétences acquises par les élèves sortis de l'École, ce dont nous avons tenu compte dans la rénovation de la scolarité. Tous ces employeurs ont d'emblée annoncé qu'ils souhaitaient recruter davantage d'élèves sortis de l'ENA. Le choix final est un choix politique : il ne me revient pas de juger s'il convient d'affecter les élèves dans l'ensemble de ces administrations, mais de recruter et de former des élèves en fonction des demandes qui me sont faites aujourd'hui, dont je constate qu'elles sont croissantes – ce qui a conduit le Gouvernement à décider de porter le nombre d'élèves en formation initiale de 80 à 90 par promotion. Chaque année, en effet, nous nous trouvions très en deçà des attentes des administrations et des corps de sortie. Une promotion de 90 élèves français reste d'un volume modeste ; s'y ajoutent les trente élèves étrangers qui étudient en formation initiale aux côtés de leurs camarades français.
J'en viens à la question de l'interministérialité. J'ai en effet eu le plaisir et l'honneur d'être diplomate et de servir de nombreuses années en poste à l'étranger ; à cette mobilité géographique s'est ajouté l'honneur de représenter à l'étranger non pas seulement un ministère, mais l'ensemble des administrations publiques. Les diplomates ont cette particularité d'avoir une vocation interministérielle par nature. Enfin, je me suis appliquée à moi-même le principe de mobilité en prenant la direction d'un établissement public dépendant du Premier ministre.
L'ENA n'a jamais eu vocation à former tous les hauts fonctionnaires, mais à former des agents possédant une aisance particulière à l'échelle interministérielle. En médecine, les généralistes sont tout aussi nécessaires que les spécialistes ; de même, la fonction publique a besoin de généralistes maîtrisant pleinement l'interministérialité mais a besoin aussi d'autres profils – loin de moi l'idée de prétendre au monopole de l'ENA dans les postes de la haute fonction publique. Ce sont des compétences à caractère interministériel que la formation dispensée à l'ENA vise à transmettre, ce qui explique qu'il n'y existe pas de filières, chaque élève étant tenu de maîtriser un certain nombre de compétences transversales. Puis, à la sortie de l'École, les élèves signent un engagement à servir l'État pendant dix années au moins et, s'ils souhaitent que leur carrière progresse, ont l'obligation d'effectuer une véritable mobilité statutaire – qui me semble salutaire – pour acquérir d'autres cultures professionnelles et une vision plus large. Cette éventuelle réorientation des carrières est un atout pour les administrations avant même d'être une chance pour les fonctionnaires eux-mêmes.