Monsieur Moreau, l'Union européenne s'est construite sur les principes de liberté du commerce et de l'industrie et de libre circulation des capitaux. Le traité de Lisbonne, en instaurant, au rang de ses principes, la concurrence libre et non faussée a accentué l'idée selon laquelle l'UE devait se fixer pour objectif l'accroissement de la liberté commerciale au-delà de ses frontières. Cette direction a été suivie à tel point que l'ensemble des politiques engagées ces dernières années ont été de nature libre-échangiste. Un accord de libre-échange vient ainsi d'être signé avec la Corée du Sud dont une des principales dispositions prévoit l'abaissement, chaque 1er juillet, de 2 % des droits de douane. Inverser ce mouvement requiert donc une expression politique que le Gouvernement français souhaite porter. Ainsi, le Président de la République a mis à l'ordre du jour du dernier Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement la question de la réciprocité. Il s'agit maintenant de traduire cette volonté dans le droit de l'Union, ce qui ne pourra être accompli qu'au terme d'une longue bataille. Nous allons demander à la Commission européenne l'application des règles de protection dans les secteurs et pour les filiales qui connaissent une déstabilisation. Cette politique ne diffère en rien de celle conduite partout ailleurs dans le monde. Nous allons également défendre l'adoption de la taxe carbone qui traduit un choix de vie privilégiant des préférences environnementales que d'autres régions du monde ne partagent pas.
Au demeurant, l'Europe est l'un des plus grands marchés mondiaux. Son déficit commercial avec la Chine s'élève, certes, à 150 milliards d'euros – dont 27 milliards d'euros pour la France et 22 milliards pour l'Allemagne, pourtant présentée comme un modèle –, mais il traduit le fait que l'Union est l'un de principaux clients de ce pays, ce qui lui confère une influence auprès de ce dernier pour demander un rééquilibrage des relations commerciales.
En ce qui concerne la question du gaz de schiste, elle sera abordée lors de la conférence environnementale qui se tiendra à l'automne prochain. L'exploitation des gaz de schiste pose des problèmes environnementaux et démocratiques sérieux. Des évolutions technologiques sont possibles mais la nation doit choisir sa politique en la matière en toute transparence.
M. Herth peut être rassuré sur ma proximité de pensée avec le Président de la République. Je suis également en phase avec mes collègues du Gouvernement. M. Hugo Chavez est une référence négative dans mon esprit mais nul n'est besoin d'invoquer son exemple pour se rendre compte que la puissance publique a toute légitimité pour se pencher sur le contrôle des ressources naturelles. C'est ce que font d'ailleurs l'Allemagne, le Japon ou les États-Unis. Ma position personnelle est de défendre le contrôle par l'État – je l'ai dit aux dirigeants de l'industrie pétrolière française – des ressources naturelles du pays. Cette question sera au coeur de la réforme du code minier.
Dans le dossier Fralib, je tiens tout d'abord à rendre hommage à la lutte sociale. Des ouvriers et des cadres de cette entreprise ont été méprisés pendant 600 jours. Ils souhaitaient simplement la faire vivre et avaient élaboré un projet de société coopérative et participative, une Scop. Le Gouvernement a tout d'abord insisté pour que soient reconnues l'existence et la dignité de cette lutte sociale afin de faire comprendre à Unilever, qui possède cette unité de production d'ensachage de thé, qu'il était préférable de dialoguer. Ce groupe a accepté la discussion et a retiré les poursuites qu'il avait engagées contre certains salariés. Je remercie Unilever de ce changement d'attitude ainsi que d'avoir laissé sur le site les machines dont les salariés et les collectivités locales sont dorénavant propriétaires. Les conditions pour atteindre un bon compromis sont donc maintenant réunies. Notre objectif est que les salariés retrouvent un travail. Dans cette optique et avec l'aide de l'AFII, nous étudions l'implantation de projets extérieurs sur le site de Gémenos. Je regrette que cette démarche d'apaisement du conflit et de recherche d'une solution n'ait pas été conduite plus tôt.
Ces dernières années ont été marquées par une forte instabilité fiscale. Nous souhaitons rompre avec cette politique et stabiliser l'environnement dans lequel évoluent les entreprises. Le dispositif du crédit d'impôt recherche fonctionne bien. Des ajustements peuvent être débattus au Parlement mais nous privilégions le maintien de l'économie générale de ce crédit d'impôt.
Nous sommes très confiants dans le processus d'industrialisation du véhicule électrique que mène Renault. Il s'agit là d'un projet avant-gardiste qui va se concrétiser dans le modèle Zoé dont la sortie des usines de Flins est prévue dans les prochaines semaines. Le développement de cet avantage comparatif doit être soutenu par la puissance publique de même que notre marche vers l'hybride et l'électrique. Quant à la localisation des sites de production, elle se situe au coeur de nos préoccupations : au reste, un audit des difficultés existantes a commencé avec le directoire de Renault.
S'agissant de notre politique fiscale, vous n'ignorez pas, monsieur Taugourdeau, que le Gouvernement a hérité d'une dette publique écrasante. Puisque nous ne pouvons ni vivre ni financer notre protection sociale à crédit, nous sommes contraints de conduire une politique courageuse de redressement des comptes publics dont nous aurions aimé que nos prédécesseurs l'aient engagée.
Le groupe Rio Tinto Alcan a pu mener, grâce à une décision de la Commission européenne, une OPA hostile sur le groupe Péchiney il y a quelques années. Des regrets peuvent être exprimés sur la réalisation de ce rachat, la Commission européenne ayant refusé, dans un premier temps, que Péchiney puisse acquérir Alcan. Notre but est le maintien de cette activité industrielle rentable. La France importe la moitié de l'aluminium dont elle a besoin, situation inacceptable dans le pays qui a, le premier, en 1906, développé l'utilisation industrielle de l'aluminium. Si, dans le dialogue qui va s'ouvrir avec Rio Tinto, il apparaissait que ce groupe souhaitait ne plus posséder cette usine, nous tâcherions de trouver une solution alternative afin que le site puisse continuer de fonctionner. L'inquiétude que vous nourrissez, madame Santais, pour l'avenir de la filière aluminium et le maintien de la production sur le site de Dunkerque est légitime quand on constate le démantèlement des implantations du groupe Péchiney sur le territoire national : elles appartiennent souvent à des fonds d'investissement étrangers dont les préoccupations divergent, pour le moins, des nôtres. À nous d'imaginer la constitution d'un groupe d'aluminium français, voire européen.