Intervention de Benoit Banzept

Réunion du 16 mars 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Benoit Banzept, pour la Fédération CFTC des fonctionnaires et agents de l'état :

Le mot d'isolement a été prononcé mais celui qui nous revient le plus est celui de cloisonnement. Dès le recrutement, on observe une spécialisation et des parcours de carrière assez fléchés. Pour bénéficier d'une promotion, il faut suivre un ordre de postes déterminé. Les exemples sont nombreux, j'en cite un : un maître des requêtes au Conseil d'État qui voudrait être conseiller de l'ambassadeur auprès de l'Union européenne devra d'abord prendre le poste de conseiller juridique au secrétariat général des affaires européennes car la filière est ainsi faite. Ce mode de fonctionnement est identique dans tous les corps. Il faut passer par certains postes pour obtenir la promotion suivante. Il en résulte des embouteillages, de la « placardisation » et une certaine aigreur des agents. Quelle que soit la qualité du travail, les débouchés sont limités.

À qualité égale, la quantité fera la différence. Mes collègues l'ont dit, la politique du « rester tard » est la règle : une journée de moins de quinze heures pour un haut fonctionnaire, c'est quasiment inadmissible, le fautif est considéré comme insuffisamment investi dans son travail. Cela porte atteinte à la vie de famille, augmente le stress et explique peut-être la faible féminisation, dans un pays latin où la tradition veut que les femmes restent à la maison pour s'occuper des enfants. Cette politique du « rester tard » ne se retrouve ni en Allemagne, ni au Royaume-Uni, alors que ces pays possèdent une fonction publique de qualité. Cette politique est à l'évidence liée au faible nombre de postes de débouché. Pour se démarquer, il faut occuper le terrain.

Deuxième constat, ce cloisonnement empêche la mobilité. En dépit des réformes pour la rendre obligatoire, la mobilité est vécue comme une échappatoire ou un purgatoire. Elle peut être un purgatoire pour celui qui a un bon poste dans l'administration centrale et qui doit aller dans l'administration territoriale : il y restera le moins longtemps possible avant de revenir. Elle peut être une échappatoire pour un magistrat administratif, avec des indicateurs de 80 dossiers par mois, qui essaiera d'obtenir un détachement pour pouvoir intégrer le corps des administrateurs civils ; pour ce dernier, la mobilité vise, dans la mesure du possible, à réorienter sa carrière.

L'évolution passe par l'harmonisation des conditions de rémunération et des statuts – de brillants juristes de la direction des affaires juridiques de Bercy feraient peut-être de très bons magistrats, certains d'entre eux souhaitent s'engager dans cette voie mais ils ne le font parce qu'ils vont perdre un tiers de leur salaire en quittant le ministère des finances. Il faut aussi harmoniser les moyens : il est difficile d'envisager un poste dans l'administration préfectorale quand, depuis 2007, 9 000 postes ont été supprimés dans les préfectures et sous-préfectures.

Le décloisonnement exige également une valorisation de la mobilité. En France, la mobilité est très peu valorisée, à la différence de nos homologues anglais, pour lesquels un poste à l'étranger fait partie d'un parcours de carrière habituel pour obtenir une promotion. En France, cela n'est pas le cas alors même qu'il y aurait des débouchés et de véritables enjeux comme la haute fonction publique au niveau de l'Union européenne par exemple. Le lien, il faut le reconnaître, est assez ténu entre la haute fonction publique française et les institutions européennes : le nombre de postes est réduit et les passerelles sont peu nombreuses.

Enfin, en matière de formation, la polyvalence ainsi que le développement d'une culture et d'un savoir-faire de coordination interministérielle nous paraissent très importants. Deux éléments plaident en faveur de cette évolution : le nombre de postes diminue, les problématiques deviennent interministérielles. Cette polyvalence pourrait être développée par une plus grande mobilité qui elle-même serait favorisée par une harmonisation des conditions d'emploi. Cette question nous paraît au coeur des réformes à conduire pour les carrières de la haute fonction publique.

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