Intervention de Dominique Plihon

Réunion du 22 mars 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Dominique Plihon, professeur d'économie à l'université Paris-Nord, porte-parole d'Attac :

Le CAC qualifie d'illégitime la dette qui résulte de dépenses qui n'ont pas été effectuées dans l'intérêt général. Parmi les 400 niches fiscales, on trouve des exonérations d'impôt pour les plus-values réalisées par les éleveurs de chevaux de course ou pour les fabricants de pipes à Saint-Claude ; la liste de ces dépenses fiscales contient des mesures qui, même si elles n'entraînent pas les préjudices les plus importants pour les finances publiques, sont prises dans un unique but de clientélisme électoral.

Je fais partie des économistes qui dénoncent depuis trente-cinq ans le tournant monétaire opéré au début des années 1980 qui a renversé le rapport de force entre les créanciers et les débiteurs ; avant 1980, les emprunteurs parvenaient à imposer des taux d'intérêt relativement bas et des taux d'inflation plus élevés qui érodaient le poids de la dette. Des dirigeants comme Ronald Reagan, Margaret Thatcher ou Jacques Delors ont cherché à redonner au capital financier le pouvoir qu'il avait perdu ; ils ont ainsi libéralisé la circulation du capital, la mobilité de celui-ci conférant un pouvoir énorme à ses détenteurs, qui ont pu délocaliser et relocaliser les activités économiques à leur guise.

Cette politique a entraîné une montée des taux d'intérêt dans le monde, et d'abord aux États-Unis où ils ont doublé, passant de 10 à 20 %. Les pays latino-américains, fortement endettés en dollars, se sont retrouvés au bord de la faillite dans les années 1990. L'augmentation des taux a entraîné une croissance du poids de la dette, cette hausse possédant un caractère illégitime puisqu'elle était contraire aux intérêts de la majorité des acteurs et ne bénéficiait qu'aux détenteurs de titres de la dette.

Le concept de soutenabilité de la dette s'avère au moins aussi intéressant que celui de sa légitimité. On considère qu'une dette est insoutenable lorsque son évolution et son niveau sont tels que son remboursement induit l'appauvrissement du pays. La Grèce fournit l'exemple d'une dette insoutenable : à la veille de la crise, l'endettement public atteignait 100 % du PIB alors qu'il dépasse 200 % aujourd'hui. L'effet boule de neige et l'évasion fiscale ont joué un rôle prépondérant ; les Grecs paient des taux d'intérêt très élevés et ont connu six à sept années de récession. On impose un remède de cheval à un pays dont on sait pertinemment qu'il ne pourra pas le guérir. Il existe des raisons politiques à cet acharnement qui, sur le plan du raisonnement économique, s'avère absurde.

La dette de la France n'est pas insoutenable, et notre pays pourrait retrouver une situation satisfaisante s'il appliquait certaines mesures et si la crise économique ne durait pas trop longtemps. Le remboursement de la dette apparaît tout à fait possible sans que la population française ne s'appauvrisse. La dette est constituée d'un flux et d'un stock, ce dernier correspondant à l'endettement contracté dans le passé. Certains bons du Trésor sont émis à des taux nuls voire négatifs aujourd'hui, mais ils ne concernent que les nouveaux emprunts. Le stock de la dette recouvre des prêts consentis à des taux d'intérêt bien plus élevés, pouvant atteindre 4 ou 5 %, ce niveau se révélant bien supérieur au taux de croissance de l'économie, compris entre 0 et 1 %. Le taux d'intérêt sur l'encours de la dette étant supérieur à celui de la croissance, l'effet boule de neige existe. Sans être critique, la situation des finances publiques françaises est moins bonne que celle de certains de ses voisins dont l'Allemagne, mais notre pays emprunte à des taux négatifs. Pourquoi ? Les marchés financiers, notamment obligataires, évoluent dans un climat de grande incertitude dans lequel les dettes publiques des grands pays, et notamment celle de la France, représentent une sécurité recherchée. Les investisseurs acceptent donc de payer une prime de risque négative. En outre, l'État français est solide ; malgré l'importance de l'évasion fiscale, le système de recouvrement des impôts fonctionne efficacement, contrairement à celui de la Grèce.

L'Agence France Trésor (AFT) emprunte pour restructurer la dette, c'est-à-dire qu'elle utilise les taux bas pour rembourser plus rapidement, dans la mesure du possible, une dette qui lui coûte cher ; elle cherche à faire tourner la dette – phénomène du roll over – pour diminuer le taux moyen pesant sur la dette. Cette politique rencontre néanmoins des limites, et le coût moyen du stock de dette reste élevé.

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