Je voudrais tout d’abord rendre hommage à Jacques Moignard, suppléant de la ministre Sylvia Pinel, pour le travail qu’il a réalisé dans le cadre du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et dans le sillage duquel mon intervention s’inscrit. L’évolution de notre société, mais aussi les prises de conscience successives sur les conditions de traitement des femmes nous amènent, aujourd’hui, à l’occasion du rapport de Mme Crozon, à poursuivre la marche entreprise.
Au-delà de l’évolution législative et des actions très concrètes issues des plans quinquennaux, les situations de discrimination faites aux femmes et les violences intrafamiliales restent un fléau dont l’ampleur est alarmante – votre rapport en témoigne. Victime d’homicide au sein d’un couple, une femme décède en moyenne tous les 2,7 jours en France – c’est un chiffre qui reviendra en boucle. C’est pourquoi jamais nous ne débattrons suffisamment de la question du droit des femmes et des violences qu’elles subissent.
Pourtant, quand une femme est tuée, on parle toujours d’homicide et souvent, dans les médias, ce crime est qualifié de faits divers ou de drame familial. Dans une société misogyne, où les violences masculines contre les femmes sont répandues et banalisées, la haine des femmes va jusqu’au meurtre. Rappelons également que certaines pratiques culturelles prétendent que les filles valent moins que les garçons et que dans différentes cultures, la haine misogyne tue.
Ces crimes passionnels ne sont pas des homicides ; en France, ils doivent être nommés des féminicides. Les mobiles et circonstances de ces meurtres nous en donnent la réponse. Un meurtre infrafamilial survient toujours après une longue série de violences machistes : harcèlement psychologique, violences physiques, viols, menaces de mort.
Un homme tue sa femme pour deux raisons principales, l’adultère réel ou supposé et la séparation. Il perd contrôle de son corps, elle lui montre qu’elle ne lui appartient plus. Elle veut lui échapper, il la tue. Il est temps de reconnaître que le féminicide est un crime spécifique misogyne qui doit être reconnu et jugé comme tel. Comme le disait Simone de Beauvoir « nommer c’est dévoiler, et dévoiler c’est agir ». Alors n’hésitons plus à dire les choses.
La France a ratifié le 4 juillet 2014 la convention d’Istanbul, qui avait pour objectif de protéger les femmes contre toutes formes de violence. Pourtant, notre droit ignore encore la domination entre hommes et femmes et ne prend pas encore assez en compte la portée misogyne des meurtres de femmes. Il est temps d’appliquer cette convention en reconnaissant et en luttant efficacement contre le féminicide, comme l’ont fait les pays d’Amérique latine, le premier ayant été le Costa Rica. Plus près de chez nous, l’Espagne et l’Italie ont intégré la notion de violence du genre dans leur code pénal.
Oui, il faut reconnaître le féminicide dans la loi. Pour lutter contre ces violences, il faut faciliter le dépôt de plainte. Une fois qu’elle est présentée, elle ne pourra plus être retirée et une suite lui sera donnée. Il faut aussi revoir la question des moyens de lutte contre les violences au sein du couple et de protection des femmes victimes.
Pour prévenir les drames humains, il est nécessaire de mieux assurer la prise en charge rapide et adaptée des femmes victimes de violences, et c’est bien là que le bât blesse, au-delà de l’aspect de la formation des professionnels.
Le lundi matin, dans l’Aisne, dans ma circonscription, nombreuses sont souvent les femmes battues dans ma permanence, à la recherche d’un logement. C’est la double peine pour elles. Comme en Italie, imposons l’expulsion des maris violents du domicile familial et non celle de la femme. Soutenons financièrement les victimes. Souvent, les addictions, alcool, drogue, sont associées aux violences faites aux femmes. Sur ces aspects très concrets, interrogeons-nous sur les moyens mis à disposition des collectivités. J’y reviendrai dans ma question tout à l’heure.
Sur le fond, ayons le courage de rappeler que la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes, ce qui conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes et prive ainsi les femmes de leur pleine émancipation.
La violence structurelle à l’égard des femmes est fondée sur le genre. C’est l’un des mécanismes sociaux, cruciaux, qui contribue à maintenir les femmes dans une position de subordination par rapport aux hommes.
Nos démocraties sont encore loin d’avoir atteint l’idéalement correct en matière d’égalité entre les hommes et les femmes.
La philosophe Geneviève Fraisse montre clairement que, dans l’histoire de la lutte pour l’émancipation et l’égalité des femmes, la société, que ce soit dans sa sphère publique ou dans sa sphère privée, reste fortement marquée par la séparation des genres, et il faut reconnaître qu’au-delà des progrès réalisés et des évolutions, la place dévolue aux hommes reste bien dominante.
Oui, l’égalité homme femme, c’est l’objectif pour faire reculer la violence mais aussi emporter notre société vers une société plus juste. A l’exemple des thèses de Charles Fourier, féministe convaincu, pour qui l’extension des droits des femmes est le principe général de tous progrès sociaux.
Pas de chemin pour l’émancipation des hommes et des femmes si les femmes n’ont pas la même place que les hommes.
Appeler les femmes sexe faible est une diffamation, c’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes. Comme Gandhi nous y invite, comme Aragon le citait, faisons de notre avenir le choix de non-violence envers la femme, faisons de la femme l’avenir de l’homme, un avenir plus juste, plus humain et plus fraternel.