Permettez-moi, monsieur le président, d'aborder dans l'ordre les trois volets de votre question : recrutement, formation, affectation.
En matière de recrutement, posons-nous d'abord la question suivante : l'État a-t-il besoin de cadres scientifiques ? La réponse tient à la nature des politiques publiques. L'énergie et le développement durable, la ville de demain, le lien entre numérisation et sécurité, l'alimentation ne sont quelques-uns des domaines couverts par les politiques publiques qui, à l'évidence, possèdent une forte dimension scientifique. L'École Polytechnique a également la conviction qu'il se produit des ruptures techniques, scientifiques et technologiques qui produiront de profonds effets sur le développement de demain mais aussi sur le monde dans lequel nous vivons – et, par conséquent, sur les politiques publiques.
L'État peut-il donc se passer de cadres scientifiques ? Non, assurément. Ces cadres scientifiques peuvent-ils n'être que des contractuels recrutés par l'État au fil de l'eau selon ses besoins ? La question a déjà été analysée, et j'en retiens le fait suivant : l'État, compte tenu de ses règles statutaires et de ses échelles de rémunération, n'est sans doute pas en mesure – sauf exception – de recruter de façon viable ses cadres scientifiques en fonction des besoins, à moins de se réformer profondément. J'ai donc la conviction qu'il doit être capable de recruter des cadres scientifiques dans les grands corps techniques de l'État.
Le recrutement tel qu'il se fait actuellement à l'École Polytechnique est-il opportun ? Ne faudrait-il pas organiser un recrutement spécifique, voire consacrer une école à part aux cadres scientifiques de l'État ? En effet, à la différence de l'ENA, l'École Polytechnique forme des élèves qui, en majorité, effectuent leur carrière dans l'industrie ou dans les services, la fonction publique demeurant minoritaire. Il me semble pourtant que cette formule est pertinente pour l'État. D'une part, elle lui permet d'accéder à un vivier de très bons élèves dont bon nombre, parmi les meilleurs, choisissent d'entrer au service de l'État – et dont je ne suis pas certain qu'ils auraient suivi la même voie s'ils n'étaient pas passés par l'École. D'autre part, cette formule nous oblige à nous placer résolument dans le cadre de la compétition internationale d'excellence en matière de qualité de formation, car les étudiants venus du monde entier comparent les formations que nous pouvons leur offrir. Nous sommes ainsi encouragés à élever nos formations au meilleur niveau mondial.
J'en viens à la formation et, tout d'abord, aux valeurs qui la sous-tendent. L'École Polytechnique dispense une formation scientifique pluridisciplinaire qui englobe notamment l'économie, les humanités et les sciences sociales – peu nombreuses en effet sont les écoles d'ingénieurs qui, comme la nôtre, emploient un professeur de philosophie. Autre valeur qui constitue l'ADN de l'École : le sens du collectif et de l'intérêt public. Pendant leurs années de scolarité, les élèves de l'École Polytechnique, avec leurs particularités et leur diversité, sont tous placés dans un environnement qui les encourage à adopter cette valeur. Enfin, nous sommes très attachés à l'engagement des élèves, à leur volonté d'agir, à leur audace, à leur capacité de conduire des projets.
Ces trois dimensions – pluridisciplinarité, sens du collectif et de l'intérêt public, et volonté de s'engager – constituent le socle de la formation que nous dispensons. Elles ne suffisent naturellement pas : ceux de nos élèves qui entrent dans les grands corps de l'État doivent suivre des formations complémentaires au sein de leur corps.
De ce point de vue, je tiens à souligner combien l'État doit veiller à ne pas négliger la formation tout au long de la vie. Nous vivons de profondes transformations. Le maniement des grandes bases de données et les flux d'informations sont au coeur de cette vaste transformation, qui touche à d'autres domaines comme l'énergie, par exemple. Le monde dans lequel nous avons été éduqués n'est pas celui dans lequel vivront les prochaines générations. Les fonctionnaires ne peuvent plus rester à l'écart de ce mouvement au cours de leurs carrières.
La notion d'affectation, enfin, est double : s'agissant des affectations immédiates à la sortie de l'École, une réflexion est en cours sur le maintien du classement de sortie comme clef de l'entrée dans les corps et sur ses modalités. Cette notion dépasse toutefois la seule question du premier poste et touche à la gestion des carrières tout au long de la vie. L'État adopte vis-à-vis des fonctionnaires une logique d'employeur à vie, mais il me semble que de nombreuses directions des ressources humaines de l'État sont au fond moins préoccupées de l'employabilité à long terme de leurs cadres à haut potentiel que ne le sont les entreprises privées.