Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes donc saisis, après un vote du Sénat du 4 juillet 2013, d’un projet de loi constitutionnelle prétendant porter réforme du Conseil supérieur de la magistrature mais qui finalement ne la porte pas, puisqu’il traite quasi uniquement du mode de nomination des magistrats du parquet – et ce en raison de l’absence d’accord, monsieur le garde des sceaux, contrairement à ce que vous avez dit à plusieurs reprises.
Ce texte semble bien avoir été précipitamment sorti du sommeil profond dans lequel vous l’aviez plongé depuis deux ans et demi, pour venir à la rescousse du projet de loi dit de protection de la Nation, à une époque où vous imaginiez encore sauver la convocation du Congrès. Il est clair que si vous aviez accordé à ce texte issu de votre majorité sénatoriale de l’époque une autre importance que sa seule utilité stratégique du moment, vous ne l’auriez pas enterré deux ans et demi !
C’est si vrai que vous évoquiez vous-même, monsieur le ministre, « un texte qui avait perdu toute sa substance ». Aujourd’hui, changeant subitement de pied, vous plaidez qu’il est absolument nécessaire et qu’il y a urgence à l’adopter. Ce n’est pas sérieux !
Après ses déclarations contraires de la semaine dernière, le chef de l’État convoquera-t-il finalement un Congrès sur ce texte ? À défaut, avez-vous l’intention de continuer à utiliser la Constitution comme un outil de communication pour tenter de faire porter à l’opposition je ne sais quelle responsabilité ? Compte tenu de ce que nous avons entendu jusqu’à présent, c’est bien probable !
Sur le fond, il s’agit d’un sujet difficile remis à plusieurs reprises sur le métier, particulièrement depuis les décisions de la CEDH de 2008 et de 2010 relatives aux affaires Medvedyev et Moulin. Aux termes de ces décisions, les membres du parquet français ne remplissent pas, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, les garanties d’indépendance pour être qualifiés de « juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». La Cour de cassation a jugé également et pour les mêmes motifs, le 15 décembre 2010, que le ministère public n’était pas une autorité judiciaire.
Depuis lors on n’a eu de cesse, sous couvert des prétendues exigences européennes, de vouloir rompre le lien hiérarchique entre les membres du parquet et le garde des sceaux, donc de les rendre indépendants. Ce mouvement va d’ailleurs bien au-delà maintenant, puisque de hautes personnalités judiciaires demandent, outre une majorité de magistrats au CSM, le rattachement à ce dernier de la direction des services judiciaires, de l’inspection des services judiciaires et de l’École nationale de la magistrature, alors même que ces institutions sont, de fait, déjà dirigées par des magistrats, au demeurant très présents également au sein du ministère de la justice.
Concernant le parquet, je crains que l’on ne se berce de mots. La Cour européenne des droits de l’homme exige de celui qui exerce des fonctions judiciaires des garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif, certes, mais également, et de manière consubstantielle, à l’égard des parties. Or le texte dont nous débattons, en mettant le droit en accord avec la pratique actuelle, aligne les modalités de nomination des magistrats du parquet sur celles des juges du siège, moyennant un avis conforme au lieu d’un avis simple, mais il maintient leur présentation et leur désignation par l’exécutif. C’est l’exécutif qui fera les choix, donc les carrières. Ce texte donne l’apparence de faire un pas mais constitue en même temps une formidable hypocrisie.