Monsieur le président, madame la rapporteure, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs les députés, le rapport d’information de Pascale Crozon sur les violences faites aux femmes, publié le 17 février 2016 au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, était attendu et a été salué. Je me félicite également du travail réalisé.
Ce rapport nous rappelle que les femmes subissent des violences de manière massive, des violences protéiformes, mais constituant un véritable continuum, partant des représentations dégradantes jusqu’aux crimes sexuels et aux meurtres conjugaux. Les violences conjugales sont certainement la forme la plus connue des violences faites aux femmes. Chaque année, 223 000 femmes en sont victimes, et 134 en sont mortes l’année dernière.
Il y a d’autres formes de violences que subissent les femmes dans le cercle proche, les violences sexuelles notamment, puisque 84 000 femmes majeures sont chaque année victimes de viols ou de tentatives de viol et que, dans 90 % des cas, la victime connaît son agresseur. Il y a les violences dans la rue : 100 % des femmes disent avoir été victimes de harcèlement sexiste ou de violences sexuelles, selon un rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Il y a les violences au travail : 80 % des femmes salariées considèrent que, dans le monde du travail, elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou à des décisions sexistes. Il y a les violences économiques, comme le non-paiement des pensions alimentaires.
Toutes ces violences, diverses en apparence, sont cependant sous-tendues par la même idéologie qui structure, encore trop souvent, les relations entre les femmes et les hommes. Cette idéologie, c’est le sexisme, qui érige la différence sexuelle, biologique, en différence fondamentale entraînant un jugement sur l’intelligence, les comportements et les aptitudes de la personne qui en est victime.
Les manifestations du sexisme, ce sont les violences que j’ai décrites, mais ce peuvent être également des pratiques qui semblent anodines : des « blagues » sexistes, auxquelles on doit trop souvent rire, quitte à se forcer parce qu’elles ne sont pas toujours drôles ; une publicité ou un clip vidéo, qui représentent une femme dénudée et sexualisée pour vendre davantage de voitures ou susciter de l’audience ; une série qui laisse aux femmes des rôles plus que secondaires, voire de demeurées.
Quelles que soient leurs formes, qu’elles soient visibles ou insidieuses, conscientes ou non, ces violences ont en commun un objectif : rappeler à l’ordre, blesser, humilier, exclure, remettre les femmes « à leur place », comme l’a si bien dit Annie Ernaux. Si la situation vécue par chaque femme est singulière, il y a là un phénomène partagé par toutes les femmes, un phénomène collectif. Nous devons être sûrs de cela : il n’y aura pas d’égalité entre les femmes et les hommes, sans une lutte implacable contre toutes les formes de violences faites aux femmes. La lutte contre les violences est constitutive du combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Pour cela, il faut prévenir les violences, protéger les victimes et sanctionner les auteurs. Ceci est valable en France, et partout sur la planète. Je me réjouis du jugement rendu la semaine dernière par la Cour pénale internationale à l’encontre de Jean-Pierre Bemba, reconnu coupable de crime contre l’humanité, de crime de guerre, notamment pour les viols commis par ses troupes entre 2002 et 2003 en Centrafrique. Bien sûr, beaucoup reste à faire face à l’ampleur et à la persistance des violences sexuelles dans les conflits. Mais ce jugement, c’est une étape décisive, qui marque la fin du temps de l’impunité.
L’engagement du Gouvernement est total pour faire reculer les violences faites aux femmes. De nouvelles dispositions législatives ont été votées. Dès août 2012, nous avons rétabli le délit de harcèlement sexuel. La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014 a renforcé les dispositifs de lutte contre les violences : généralisation du téléphone « grand danger » ; éviction du domicile du conjoint violent ; stages de responsabilisation pour les auteurs de violences ; et renforcement de l’ordonnance de protection.
La proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel est un texte historique et de progrès, qui sera adopté définitivement, ici même, la semaine prochaine, et je l’inscris parmi les textes relatifs à la lutte contre les violences faites aux femmes. Jamais le droit n’a été aussi complet. Faut-il aller plus loin ? C’est un vrai débat auquel il faudra associer le garde des sceaux.
Je crois aussi que la loi ne peut pas tout et que la formation de l’ensemble des professionnels, comme vous avez été nombreux à l’évoquer, est aussi une clé. Avec la MIPROF – mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains –, que nous avons créée en 2013, plus de 250 000 professionnels ont déjà été formés.
Pour faire de la loi une réalité, nous avons impulsé et mettons en oeuvre trois plans d’action : le quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes 2014-2016 ; le premier plan de lutte contre la traite des êtres humains 2014-2016 ; ainsi que le plan contre le harcèlement sexuel et les violences sexistes dans les transports. Le travail fourni porte ses fruits et nous pouvons observer des avancées tangibles.
Les moyens spécifiques consacrés aux violences faites aux femmes ont été doublés et s’élèvent à 66 millions d’euros sur une période de trois ans. C’est une priorité de notre action : la lutte contre les violences faites aux femmes représente près de 75 % du budget « droits des femmes » de mon ministère. Des dispositifs ont été créés pour favoriser la dénonciation des violences. Le 3919, numéro unique pour orienter les femmes victimes de toutes violences, gratuit et ouvert sept jours sur sept, a été renforcé. En 2014, plus de 50 000 appels ont été traités.
Un protocole a été établi pour réaffirmer le principe du dépôt de plainte et améliorer la réponse apportée sur le plan judiciaire et social à toute femme qui révèle une situation de violence auprès de la police ou de la gendarmerie ; 81 protocoles départementaux sont désormais signés – leur nombre a été doublé en 2015 ; 241 intervenants sociaux sont désormais présents en commissariats et dans les brigades de gendarmerie – ils seront 350 d’ici à un an – pour que la victime puisse trouver, dès sa première visite en commissariat ou dans une brigade, les réponses utiles à la rassurer sur l’hébergement, la prise en charge de ses enfants ou l’accompagnement judiciaire, social et sanitaire.
Des dispositifs ont été créés pour protéger les femmes victimes : 1 650 nouvelles solutions d’hébergement d’urgence auront été créées d’ici à 2017 – 1 147 l’ayant déjà été, 70 % de l’objectif est atteint. Le téléphone « grand danger » a été généralisé et 400 téléphones sont aujourd’hui actifs. Il y en aura 500 d’ici à la fin 2016. Je rappelle que ce téléphone portable dispose d’une touche « raccourci » préprogrammée, pour joindre en cas de grand danger un service de téléassistance accessible sept jours sur sept et permettre l’intervention la plus rapide des forces de l’ordre. Désormais, ce sont 160 espaces de rencontre qui existent et permettent la continuité des relations entre l’enfant et son père, sans nouvelle mise en danger des enfants ou du parent victime.
Comme je vous l’ai déjà dit, 250 000 professionnels pouvant être au contact de femmes victimes de violences ont été formés, dans la police, la gendarmerie et la justice, des magistrats et des avocats, mais aussi des médecins et des sages-femmes, ainsi que des travailleurs sociaux. La formation est essentielle pour améliorer la connaissance des mécanismes de la violence, notamment l’emprise, pour améliorer le repérage, l’accompagnement et la protection des victimes, et pour faciliter la création d’une culture commune et de partenariats chez l’ensemble des travailleurs en contact avec des publics susceptibles d’être soumis à des violences.
Le Gouvernement agit également contre les violences économiques. Cela est important, car souvent les violences se conjuguent. Les situations de précarité que subissent notamment les femmes cheffes de familles monoparentales sont un sujet connexe aux violences intrafamiliales. Pour cela, les crèches à vocation d’insertion professionnelle sont développées. Nous travaillons actuellement à la création d’une agence de recouvrement des pensions alimentaires, ainsi qu’à des solutions de répit en faveur des familles monoparentales, que nous expérimenterons dans plusieurs territoires.
Enfin, le Gouvernement agit pour faire reculer les stéréotypes, ces représentations qui légitiment les inégalités ou les violences, qui les banalisent et leur donnent l’apparence de normalité. Ce sont des mots, des images, des propos qui n’ont l’air de rien alors qu’ils contribuent à rendre les violences invisibles. En écho à la campagne contre le racisme lancée la semaine dernière par le Gouvernement, dont vous avez probablement vu les spots, nous pouvons dire aussi que le sexisme commence par des mots, continue par des mains aux fesses et finit par des coups, du sang et des bleus. Les mots sont importants, c’est pourquoi, à l’occasion de la soixantième session de la commission des Nations unies sur la condition de la femme, qui s’est réunie il y a deux semaines à New York, j’ai demandé que le féminicide – terme qu’a évoqué Eva Sas – entre dans le vocabulaire diplomatique, et j’ai appelé à la reconnaissance du féminicide des femmes yézidies par Daech.
Je poursuivrai le travail de fond mené depuis maintenant dix ans pour faire reculer les violences faites aux femmes en me donnant trois priorités. Je souhaite que la lutte s’enracine en pratique dans l’ensemble des territoires : tous les acteurs doivent être mobilisés pour faire reculer ces violences, notamment dans les territoires ruraux où nous identifions des zones « blanches » trop importantes en matière d’accès aux associations. En territoire rural, il est parfois plus difficile pour une femme de trouver un interlocuteur. Les associations spécialisées dans la lutte contre les violences faites aux femmes ne pouvant couvrir la totalité du territoire, il est nécessaire que l’ensemble des travailleurs sociaux – la maison de famille rurale, le centre social rural, ainsi que tous les services publics en contact avec les enfants, les parents et les familles – soient formés au repérage et à l’accompagnement des femmes victimes de violences intrafamiliales, notamment dans les territoires d’outre-mer.
Les violences à l’encontre des enfants représentent un autre sujet auquel je suis particulièrement sensible. Le périmètre de mon ministère me donne en effet une vue globale des violences intrafamiliales et de leurs victimes : les femmes et les enfants. Comme le note avec raison le juge Édouard Durand, protéger la mère, c’est protéger l’enfant. Des questions méritent encore d’être soulevées, par exemple sur l’exercice de la parentalité dans les situations de violence. Parfois, on pense qu’un un mari ou un compagnon violent peut rester un bon père ; peut-être, mais l’on ne saurait le présupposer et il ne faut avoir aucun a priori sur cette question.
Guy Geoffroy évoquait tout à l’heure à juste titre le silence et le tabou qui, pendant des siècles, ont entouré et isolé les femmes victimes de violences dans les familles. J’ai parfois l’impression que, s’agissant des enfants, nous en sommes encore à cette situation.