Intervention de Natacha Valla

Réunion du 29 mars 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Natacha Valla, économiste :

La question de la dette publique revêt aujourd'hui une double dimension. D'une part, il y a la question de l'héritage des politiques passées, qu'il faut gérer aujourd'hui : c'est une proportion du PIB, donc finalement une capacité à rembourser. D'autre part, il y a la façon dont cette dette peut, ou pas, se traduire en croissance et plus généralement en bien-être dans le futur.

L'analyse par les uns et les autres – je parle ici de façon très générale – de la situation de chaque pays se fonde, de façon plus ou moins objective et plus ou moins intuitive, sur la perception du respect, ou non, de la contrainte budgétaire intertemporelle. Un État, en fonction des trajectoires de ses dépenses et de ses recettes, des politiques publiques, de la structure de l'économie, peut-il rembourser sa dette aujourd'hui, mais aussi dans dix, trente, voire cinquante ans s'il émet des obligations pour de telles maturités ? Si tout le monde pense que oui, alors il n'y a pas de raisons de s'inquiéter. La dette en soi, vous avez raison, n'est pas un problème ; ce qui peut le devenir, c'est la dette non soutenable.

Il ne faut pas faire table rase du passé, mais il faut partir de la situation actuelle : comment ces conditions initiales nous permettront-elles d'avoir une croissance soutenable et de stabiliser la trajectoire de notre dette, donc de respecter notre contrainte budgétaire intertemporelle ?

Les dynamiques de dette des dix ou vingt dernières années ont été explosives, en France, en zone euro ou aux États-Unis – il y a quinze ans, notre ratio de dette sur PIB était de 40 % inférieur à ce qu'il est aujourd'hui ! Il y a eu une accélération – explicable, notamment par la crise mais le fait est qu'aujourd'hui, les ratios de dette sur PIB sont bien plus élevés qu'hier.

Ne faudrait-il pas lever le tabou qui pèse sur le traitement de la dette héritée du passé, ce que les Anglais appellent la legacy debt ? Ne pourrions-nous pas calculer les ratios de dette qui nous permettraient de respirer, de mener des politiques publiques, d'avoir une croissance soutenable et, en fonction du résultat – 60, 70, 80 % – trouver un mécanisme qui permette de réajuster les compteurs et de repartir avec une dynamique de croissance ? C'est un premier ensemble de questions. Je ne comprends pas que l'on puisse faire semblant de faire l'économie d'une réflexion sur la BCE de ce point de vue. Certains pays de la zone euro ont des ratios de dette sur PIB qui empêchent, on le sait, tout remboursement de la dette, quel que soit le scénario macroéconomique. C'est la question de la dette héritée du passé.

Sur la façon dont la dette s'est composée, et de la dépense excessive qui en est à l'origine, je suis entièrement d'accord avec vous. Quant à la stabilité et au respect de la contrainte budgétaire intertemporelle, les observateurs estiment qu'ils dépendent de nombreux facteurs – priorités des gouvernements mais aussi pressions de marché que la France a eu la chance de ne pas connaître, au contraire de l'Italie par exemple.

Plus de 60 % de la dette est détenue par des non-résidents : c'est un avantage si l'on utilise l'inflation pour réduire sa valeur réelle, puisque ce sont les détenteurs étrangers qui en souffriront le plus ; mais c'est un inconvénient parce que cela nous expose à une certaine volatilité des flux de capitaux.

Les investisseurs considèrent qu'ils pourront continuer à prêter à la France si les dépenses publiques sont faites à bon escient, si elles servent à la construction des institutions – et celles de la France ne sont pas si mauvaises – et à mener de bonnes politiques publiques, notamment en matière de services publics, d'éducation et de santé. Tous ces facteurs, qui définissent un pays comme avancé, non seulement économiquement mais aussi socialement, sont pris en considération par les investisseurs : ce sont ces éléments, à la fois structurels et économiques, qui peuvent rendre soutenable une trajectoire de dette donnée.

Certains pays de la zone euro rencontrent des problèmes de gouvernance, des problèmes institutionnels qui feront que pour un même niveau de dette et une même perspective de croissance, une trajectoire de dette donnée ne sera pas soutenable alors qu'elle le serait dans un autre pays mieux géré. La France, je crois, n'est pas si mal placée que cela. Ce doit être une priorité de préserver ces qualités et cet environnement construit par les générations et les gouvernements successifs.

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