Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, nous sommes à peine sortis de la crise économique et financière qui a ébranlé la construction européenne à partir de 2008 que l’Europe est aujourd’hui confrontée à une crise autrement redoutable, autrement dangereuse pour la pérennité de la construction et de l’Union européenne. Faute d’avoir mouché à temps le feu naissant de la guerre civile syrienne et de Daech, l’Europe subit de plein fouet le déferlement de vagues de réfugiés sur les côtes grecques, dans la plus grande confusion politique européenne. La première des confusions pèse de son poids d’équivoques et de non-dits en qualifiant improprement de « migrants » des réfugiés de guerre, sans distinguer ce qu’il y a de libre choix chez les uns et de contrainte vitale chez les autres.
Face à ce flux de familles risquant la mort pour fuir la mort, nous avons assisté à une cacophonie des États européens et au retour du chacun pour soi. Le fier continent de la démocratie, des Lumières et des droits de l’homme est soudain pris de panique devant l’interminable cortège de civils qui fuient les théâtres de guerre et implorent sa protection. Cette crise des « migrants » éclaire tout d’un coup d’une lumière crue l’ampleur de la crise morale qui nous affecte, qui n’épargne aucun pays, sauf peut-être l’admirable peuple grec, et qui plonge les gouvernements dans le dilemme suivant : soit fermer la porte aux réfugiés, soit exposer leurs pays à une pression politique populiste.
Les 17 et 18 mars derniers, le Conseil européen a avalisé un accord, prénégocié bilatéralement entre la chancelière Merkel et le gouvernement turc de M. Ahmet Davutoglu, qui ne laissera pas le souvenir d’un haut fait européen. Certes, face à des événements aussi lourds d’enjeux et de risques, un accord vaut toujours mieux qu’un désaccord et surtout que la débandade européenne qui s’annonçait mais, disons-le honnêtement et lucidement, au-delà des cris d’orfraie qu’il suscite, ce compromis arrange tout le monde parce qu’il n’y a pas d’autre solution, aujourd’hui, sur la table de l’urgence. Cet accord est d’abord le fruit de la volte-face de la politique d’accueil de l’Allemagne, mais il n’est pas sans poser de nouvelles et redoutables questions. Il replace la Turquie dans le jeu européen. Ceux qui, comme moi, sans doute minoritaires, ont déploré que la France ait pris l’initiative de lui fermer brutalement la porte en 2007, n’en sont pas effarouchés par principe. Mais la Turquie d’aujourd’hui, précisément parce que nous l’avons répudiée sans ménagement et que nous avons fragilisé le camp laïc, n’est exempte ni de tentations autoritaires, ni de tentations islamistes radicales, sans parler du conflit intérieur, potentiellement explosif, que son premier ministre Erdogan a cru bon de réactiver contre les Kurdes. L’échange de réfugiés contre la suppression des visas pour les Turcs en Europe a sans doute été conçu comme un marchandage acceptable…