Vous nous interrogez sur la croissance : quelle sera la croissance mondiale ? quelles implications aurait une croissance plus faible ? quelles sont les causes de cet affaiblissement et que convient-il de faire dans la zone euro pour y remédier ?
Nous avons récemment travaillé sur les perspectives de la croissance mondiale, et je peux confirmer les chiffres de Mme Berger : elle était de 4,1 % entre 1997 et 2006, avant de tomber à 3,5 % entre 2007 et 2016, si l'on retient les prévisions actuelles. Cet affaiblissement est essentiellement dû au ralentissement des économies avancées, la croissance des économies émergentes au cours de cette période ayant probablement été excessive au regard de leurs capacités : dans un certain nombre de cas, cette croissance est d'ailleurs assez lourdement révisée à la baisse.
Pour l'avenir, la capacité de rebond des pays avancés après cette phase de très faible croissance s'oppose à des facteurs d'affaiblissement : le vieillissement, le niveau d'endettement, le ralentissement des pays émergents, les problèmes dans la répartition du revenu et la manière dont cela affecte la croissance. Pour la prochaine décennie, nous ne misons donc pas spontanément sur une accélération de la croissance mondiale par rapport à ce que nous avons connu depuis 2007, soit 3,5 %.
Bien sûr, il existe des aléas, tant négatifs que positifs. Parmi les aléas négatifs, on trouve les problèmes d'équilibre entre épargne et investissement ; ou encore la possibilité de problèmes plus marqués encore dans les pays émergents, ce que l'on appelle la trappe à revenus intermédiaires. Un aléa positif réside dans l'éventualité d'un redressement de la productivité.
Comment absorber ce ralentissement de la croissance ? Je n'ai pas bien compris le calcul de Mme Berger. Des valorisations boursières très élevées anticipaient de manière excessive un accroissement de la croissance, mais cela s'est corrigé de manière automatique. Cette correction crée un problème d'effet de richesse, mais pas de problèmes financiers fondamentaux.
Ce qui pose problème, c'est d'absorber un choc lorsque la contrepartie est de l'endettement. C'est l'inquiétude que l'on peut avoir concernant un certain nombre d'économies émergentes, qui se sont endettées en gageant leur endettement sur des perspectives favorables de croissance, qui ne se sont pas réalisées. En ce qui concerne l'Europe, la question de la soutenabilité de nos niveaux d'endettement se pose si la croissance reste aussi faible.
Cela nous amène à la deuxième question de Mme Berger : peut-on croire à des perspectives de croissance aussi faibles pour la zone euro ? Nous ne pensons pas que l'output gap soit fermé, c'est-à-dire qu'il n'y ait aucune capacité de réduction du chômage ou de l'insuffisance relative de la demande dans la zone euro en dehors de toute mesure structurelle. Il est très difficile de prétendre qu'une économie qui connaît 10 % de chômage, avec une inflation trop faible, tourne à pleine capacité. À l'évidence, l'économie de la zone euro ne tourne pas à pleine capacité, mais certaines économies en sont proches, tandis que d'autres sont encore à des niveaux de sous-capacité très importants.
Le problème est que nous ne savons pas bien gérer ces déséquilibres, ce qui se traduit par tous les problèmes de régulation salariale et d'équilibre épargne-investissement dans la zone euro. L'Allemagne a aujourd'hui un excédent du commerce extérieur de plus de 8 points de PIB : il existe donc un déséquilibre interne massif qui se traduit par un déséquilibre externe, l'excédent extérieur de la zone euro.
En plus de ce problème de régulation, il existe aussi un problème de potentiel de croissance de la zone euro. Si une croissance de 0,8 % est très faible, il est indubitable que le potentiel de croissance de la zone euro s'est affaibli. Nous ne pouvons pas raisonner comme si tout notre choc était un choc de demande : nous avons des problèmes structurels, et je partage l'avis d'Hélène Rey : la BCE est dans le vrai lorsqu'elle affirme que ce sont les gouvernements qui ont la responsabilité de prendre les mesures pour accroître le potentiel de croissance, ce n'est pas à elle de le faire.
S'agissant à présent de la bulle obligataire, je ne partage pas l'avis de Michel Pébereau. Je n'aime pas cette expression, parce qu'une bulle est une valorisation qui ne correspond pas aux fondamentaux et à ce que souhaitent les acteurs de la politique publique. En l'espèce, le niveau des taux d'intérêt obligataires correspond exactement à ce que souhaite la BCE. Ce n'est pas une aberration de marché, mais la réponse à une politique systématique d'achat d'actifs pour réduire les taux d'intérêt à long terme afin de relever la demande et l'inflation dans la zone euro.
Cela ne signifie pas que nous n'aurons pas de difficultés au moment de sortir de cette stratégie. C'est toujours délicat, et nous voyons bien toutes les précautions prises par la Réserve fédérale lors de la phase de normalisation. La normalisation à partir d'une politique non conventionnelle très vigoureuse est difficile, du fait des réactions brutales d'une série de segments de marché lorsqu'ils s'aperçoivent que l'orientation s'inverse. Mais nous n'en sommes pas du tout là ; nous réfléchissons à ce que nous ferions si cette politique ne produisait pas les effets attendus, ou s'il y avait un affaiblissement prononcé de la demande internationale. Les dernières déclarations de Peter Praet, économiste en chef de la BCE – bien que partiellement contredites par Benoît Coeuré – semblent confirmer l'hypothèse de l'« helicopter money », c'est-à-dire d'une relance quasi budgétaire organisée par la banque centrale en l'absence de capacités de relance budgétaire collective de la zone euro.
La question se pose néanmoins de savoir comment nous allons en sortir, et il existe en effet le risque qu'un développement obligataire brutal sur le marché américain affecte le marché européen par effet de contagion. Il faut donc être très attentif, surtout compte tenu du niveau d'endettement très élevé que nous connaissons.
S'agissant de la Chine, je partage les inquiétudes exprimées par M. Le Fur. Je crains qu'il ne s'agisse pas d'un simple ralentissement de l'économie chinoise, qui passerait d'une croissance de 8 % à une croissance de 6 %. Le risque d'un ajustement brutal est réel. Rappelez-vous la situation de l'économie française dans les années soixante-dix : la croissance était de 5 %, puis le choc est survenu. Lorsque nous nous sommes réveillés, nous avons constaté que notre potentiel de croissance était sérieusement réduit, et il a été très difficile de surmonter cet obstacle. Cela a été vrai pour la France, pour d'autres pays européens, ainsi que pour le Japon et la Corée.
La transition vers un régime de croissance plus faible est très difficile, car la situation antérieure est caractérisée par un niveau d'investissement excessivement élevé. Lorsque l'on commence à anticiper une réduction de la croissance, il s'opère une révision brutale de l'investissement. Ce sera particulièrement vrai dans le cas de la Chine, qui connaît un taux d'investissement de 45 %, ce qui ne correspond en rien aux besoins d'une économie qui croît à 5 % ou 6 %. Il y a donc un risque de ce point de vue, qui est aussi financier, puisque tout cet investissement est financé par l'endettement d'entreprises publiques pour des projets dont la rentabilité ou le rendement socio-économique est extrêmement faible. Cela risque donc de se répercuter, in fine, dans les comptes publics.
S'agissant du programme d'investissements d'avenir, France Stratégie a publié hier le rapport du comité d'examen à mi-parcours, que j'ai confié à l'ancien président de la Banque européenne d'investissement, Philippe Maystadt. Ce rapport nous a été demandé par Louis Schweitzer, qui souhaitait un regard extérieur sur les résultats obtenus par le PIA. Ce rapport donne un avis positif sur l'innovation que constitue le PIA, les orientations qui ont été données, la recherche de l'excellence et les instruments qui ont été utilisés. Il formule des réserves sur deux points. Tout d'abord, un certain nombre de débudgétisations ont été réalisées à l'occasion du PIA ; le rapport les chiffre à 14 % du montant total, et 35 % du flux de décaissement jusqu'à présent. Le rapport préconise de revenir à la logique spécifique du PIA, et de ne pas s'en servir pour faire de la débudgétisation. Il est également critique sur le paysage universitaire en Île-de-France : autant nous avons connu des succès dans la constitution de pôles universitaires nouveaux en région, autant les choses se passent difficilement en Île-de-France parce qu'un certain nombre d'acteurs ne jouent pas complètement le jeu.
S'agissant de la dimension européenne du PIA, je suis frappé que cet instrument original ne soit pas connu hors de France. J'ai précisément choisi Philippe Maystadt parce qu'il n'est pas français, mais belge, et il a été très intéressé par le PIA. Il considère que c'est une vraie innovation de politique publique qui mériterait d'être reproduite. Selon lui, l'idée d'investir dans le capital humain et dans la connaissance – qui représentent approximativement la moitié du PIA – serait une addition importante au plan Juncker. Pour améliorer ce dispositif, on pourrait construire des instruments permettant d'investir davantage dans la connaissance et dans la formation plutôt que dans les infrastructures traditionnelles.