Intervention de François Asensi

Séance en hémicycle du 31 mars 2016 à 15h00
Débat sur l'accueil des réfugiés en europe

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des migrants et les réponses de l’Europe renvoient à la civilisation sur laquelle se fondent nos sociétés démocratiques. Héritière des Lumières et de la Révolution française, la France doit s’interdire de fouler aux pieds les valeurs fondamentales de la République sur laquelle s’est constituée la nation française, dans une création continue nourrie par l’apport des vagues d’immigration successives depuis le début du XXe siècle. Cette nation est ouverte sur le monde, accueillante pour les opprimés et les persécutés, gardienne des droits de l’homme et du citoyen. Cette humanité « aux peuples étrangers qui donnait le vertige », comme l’a chanté le poète, est notre fierté. Nous voulons la faire partager aux peuples d’Europe.

Hélas, trois fois hélas, cette ode à la liberté s’est éteinte au profit des marchands, des comptables, de l’argent roi qui livrent les citoyens et les États européens à une concurrence impitoyable. La France a renâclé à être le moteur d’une politique volontaire d’accueil des réfugiés. Je réprouve avec force les propos de Manuel Valls qui, lors de son discours de Munich, affirmait que « l’Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés ».

La vague migratoire de 2015 a sérieusement enrayé le fonctionnement de l’Union européenne. L’envie d’Europe est trahie, le continent se fracture sous les coups portés par les identitaires chauvins et nationalistes qui s’abreuvent d’une austérité génératrice de chômage et de mal-vie. Le discours de défiance du Premier ministre nous aligne sur les politiques les plus rétrogrades en matière de droit d’asile. Travailleurs détachés, dumping social, concurrence fiscale : les armes de la concurrence libre et non faussée sont chargées. Les gouvernements, pris dans l’étau de la finance, font les lois pour le libéralisme, avatar d’un capitalisme financier qui, sans vergogne, écrase le travail, exploite les agriculteurs, méprise les intellectuels. Qui peut croire que ce terreau européen ne favorise pas l’extrémisme fascisant, l’apparition de gouvernements chauvins et populistes où le seul ennemi est l’étranger ?

Vingt ans après la chute du mur de Berlin, de nouveaux murs se dressent, alors que les « damnés de la Terre », qui fuient l’horreur de la guerre, la faim et la misère, sont rejetés et persécutés dans cette Europe forteresse. Depuis vingt-cinq ans, l’Union européenne a multiplié les dispositifs destinés à limiter les migrations. Le lancement de l’agence Frontex en 2005 en est le meilleur exemple. L’Europe libérale est aujourd’hui prête à toutes les concessions avec la Turquie pour ne pas accueillir de réfugiés, s’appuyant sur un mécanisme diabolique, « Syrien contre Syrien ». Tous les migrants irréguliers arrivant de Turquie sont susceptibles d’y être refoulés. Cet accord nécessitera des moyens considérables pour que les pays d’entrée, comme la Grèce ou l’Italie, isolés face à la crise, puissent accueillir et traiter l’ensemble des demandes d’asiles déposées.

Monsieur le secrétaire d’État, les milliers de morts, dans des embarcations sommaires ou sur la route des Balkans, tarauderont à jamais nos consciences. L’ensemble du monde associatif, en première ligne après la démission des pays européens, est vent debout contre ces mesures. Du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, tous critiquent la philosophie d’une politique européenne centrée sur la détention et l’expulsion de populations victimes de guerre. La politique européenne met à mort la convention de Genève de 1951 en remettant en question les principes de non-refoulement et de traitement individuel du droit d’asile. L’Europe choisit délibérément de tourner le dos aux traités internationaux, ce qui ne résoudra pourtant pas la crise des migrants.

Contrairement aux idées reçues, nos capacités d’accueil sont loin d’être dépassées. Notre histoire regorge d’exemples contraires. Ainsi, la France, à peine remise de la crise des années trente, a-t-elle accueilli en 1939 plus de 450 000 républicains espagnols. De même, quarante ans plus tard, lors de la crise des boat people, la France a offert l’hospitalité à près de 130 000 Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens.

Aujourd’hui, seule la volonté politique manque, en France et en Europe, pour poursuivre cette tradition d’accueil. La France doit désormais porter un discours politique fort aux niveaux national et international pour légitimer l’accueil des migrants. Il est temps de tourner le dos à cette Europe forteresse et de créer des ponts entre les continents. Nous devons nous rappeler les paroles de Stéphane Hessel : « Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers : pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés […] »

Pour l’ensemble de ces raisons, les députés communistes et du Front de gauche s’opposent avec résolution à cet accord funeste.

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