Votre texte, monsieur le ministre, ce n’est pas le Parlement, ni même le Gouvernement qui en sont à l’origine, mais bien le Président de la République ! J’ai encore en mémoire sa déclaration sur le perron de l’Élysée, après l’affaire Cahuzac. Il a dit qu’il fallait réformer le CSM pour éviter à l’avenir des affaires de ce type. Celle-ci n’avait pourtant strictement rien à voir avec la composition du Conseil. D’ailleurs, comme je l’ai rappelé lors d’une précédente intervention, l’un des membres du CSM a eu le courage et l’audace d’écrire au Président de la République pour se plaindre de ce procédé, parce que le CSM n’avait strictement rien à voir dans l’affaire Cahuzac. Bref, voilà comment l’histoire a été lancée.
Cela ne veut pas dire pour autant, monsieur le ministre, qu’il ne faut pas réfléchir à une réforme du CSM, mais je voulais rappeler le contexte. Je suis très embarrassé car je connais votre sincérité, et le souci de servir l’intérêt de la justice, loin de l’esprit partisan, de clivage, qui vous anime souvent. Vous m’en avez d’ailleurs fait bénéficier : c’est grâce à votre bienveillance comme président de la commission des lois que j’ai pu proposer, avec Alain Tourret, des textes consensuels relatifs à la révision des condamnations pénales définitives et à la prescription pénale. J’aimerais tenter de vous convaincre que c’est dans le même esprit, sans arrière-pensée politique, que je voudrais m’exprimer.
Vous nous proposez aujourd’hui cette réforme dans un hémicycle très peu garni, à une heure tardive. Une réforme de cette importance ! Certes, la qualité y est, puisqu’en dehors de vous, monsieur le ministre, je compte deux anciennes gardes des sceaux, Mme Lebranchu et Mme Guigou. Nous voilà plongés dans un débat récurrent, celui de l’indépendance de la justice, à laquelle nous sommes tous très attachés. Évitons la caricature, à laquelle vous avez parfois cédé dans votre discours, entre ceux qui seraient, comme nous, pour une justice aux ordres, et votre majorité qui serait respectueuse de son indépendance. Non, nous sommes tous pour l’indépendance de la justice, je tiens à le souligner.
Mais si vous voulez entrer dans ces considérations, permettez-moi de vous rappeler quelques heures douloureuses que nous avons vécues sous des gouvernements de gauche. Souvenez-vous de l’affaire des fameuses fiches du CSM, sous François Mitterrand, où le nom des candidats était accompagné d’annotations sur leur appartenance politique ! Et plus récemment, votre prédécesseur, Christiane Taubira, a fait convoquer François Falletti, procureur général de Paris, dans le bureau de sa directrice de cabinet qui lui a signifié qu’il devrait songer à demander une autre affectation, puisqu’il n’était pas de la même sensibilité politique que la garde des sceaux… De quoi s’agit-il sinon d’instrumentalisation et de politisation de la justice ? Bref, les tentatives de mainmise sur le pouvoir judiciaire ne sont réservées à personne, et chaque camp compte des affaires douloureuses qui ne font honneur ni à la classe politique ni à la magistrature.
Comme l’a souligné Philippe Houillon, vous avez, dans votre intervention, allègrement confondu le juge et le procureur. Le juge est souverain ; statutairement indépendant, inamovible, il est là pour juger. Le procureur de la République, lui, est soumis à une hiérarchie puisque le garde des sceaux est le chef ultime des parquets. En l’affirmant, Rachida Dati ne faisait que constater le fonctionnement de nos institutions, basé sur ce cordon ombilical qui relie le garde des sceaux et les procureurs, que vous voudriez aujourd’hui totalement supprimer.
Dans ce domaine, il y a déjà eu des avancées considérables. L’une des premières, comme l’a rappelé Guillaume Larrivé, fut la réforme constitutionnelle menée sous Pierre Méhaignerie, qui a imposé que les instructions du garde des sceaux soient écrites et versées au dossier. Cette transparence a représenté un grand progrès. Un peu plus tard, sous le ministère de Dominique Perben, il a été interdit au garde des sceaux d’ordonner un classement sans suite. Enfin, reconnaissons l’avancée importante qu’a permise Christiane Taubira en supprimant toute instruction individuelle. Petit à petit, l’on s’approche ainsi d’une indépendance statutaire des parquets.
Vous nous accusez de crier au loup et assurez que les magistrats ne sont pas politisés – sauf quelques parlementaires, et là je me suis un peu senti pris à partie, qui sont d’anciens magistrats reconvertis dans la politique. Oui, on peut faire, quand on est magistrat, le choix citoyen de quitter sa robe, au nom de ses convictions personnelles, pour se soumettre au suffrage universel ! Mais la confusion des rôles n’intervient que lorsque ce sont des magistrats en exercice qui prennent des positions politiques. Vous ne pouvez pas nier l’existence de tels cas devant la représentation nationale et devant tous les Français qui suivent nos débats. Quelques exemples : que pensez-vous d’un syndicat de magistrats qui condamne la loi travail de Myriam El Khomri ? Pensez-vous que ces magistrats, dans les conseils des prud’hommes, n’auront pas d’arrière-pensées politiques au moment où ils l’appliqueront ?