Intervention de Dominique Plihon

Réunion du 22 mars 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Dominique Plihon, professeur d'économie à l'université Paris-Nord, porte-parole d'Attac :

Si vous demandez une renégociation de la dette, les créanciers vont se déclarer, surtout s'ils craignent de perdre de l'argent. L'opacité sur la détention de la dette constitue en effet un vrai problème, mais il n'est pas impossible pour le Trésor de connaître une partie des créanciers. On sait déjà que deux tiers de la dette sont détenus par des investisseurs non-résidents.

Je ne suis pas opposé à l'utilisation de la fiscalité comme instrument d'incitation. Il est utile de prévoir des exonérations fiscales pour favoriser tel investissement ou telle opération. En revanche, les dépenses fiscales servant les intérêts particuliers m'apparaissent illégitimes.

L'évaluation des dépenses publiques, y compris fiscales, se révèle insuffisante en France. Le CIR, dont l'idée est bonne car il faut cibler la recherche, coûte entre 5 et 8 milliards d'euros par an au budget de l'État, et des rapports, rédigés par l'Assemblée nationale et par la Cour des comptes, ont montré qu'une partie du CIR était utilisée à des fins d'évasion fiscale par les entreprises transnationales. L'absence de réforme de ce dispositif apparaît donc incompréhensible ; on mesure le poids des lobbys, mais les élus et le Gouvernement doivent étudier régulièrement l'efficacité des dépenses fiscales, notamment les plus importantes. Or la France est l'un des pays avancés où les dépenses de recherche privée rapportées à la valeur ajoutée sont les plus basses ; le Royaume-Uni, l'Allemagne et le Japon bénéficient d'investissements privés dans la recherche bien plus dynamiques. Notre dispositif, coûteux, vise à stimuler les dépenses de recherche des entreprises, mais, au bout de plusieurs années, notre pays ne comble pas son retard sur ses concurrents européens en matière d'innovation technologique. La France n'a donc peut-être pas l'instrument approprié de stimulation de la recherche, et nous avons besoin d'un débat public régulier sur les dépenses fiscales.

Une dépense d'investissement de l'État ou d'une entreprise représente une dépense pour l'avenir. Il faut sanctuariser les dépenses d'investissement que l'on considère porteuses d'avenir. La recherche entre dans cette catégorie, de même que l'éducation, les infrastructures ou la transition énergétique. Assainir les dépenses implique de les différencier, de protéger certaines d'entre elles et de régulièrement les passer au crible.

Une personne possédant de hauts revenus et détenant des titres de la dette française bénéficie à la fois de la rémunération de sa créance et d'exonérations fiscales très avantageuses. On doit débattre de ce sujet crucial sur la place publique.

La dette publique s'avère nécessaire et inévitable dans un grand pays moderne comme la France. L'une des missions de l'État consiste à assurer la cohérence intergénérationnelle de la société. Il est normal et sain que le coût de la construction d'un hôpital, d'une route ou d'une école que trois générations utiliseront pendant soixante ans ne soit pas totalement supporté dans le présent ; toutes les générations profitant de l'infrastructure doivent participer à son financement, et l'endettement permet ce transfert intergénérationnel. Cela est fondamental pour la pérennité d'une société, si bien que le discours psalmodiant l'inopportunité de transmettre de la dette à nos enfants ne prend pas en compte l'utilisation de la dépense publique. Le poids des actifs de la France est bien supérieur à celui de sa dette, et notre pays fait partie de ceux ayant les actifs nets publics les plus élevés.

En outre, là où il y a des marchés financiers, on a besoin de la dette publique comme instrument de référence, car il s'agit du placement le moins risqué. Les agents opérant sur les marchés financiers ont besoin de ces taux de référence pour décider d'investir, de prêter ou d'emprunter. Au pied de la courbe des taux d'intérêt, on trouve les taux sans risque, généralement ceux des titres publics. J'ai effectué plusieurs missions dans des pays en voie de développement souhaitant développer leur système financier, notamment obligataire ; je leur conseillais de prendre leur temps, d'attendre d'avoir suffisamment d'émissions pour rendre leur marché liquide et de gérer leur dette publique de façon à ce que ses titres jouent l'indispensable rôle de référence pour l'ensemble du système financier.

Si une crise obligataire profonde atteignait demain les dettes privées et publiques, le système financier entrerait dans une situation très grave car les acteurs risqueraient de perdre le point de référence du taux d'intérêt appliqué à la dette publique. Je ne suis pas un fanatique du développement à outrance des marchés financiers – nous empruntons d'ailleurs trop sur le marché obligataire et pas assez auprès des banques, ces dernières devant être réformées –, mais il faut disposer d'un marché obligataire, celui-ci ayant besoin de la dette publique pour bien fonctionner.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion