Ensuite le parquet sera toujours l’avocat de la République, disposant du pouvoir de poursuite, représentant l’accusation et étant par là même une partie au procès pénal. De ce point de vue, même totalement indépendant de l’exécutif – ce qui n’est pas le cas avec ce texte –, le parquet n’offrira pas la garantie d’indépendance à l’égard des parties exigée par la CEDH. C’est indiscutable ; pour autant, allais-je dire, ce n’est pas grave. Le procureur n’est pas le juge. Il a des fonctions différentes. Certains collègues confondent un peu tout !
Ce qui complique les choses c’est que dans notre pays les membres du parquet sont magistrats. Ils sont même devenus au fil des années – M. Le Bouillonnec le soulignait à juste titre – des quasi-juges et il existe cette notion culturelle d’unité du corps judiciaire, avec notamment la possibilité donnée aux magistrats de passer plusieurs fois au cours d’une carrière du parquet au siège et du siège au parquet.
En fait, ce texte ne change pas grand-chose mais il imprime en même temps une direction déséquilibrée, donc non satisfaisante. Pour tout régler, il faudrait tout mettre sur la table car tout est lié.
L’équation est compliquée : le parquet n’est pas juge mais voudrait avoir le même statut que le juge ; en même temps, les poursuites doivent être exercées de manière indépendante du pouvoir politique, lequel est cependant seul titulaire de la légitimité démocratique et a seul qualité pour déterminer la politique pénale de la nation, dont il est comptable du résultat. Il faut donc conjuguer cette forme d’indépendance du parquet avec le lien organique qui doit exister entre le peuple et la justice rendue en son nom. C’est toute la difficulté de l’exercice !
Cela passe d’abord par l’existence d’une autorité hiérarchique nationale. Certes, le texte dont nous débattons ne supprime pas formellement le rattachement hiérarchique du parquet au garde des sceaux, mais il le rend de plus en plus théorique ou virtuel alors même que les procureurs généraux des cours d’appel n’ont aucun autre supérieur hiérarchique national. Se pose donc un problème non seulement d’égalité des politiques pénales sur l’ensemble du territoire, mais aussi de contrôle de leur application.
Cela passe ensuite par une double indépendance – ou une double autonomie : indépendance des magistrats du parquet dans l’exercice des poursuites, indépendance à l’égard du pouvoir politique, en ce sens qu’ils ne sauraient évidemment faire l’objet d’instructions individuelles de ne pas poursuivre ou d’instructions particulières, mais aussi indépendance qu’ils doivent au justiciable comme gage de leur impartialité.
Dans les deux cas, il importe que toute suspicion de politisation soit exclue. Or tel n’est pas le cas, Georges Fenech le rappelait, lorsqu’un syndicat de magistrats – donc les magistrats adhérents, qui exercent au quotidien – appelait, en 2012, à ne pas voter Nicolas Sarkozy – j’aurais dit la même chose s’il s’était agi d’un autre candidat – ou à boycotter les peines planchers, ou encore lorsqu’il inscrivait sur le « mur des cons » des appréciations injurieuses concernant des personnalités politiques ou, il y a quelques jours, le 24 mars 2016, lorsqu’il vous écrivait pour vous prévenir qu’un mot d’ordre de grève allait être lancé pour exiger le retrait de la loi El Khomri. Tout cela sans qu’aucune sanction, à ma connaissance, n’ait à ce jour été prononcée, et alors que chacun connaît l’influence des syndicats dans les élections au CSM.
De la même manière, il n’existe en l’état, pour les magistrats, aucun examen d’intérêt concernant des engagements politiques, religieux ou philosophiques de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. Car il y a l’impartialité et l’exigence de l’apparence de l’impartialité. C’est à tout cela qu’il faut répondre.
Tout compte fait, notre architecture actuelle ne fonctionne pas si mal, même si de nombreuses réflexions portent sur sa nécessaire évolution. Mais celle-ci doit répondre à tous les enjeux que je viens d’effleurer et ne peut se contenter de ce texte pauvre, sorte de faux gage en trompe-l’oeil donné aux magistrats au mépris de la cohérence d’ensemble du système et des équilibres démocratiques.
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure que ce n’est jamais le bon moment et vous vous demandiez : quand est-ce le bon moment ? Pour moi, le bon moment, c’est tout simplement quand on est prêt.