Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, depuis la révision constitutionnelle du 28 octobre 1962, l’élection au suffrage universel direct du Président de la République est la pierre angulaire des institutions de la Ve République. À l’issue des deux derniers scrutins présidentiels en 2007 et en 2012, les différents organismes de contrôle qui veillaient à leur bon déroulement ont formulé plusieurs recommandations d’ordre technique, recommandations qui ont inspiré la rédaction de la proposition de loi organique dont vous débattez aujourd’hui en lecture définitive.
En effet, il faut souligner la cohérence et la convergence des mesures proposées par le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale de l’élection présidentielle, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et la Commission des sondages. Cet ensemble de mesures permet de moderniser les modalités d’organisation du scrutin, et ainsi d’éviter à l’avenir les contestations récurrentes qui, invariablement, à chaque élection, nourrissent des controverses qui ne débouchent jamais sur aucune réforme, qu’il s’agisse du système des parrainages, du temps de parole accordé à chaque candidat dans les médias audiovisuels, ou encore des règles encadrant la publication des sondages et la divulgation des résultats.
C’est pour remédier à cet état de fait que le Gouvernement soutient l’adoption de la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. Cette adoption contribuera à renforcer le cadre juridique dans lequel se tiendront, dès 2017, les élections présidentielles à venir, rendant leur organisation désormais incontestable.
Avant d’en venir au détail des propositions soumises à votre examen, je veux saluer l’engagement de Jean-Jacques Urvoas, qui est à l’origine de ce texte, ainsi que le travail important accompli par la rapporteure Élisabeth Pochon pour traduire dans la loi les avancées nécessaires que nombre d’entre nous souhaitaient depuis des années.
La proposition de loi organique prévoit en premier lieu de réformer les règles qui encadrent le système de parrainage des candidats. Elle comprend à cet effet trois mesures principales.
Tout d’abord, une modification des modalités de transmission des présentations au Conseil constitutionnel : le parrainage devra être adressé par l’auteur de la présentation lui-même – et non plus par le candidat ou l’équipe de campagne comme c’est le cas actuellement –, par voie postale ou directement auprès du Conseil constitutionnel, et non en préfecture. Bien entendu, des dérogations sont prévues pour l’outre-mer et l’étranger. Un amendement du groupe SRC adopté en première lecture envisage une remise des parrainages par voie électronique après 2017 et au plus tard au 1er janvier 2020. Le Gouvernement souscrit entièrement à cette disposition.
Ensuite, le texte prévoit la publicité intégrale de la liste des élus ayant parrainé un candidat, ce qui met un terme au traitement différencié induit par la procédure actuelle, laquelle ne prévoit que la publication de cinq cents noms après tirage au sort.
Enfin, la proposition de loi organique impose au Conseil constitutionnel de rendre publics les noms des parrains au moins deux fois par semaine.
En deuxième lieu, s’agissant de l’accès des candidats aux médias audiovisuels, la proposition de loi prévoit de substituer un strict principe d’équité à l’actuelle règle d’égalité des temps de parole réservés aux candidats pendant la période dite « intermédiaire », qui s’étend de la publication de la liste des candidats à la veille de la campagne officielle. Je souhaite m’attarder quelques minutes sur ce point qui concentre les critiques de plusieurs groupes parlementaires. Une telle substitution du principe d’équité à celui d’égalité permettra de simplifier, donc de clarifier, une réglementation devenue au fil du temps particulièrement obscure. En effet, faire coexister les principes d’égalité des temps de parole et d’équité des temps d’antenne présente de nombreuses difficultés, aussi bien pour les candidats que pour les chaînes de radio et de télévision, dont certaines en viennent même à préférer tout simplement – c’est un comble ! – ne pas organiser le moindre débat entre les candidats.
Ainsi, craignant de ne pouvoir garantir l’égalité entre tous, les chaînes TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 n’ont réservé en 2012 que douze heures à la retransmission des interventions des candidats, soit une diminution de 50 % par rapport au volume relevé sur ces mêmes chaînes en 2007 lors de la même période. Les temps de parole accordés sur les antennes des radios généralistes et des chaînes d’information en continu ont également diminué par rapport à 2007.
Il va sans dire que cette situation n’est satisfaisante pour personne, ni pour les candidats ni pour les électeurs, et qu’elle nuit à la richesse et à la vigueur du débat démocratique. L’adoption de la proposition de loi organique permettra, pendant la période intermédiaire, que l’équité soit observée « dans des conditions de programmations comparables ». Il est en effet plus important pour les candidats d’être exposés dans les mêmes tranches horaires de programmation – par exemple le journal de vingt heures, les émissions de première partie de soirée ou les matinales –, même pour des durées inégales, que de s’exprimer pour des durées égales mais, pour les uns, dans des émissions susceptibles de recueillir une forte audience et, pour les autres, lors d’émissions nocturnes recueillant une faible audience. Cette disposition doit donc permettre aux différents candidats ou à leurs soutiens d’être exposés sur les antennes sur les mêmes tranches horaires. Loin d’affaiblir les candidats, la proposition de loi organique leur assurera une exposition médiatique de meilleure qualité.
En troisième lieu, le texte soumis à votre examen prévoit une réforme des horaires qui encadrent les opérations de vote. Le texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture rétablit la dérogation permettant aux agglomérations qui le souhaitent de maintenir l’horaire de fermeture à vingt heures. Le Gouvernement considère qu’il s’agit là d’un point essentiel pour garantir l’accès au suffrage des électeurs qui pouvaient jusqu’alors se rendre aux urnes jusqu’à vingt heures.
En outre, la proposition de loi organique prévoit de mettre en place un système automatique de radiation des listes électorales consulaires pour les Français établis à l’étranger qui rentrent en France. En d’autres termes, dès lors qu’ils quittent le pays étranger où ils s’étaient installés, leur radiation du registre consulaire des Français de l’étranger entraînera automatiquement leur radiation des listes électorales consulaires. Le Gouvernement approuve totalement cette mesure de bon sens, de simplification et de sincérité des listes à laquelle. Une proposition de loi portée par Elisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann permettra d’approfondir la question de la double inscription. Là aussi, le Gouvernement apporte tout son soutien à cette initiative parlementaire transpartisane qui s’inscrit pleinement dans l’esprit du texte que nous examinons aujourd’hui.
Je veux également vous dire quelques mots de la réduction d’un an à six mois de la période dans laquelle sont comptabilisées les dépenses et les recettes électorales ayant vocation à figurer dans les comptes de campagne des candidats. Cette mesure, prévue dans la proposition de loi ordinaire complétant la proposition de loi organique, a rassemblé, contre l’avis du Gouvernement, une majorité de députés par-delà les clivages politiques classiques. Elle correspond à une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques et sera soumise au vote de votre assemblée avec la proposition de loi ordinaire, une fois que la proposition de loi organique aura été adoptée à la majorité qualifiée. Dès lors, l’adoption de la proposition de loi organique est un préalable à l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi ordinaire. Les mesures contenues dans les deux textes se répondant, l’adoption du texte ordinaire sans le texte organique provoquerait des incongruités dans notre droit.
Enfin, je souhaite évoquer les dispositions relatives à l’encadrement des sondages introduites au Sénat à l’initiative de MM. Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli. Formellement, il s’agit de la reprise, par voie d’amendement et en un seul article, d’une proposition de loi d’une vingtaine d’articles adoptée par le Sénat en février 2011 et examinée par la commission des lois de l’Assemblée nationale en juin 2011. La version de ce texte introduite en première lecture au Sénat soulevait de réelles difficultés d’applicabilité, tant du point de vue pratique que du point de vue technique, et elle aurait très probablement été difficile à mettre en oeuvre.
Ces éléments avaient justifié le rejet par l’Assemblée de ces mesures en nouvelle lecture. Dans une approche constructive, les sénateurs ont, depuis, modifié en commission des lois la rédaction présentée en première lecture afin de prendre en compte les observations du Gouvernement.
Ainsi, à la différence de la rédaction initiale, le caractère représentatif de l’échantillon n’est plus mentionné comme un élément de définition du champ d’application de la loi – ce qui aurait eu pour effet d’exclure de ce champ les échantillons non représentatifs –, mais comme une règle s’imposant aux sondages dès lors qu’ils entreraient dans la définition prévue au premier alinéa de l’article 1er de la loi du 19 juillet 1977.
Ensuite, le champ d’application de la loi est précisé par référence au principe de territorialité de la loi française. Le critère retenu pour l’application de la loi est le porter à connaissance au public, la diffusion, la publication du sondage électoral sur le territoire national, sans référence à la « nationalité » de l’organe d’information.
Enfin, l’interdiction de publier, diffuser ou commenter un sondage relatif à une élection générale ne serait pas applicable à l’élection des députés en Polynésie française et à l’étranger. En effet, ces élections sont, par exception, organisées le deuxième samedi précédant le tour de scrutin en métropole, soit huit jours avant. Appliquer cet embargo dès l’organisation de ces tours de scrutin pour l’ensemble du territoire national conduirait à porter une atteinte excessive à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le Gouvernement prend acte de ces améliorations qui tiennent compte des remarques qu’il a antérieurement formulées. Il reste toutefois un écueil quant à la liberté d’expression et à la liberté de l’information : le champ de la définition des sondages électoraux par le texte de la proposition de loi est en effet trop large, puisqu’il recouvre tous les sondages « liés de manière directe ou indirecte au débat électoral ». La loi de 1977, dans sa rédaction actuelle, s’applique aux sondages « ayant un lien direct ou indirect avec le scrutin » et non pas avec « le débat électoral ». Ainsi, pourraient être considérés comme des sondages électoraux tous les sondages traitant de sujets pouvant être débattus lors de la campagne électorale. Or, nous le savons bien, tous les sujets sont potentiellement des sujets de débat lors d’une campagne électorale !
Aussi cette disposition pourrait-elle conduire à considérer que l’ensemble des sondages sont des sondages électoraux, donc à leur appliquer les restrictions prévues par la loi de 1977. La rédaction proposée étendrait ces restrictions à un nombre trop important de sondages sans que cela soit justifié.
Pour toutes ces raisons, tout en reconnaissant les améliorations successives apportées au texte, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée nationale pour conserver ou rejeter ces mesures dans la proposition de loi ordinaire.