Intervention de Guillaume Larrivé

Séance en hémicycle du 5 avril 2016 à 21h30
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Passons sur cette légère incohérence temporelle. Sur le chemin escarpé du compromis, comme on dit à la Fondation Jean Jaurès, on trouve parfois quelques cailloux.

Venons-en au fond : il y aurait d’un côté ceux qui veulent conforter l’indépendance de la justice et, de l’autre, ceux qui ne songeraient qu’à la piétiner ? Absurde simplisme. Tâchons d’en sortir en évoquant, aussi précisément que possible, nos points d’accord et de désaccord.

Nous sommes évidemment d’accord aujourd’hui pour considérer que le Président de la République ne doit pas présider lui-même le CSM et que le garde des sceaux ne doit pas en être le vice-président. Ce point n’est désormais plus en débat, puisque vous ne proposez pas de défaire ce à quoi vous vous étiez opposés : c’est en effet en dépit de la vive opposition des députés socialistes de l’époque, au premier rang desquels François Hollande, que la Constitution avait été révisée en 2008 sur l’initiative du Président Nicolas Sarkozy, dans la continuité de la révision votée en 1993 lorsque Édouard Balladur était Premier ministre. Bref, le chef de l’État n’est plus le président du CSM.

Encore pourrait-on légitimement débattre sur le choix de la personnalité appelée à présider le CSM. Cette responsabilité incombe aujourd’hui d’une part au premier président de la Cour de cassation s’agissant de la formation compétente pour les magistrats du siège, d’autre part au procureur général près la Cour de cassation s’agissant de la formation compétente pour les membres du parquet.

« Il semble que l’on ait confondu ici indépendance et changement de dépendance », relevait le professeur Carcassonne dans son commentaire désormais classique, aux éditions du Seuil, de la Constitution. Je ne suis pas loin personnellement de partager cet avis, tant paraît grande l’influence désormais confiée à ces deux magistrats éminents sur le choix non seulement des affectations de leurs pairs, mais aussi de leurs propres successeurs. J’observe néanmoins que ce point n’est plus en débat dans le projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis ce soir.

Pour ce qui est de la composition du CSM, chacun admet qu’il doit mêler des clercs et des laïcs, c’est-à-dire des magistrats et des personnalités qui ne le sont pas. Mais, dès qu’il s’agit de doser, trois options au moins s’affrontent. Je n’ai pas le sentiment que le Gouvernement sache vraiment ce qu’il veut, puisqu’il a plaidé pour la majorité des clercs en 2013, s’est rallié à la parité entre les clercs et les laïcs devant l’Assemblée en première lecture et revient vers nous en semblant accepter la majorité des laïcs. Plutôt que ces palinodies gouvernementales, la position des Républicains a le mérite de la constance et de la clarté, qui ne voit pas l’intérêt de modifier, sur ce point, le texte adopté en 2008.

J’en viens au coeur de notre débat, ou de ce qu’il en reste : la mission et les compétences confiées au Conseil supérieur de la magistrature.

À l’article 1er, que vous n’avez pas évoqué, monsieur le garde des sceaux, vous estimez nécessaire de modifier l’article 64 de la Constitution, selon lequel le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire – car nous n’avons évidemment pas attendu d’être saisis du présent texte pour que l’indépendance de l’autorité judiciaire soit mentionnée dans la Constitution – et qu’il est assisté par le CSM.

On nous propose de substituer à cette assistance la mention d’un vague concours. Le texte qui nous revient du Sénat dispose en effet que « le Conseil supérieur de la magistrature concourt à garantir cette indépendance. »

Je ne vois vraiment pas ce que l’on gagnerait à remplacer la rédaction actuelle, claire et exacte, par une rédaction nouvelle, obscure et imprécise. Car, si le CSM concourt à garantir l’indépendance de la magistrature, c’est sans doute que d’autres institutions y concourent elles aussi, mais lesquelles ? Cette rédaction malhabile est au mieux inutile, au pire malencontreuse. Elle ne saurait être approuvée, et l’on s’étonne du reste que les sénateurs, qui se plaisent parfois à donner des leçons de rigueur légistique, aient cru pouvoir la voter.

À dire vrai, ce débat n’est pas que rédactionnel, car ce qui le sous-tend, c’est l’idée, pernicieuse, que le Président de la République ne peut pas vraiment être ce que le premier alinéa de l’article 64 affirme qu’il est, c’est-à-dire le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Il me semble, au contraire, que notre devoir de constituant est de nous en tenir à la conception, exigeante, classique, d’un Président de la République qui est pleinement le chef de l’État, dans la totalité de la mission institutionnelle que lui confie l’article 5 : il « veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ».

N’allons pas improviser ce soir, pour des raisons obscures, une modification hasardeuse de l’article 64, au risque de rogner ce qui doit être impérativement préservé. Nous ne pourrons donc pas approuver l’article 1er du projet de loi.

J’en viens à l’article 2 et à ce qu’il est convenu d’appeler l’avis conforme du CSM sur les nominations des membres du parquet. Ce débat, jusqu’alors, me semble avoir été assez mal posé.

Permettez-moi d’abord de m’étonner des diverses expressions publiques de magistrats nous appelant à voter cette révision de la Constitution.

Est-il vraiment besoin d’évoquer le souvenir du chancelier Maupeou ou, au contraire, celui de Maurepas pour rappeler à tous les magistrats que le temps n’est plus aux remontrances de la magistrature d’Ancien régime s’adressant au souverain ? La question a été réglée par la Révolution française. Depuis lors – cela fait un peu plus de deux siècles – les magistrats judiciaires sont censés ne pas se mêler des affaires publiques en général, de la chose politique en particulier. Ce serait avoir une bien étrange conception de la séparation des pouvoirs que de permettre à une autorité constituée de faire la leçon au constituant.

Je passe sur cette lettre étrange, datée du reste du 1eravril, que les commissaires aux lois ont reçue de la présidente de l’Union syndicale des magistrats, lettre vraiment bizarre, tout aussi incongrue que serait celle d’un parti politique qui se permettrait d’intervenir dans le jugement d’une affaire individuelle pour demander au magistrat de juger dans tel ou tel sens. Le fait qu’un magistrat nous appelle à réviser la Constitution n’est pas, en soi, un argument opérant.

Je passe rapidement, de même, sur l’argument de l’eurocompatibilité. Il existe, mais il me paraît faible car le constituant n’écrit pas sous la dictée des juges de Strasbourg ou de Luxembourg. Nous avons le droit et même le devoir de rester, en cette matière si essentiellement régalienne qu’est l’organisation de l’autorité judiciaire, pleinement maîtres de nos choix.

Il me reste alors trois remarques à formuler.

Il faut souligner, d’abord, que la réforme proposée ne consiste pas exactement, contrairement à ce qui est dit ici ou là, et contrairement à ce que vous disiez vous-même, monsieur le garde des sceaux, à la tribune, à aligner le régime de nomination des parquetiers sur celui des magistrats du siège. Il existerait encore une distinction importante : tous les magistrats du parquet resteraient nommés sur la proposition initiale du garde des sceaux, à la différence des plus hauts magistrats du siège, c’est-à-dire les membres de la Cour de cassation, les premiers présidents de cours d’appel et les présidents de tribunaux de grande instance, qui sont, eux, nommés sur la proposition du CSM.

En soulignant cette différence, je ne plaide certes pas pour son abolition, mais il me semble que son maintien enlève beaucoup de sa pertinence à l’argument selon lequel il faudrait impérativement modifier la Constitution pour aligner le régime des nominations des parquetiers sur celui des magistrats du siège.

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