Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 18 juillet 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif :

Je ne crois pas que le Président de la République ait préconisé, durant sa campagne électorale, l'existence d'un seul opérateur national pour déployer la fibre optique en dehors des zones très denses. Il n'en reste pas moins que le cadre actuel n'est pas satisfaisant, notamment pour les collectivités territoriales.

Dans les zones très denses, les opérateurs ont déjà quasiment déployé les nouveaux réseaux, même s'ils se heurtent parfois à quelques difficultés de raccordement final. Dans les zones « appel à manifestation d'intention d'investir » (AMII), une répartition géographique s'est opérée entre opérateurs, principalement entre France Télécom et SFR, Bouygues restant à la marge. Dans les zones non denses, il revient aux collectivités de s'organiser pour déployer des réseaux d'initiative publique.

Il manque à ce schéma un dispositif de péréquation : le FANT n'a jamais été abondé. La contribution de l'État à l'ancien fonds s'élève aujourd'hui à deux milliards d'euros, dont 900 millions en subventions et 1,1 milliard en prêts aux opérateurs, qui n'ont d'ailleurs pas été consommés. Nous souhaitons donc alimenter le FANT au profit des zones non denses, dans lesquelles les collectivités locales ne sauraient financer les réseaux sans prendre de risque économique et commercial élevé.

Dans les zones dites AMII, nous souhaitons également répondre à l'inquiétude légitime des collectivités qui redoutent, compte tenu du caractère non opposable des conventions passées avec les opérateurs, que les engagements d'investissement de ces derniers ne soient pas respectés ou soient décalés dans le temps. Nous entendons donc ouvrir une discussion avec eux afin que leurs engagements les lient davantage. Nous voulons aussi que les collectivités locales puissent se substituer à un opérateur défaillant pour déployer un réseau.

Cette politique exige un pilotage national, comportant un cahier des charges qui garantisse notamment l'interopérabilité des réseaux et une certaine harmonie entre eux. Les collectivités qui n'ont encore rien engagé doivent pouvoir bénéficier de l'expérience de celles qui les ont précédées avec succès : par exemple, l'Auvergne, la Bretagne et la Manche. L'instance nationale de pilotage devra gérer le FANT et proposer aux collectivités une assistance à maîtrise d'ouvrage.

L'emploi dans le secteur des télécommunications donne actuellement lieu à de nombreuses discussions entre les opérateurs, certains attribuant à l'arrivée du quatrième opérateur mobile toutes leurs difficultés financières. Nous souhaitons procéder à une analyse économique plus fine. C'est pourquoi nous avons demandé aux quatre opérateurs de nous fournir des chiffres très précis sur la situation de l'emploi, sur leurs marges et sur leurs investissements au cours des cinq derniers exercices. La tendance à la réduction de l'emploi dans le secteur semble s'inscrire dans une longue durée et n'est pas propre à la France, puisque l'on constate le même phénomène aux États-Unis. Toutefois, depuis l'attribution de la quatrième licence, l'emploi a eu tendance à croître. La réalité s'avère donc plutôt nuancée, et c'est en fonction de celle-ci que nous formulerons des propositions.

Aujourd'hui, les opérateurs de télécommunications sont surtout mobilisés par le déploiement du très haut débit, ce qui nous conduit à adopter une vision macroéconomique de l'emploi dans les télécommunications car d'importants investissements à long terme sont prévus à ce titre, en support de l'État et des collectivités locales.

Il n'existe pas, à ce jour, d'accord entre le Gouvernement et les opérateurs du genre de celui mentionné par M. Lionel Tardy et comportant une sorte d'échange entre maintien de l'emploi et assouplissement d'une certain nombre de règles. Nous n'avons, pour le moment, fait que tracer des pistes. On ne peut nier l'impact de l'arrivée du quatrième opérateur : le revenu par abonné a considérablement baissé, ce qui modifie sensiblement la situation économique des opérateurs, même si l'offre de Free a aussi permis d'élargir le marché. Mais le rétablissement du paiement du service client n'est pas à l'ordre du jour. Certains opérateurs ont en revanche proposé que certains services premium, qui restent à définir, puissent être proposés à titre payant.

Je souhaite surtout que l'on trouve des relais de croissance pour les opérateurs afin qu'ils puissent faire face à leurs obligations et honorer leurs engagements. Un des ces relais pourrait résider dans le très haut débit mobile. Savoir si les opérateurs allaient pouvoir utiliser les fréquences de 800 mégahertz pour commencer à expérimenter la 4G constituait un point de blocage depuis plusieurs mois pour des raisons techniques, les fréquences de Bouygues Telecom voisinant celles de la TNT, ce qui aurait pu entraîner des brouillages. Ce point de blocage a été levé hier : nous avons obtenu un accord des opérateurs entre eux pour une expérimentation qui va débuter très rapidement et devrait permettre d'accélérer la venue de la 4G.

Il faut assurer une certaine stabilité du cadre législatif, réglementaire et fiscal afin d'établir un climat de confiance favorable aux entreprises et aux investisseurs. C'est pourquoi le crédit impôt recherche sera maintenu. Les modifications envisageables porteraient sur un recentrage en faveur des PME, afin de leur en faciliter l'accès, sans remettre en cause le dispositif pour les grandes entreprises. Ce système est en effet un élément attrayant pour investir en France.

Dans le domaine des banques et des assurances, nous souhaitons cibler certaines activités bancaires, telles que le fast trading. En tout état de cause, exclure des secteurs entiers du crédit impôt recherche ne serait pas eurocompatible.

Pour éviter toute casse sociale dans les télécommunications, nous travaillons avec les opérateurs et les syndicats sur la manière de restaurer les marges afin que les entreprises puissent investir davantage. Les équipementiers connaissent une situation parfois difficile qui, elle non plus, n'est pas propre à la France. Mêmes des entreprises chinoises, comme ZTE, sont touchées. Nous souhaitons mener une réflexion sur l'ensemble de la filière car il existe d'importantes possibilités de reconversion au sein d'une économie aussi dynamique et porteuse de croissance que le numérique. C'est pourquoi nous réfléchissons avec les syndicats à des dispositifs de formation, que l'on pourrait élargir à d'autres secteurs économiques, dont le BTP.

La fiscalité du numérique est effectivement un sujet récurrent car il est difficile à traiter. Certains opérateurs sont malaisés à appréhender d'un point de vue fiscal, leurs activités ne pouvant se rattacher à un territoire national. Le sénateur Philippe Marini a présenté un certain nombre de propositions à ce sujet, et en son temps, le CNN en avait également formulées. Nous avons décidé de missionner un inspecteur des finances et un membre du Conseil d'État spécialisé en fiscalité pour valider certaines pistes de travail déjà explorées durant la campagne présidentielle, telles que les accords de peering payant – mais, ils ne permettent d'appréhender que les revenus d'opérateurs utilisant des flux importants d'octets. La mission rendra ses conclusions à l'automne. Il est indispensable d'assurer une concurrence loyale entre les opérateurs européens et ceux qui s'affranchissent de toute règle fiscale, prenant ainsi parfois des positions quasiment monopolistiques sur des marchés adjacents.

L'avenir de la loi Hadopi fera, lui aussi, l'objet d'une mission, qui devrait être confiée à M. Pierre Lescure. Le ministère du redressement productif est évidemment attaché à la propriété intellectuelle, mais le cadre législatif ne nous paraît plus adapté aux nouveaux usages et aux nouveaux comportements des consommateurs. Les moyens de défendre la propriété intellectuelle et de lutter contre le piratage devront donc être revus.

Le CNN est une institution indispensable à l'heure où les enjeux du numérique sont considérables et où l'information des pouvoirs publics peut être utilement complétée par la vision de certains acteurs de l'écosystème : entrepreneurs, chercheurs ou journalistes … Cela dit, j'estime que la composition du conseil n'était pas assez ouverte, ni paritaire, ne comptant que deux femmes sur 18 membres. Il faut ouvrir l'institution au monde de la recherche …

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