Intervention de André Chassaigne

Réunion du 6 avril 2016 à 9h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Je voudrais d'abord féliciter avec un peu d'humour les chantres du libéralisme de présenter cette proposition de loi parce qu'enfin, il y a une prise de conscience que la concurrence libre et non faussée exige des réponses, des accompagnements et des adaptations qui sont indispensables. Certes, vous n'allez pas jusqu'à faire une révolution bolchévique ou une révolution à la cubaine mais votre prise de conscience est importante parce que vous reconnaissez enfin que la main invisible du marché prônée par Adam Smith n'est pas une main qui donne de bonnes satisfactions. Les théories qui fondent le libéralisme considèrent que la régulation doit se faire naturellement, qu'il doit y avoir un équilibre entre le prix de marché et le prix naturel, c'est toute la théorie de l'avantage absolu. Mais je prends acte de cette évolution, de cette prise de conscience, de cette révolution copernicienne que vous entamez.

En deuxième lieu, je voudrais insister sur le fait, qui n'apparaît pas dans l'exposé des motifs mais est qui est sous-entendu par l'utilisation de certains termes, que la question qui nous occupe aujourd'hui ne concerne pas seulement le milieu agricole et agroalimentaire mais plus largement des productions industrielles. Je pense à des PME ; j'ai l'exemple précis d'un ami chef d'entreprise dans la coutellerie qui m'expliquait comment se passaient ces négociations commerciales avec une grande centrale commerciale, et me disait que chaque année, au dernier moment, on lui mettait le « couteau sous la gorge » en lui disant qu'il fallait signer quand l'heure extrême arrivait de la fin des négociations. Il était obligé de signer pour conserver ses marchés : s'il ne signait pas aux conditions qui lui étaient imposées, il devait mettre la clé sous la porte. J'insiste donc sur le fait que la portée de cette proposition de loi va au-delà de l'agriculture. Nous avons tous des exemples d'entreprises soumises à des conditions inacceptables.

Je voterai cette proposition de loi mais j'ai une interrogation. Cette modification de l'article L. 420-2 du code de commerce exclurait désormais, puisqu'elle opère une simplification des critères de l'abus de dépendance économique, l'application de la notion d'abus dans le cas où la rupture des relations commerciales est faite au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. La question du prix est une question qui n'apparaîtra plus dans cet article du code de commerce. Je comprends bien les difficultés de faire apparaître le prix, parce que cela voudrait dire, et là on heurte complètement les règles européennes, qu'on aurait un prix plancher imposé. Or on sait bien qu'aujourd'hui on ne peut pas imposer de prix plancher. Pour autant, et d'ailleurs il y avait une proposition de loi du groupe Les Républicains qui proposait une forme d'accise annuelle permettant de fixer un prix de référence, notamment sur les productions agricoles, je pense que si on pouvait définir par filière, voire par région de production, un prix de référence, cela pourrait permettre de maintenir dans l'article L. 420-2 cette question du prix. La question fondamentale, c'est celle du prix payé, autant à l'industriel qu'au producteur agricole, qui lui permette, non seulement de couvrir ses frais mais aussi de pouvoir avoir un revenu, et, pour le chef d'entreprise, de ne pas faire trop pression sur le salaire de ses employés ou sur les conditions de travail. Il est bien évident qu'il faudra affronter à bras-le-corps cette question des prix payés à la production ou à un fournisseur industriel.

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