Commission des affaires économiques

Réunion du 6 avril 2016 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission a examiné, sur le rapport de M. Damien Abad, la proposition de loi visant à mieux définir l'abus de dépendance économique (n° 3571).

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Cette proposition de loi, déposée par des membres du groupe Les Républicains, touche à des sujets que nous avons déjà évoqués au cours de cette législature et de la législature précédente, ainsi que lors de la présentation du rapport de la mission d'information sur l'avenir des filières d'élevage que M. Damien Abad a présidée, et dont Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit étaient rapporteurs.

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Ce sujet a, en effet, largement été abordé dans notre commission. Je souhaite saluer M. le président Bernard Accoyer, qui est à l'origine de cette proposition de loi, qui vise à mieux définir l'abus de dépendance économique.

En introduction de leur rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, nos collègues Annick Le Loch et Philippe Armand Martin affirmaient : « notre impératif commun est que les prochaines négociations commerciales se déroulent dans un climat partenarial plus équilibré, juste et apaisé, profitable à tous ». Force est de constater que cet impératif n'est, pour le moment, pas réalisé. À la dégradation du climat des négociations entre les fournisseurs et les distributeurs, déjà observée en 2013, 2014 et 2015, a fait suite, lors des négociations pour l'année 2016, une nouvelle montée des tensions. Le rapprochement des centrales d'achat et de référencement des principales enseignes de la grande distribution, qui est intervenu à la fin de l'année 2014, a renforcé la « guerre des prix » qu'elles mènent entre elles depuis 2013, et les a placées dans une position encore plus forte dans les négociations. Certaines des personnes que nous avons auditionnées estiment le coût de cette guerre des prix à 1 Md€. Je rappellerai que les quatre plus grandes centrales d'achat concentrent aujourd'hui à elles seules 90 % du marché de l'approvisionnement de la grande distribution. Il en résulte une intensification du caractère conflictuel des négociations, certains fournisseurs se plaignant d'avoir été exposés à des menaces de déréférencement, parfois mises à exécution, ou à des demandes de réduction de tarifs, bien entendu sans compensation.

En cette année 2016, à ces difficultés structurelles s'est ajoutée une crise agricole dans de nombreuses filières, avec une chute importante des prix de vente, ce qui a conduit à des blocages de sites de la grande distribution, notamment en Bretagne et dans le département de l'Ain, dont je suis élu. La guerre des prix contraint l'ensemble de la filière d'approvisionnement de la grande distribution à comprimer ses marges de manière chaque fois plus sévère. Outre qu'elle expose les acteurs de cette filière à de graves difficultés économiques, elle compromet l'avenir en leur imposant une réduction de leurs dépenses d'investissement et d'innovation. Il risque d'en résulter, à terme, une réduction de la qualité et de la diversité des produits de grande consommation, qui constituent pourtant des caractéristiques propres à notre pays.

Je citerai quelques chiffres : le mois de janvier 2016 a constitué le trente et unième mois consécutif de déflation pour l'ensemble des produits de grande consommation. Une chute de cette ampleur n'avait pas été observée depuis huit ans. L'érosion des marges dans l'industrie agroalimentaire a atteint un niveau extrêmement préoccupant, puisque le taux de marge a régressé de plus de 11 points depuis 2000, et que l'investissement a chuté de 7 % en 2015. Cela alors que le supposé grand gagnant de la guerre des prix, à savoir le consommateur, peine à en percevoir les bénéfices ! La guerre des prix a permis de reverser 1 milliard d'euros aux consommateurs, mais cette somme devient dérisoire dès lors qu'on considère le gain par ménage : à peine 3 euros par mois ! Bien plus, la stabilité de la consommation des produits alimentaires prouve que les ménages n'ont pas utilisé ce gain pour consommer plus, mais davantage pour consommer plus cher.

Il existe, de fait, une dépendance économique réelle des petites et moyennes entreprises (PME) aux distributeurs. En amont, avant de pouvoir placer ses produits dans l'ensemble des magasins d'un distributeur, une PME commence par contracter, régionalement, avec quelques enseignes. Cette étape lui permet de dégager de la marge pour investir dans des équipements de production plus performants, d'accroître progressivement son stock de matières premières, et d'embaucher pour pouvoir répondre à la demande. Pendant cette phase d'amorce, de nombreuses PME se trouvent en situation de dépendance économique, mais cette situation est parfois utile à ce stade. Le véritable problème se trouve en aval : ce sont les abus qu'il faut combattre, autrement dit la situation où l'un des partenaires – le plus souvent une très petite entreprise (TPE) ou une PME – ne peut trouver une solution alternative s'il refuse les conditions que lui impose le distributeur.

Face aux dangers que fait peser le déséquilibre des relations commerciales sur les perspectives de notre agriculture et de notre industrie agroalimentaire, il y a eu des avancées législatives. Cet enjeu a fait l'objet de nombreux textes au cours des années récentes : je citerai la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, dite « Dutreil », et la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite « Chatel », ainsi que la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, et, pour la législature en cours, les lois du 17 mars 2014 relative à la consommation et du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « Macron ». Cette forte activité législative a permis de construire un cadre commun plus rigoureux pour ces négociations et a renforcé notablement les moyens de contrôle et le niveau des sanctions en cas de manquement. Mais ces avancées n'ont pas suffi à infléchir le cours des négociations commerciales, ni à mettre fin à la guerre des prix. Il convient aujourd'hui de trouver un dispositif permettant de mieux protéger les TPE et les PME dans ce rapport de forces.

Dans cette perspective, une solution, complémentaire du dispositif légal existant, a été pour le moins négligée : il s'agit de l'interdiction des abus de dépendance économique. L'abus de dépendance économique figure dans notre droit depuis longtemps : c'est l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence qui l'a introduit. Mais il demeure peu utilisé dans les faits. Les fournisseurs sont, en effet, dissuadés de recourir à cette procédure à cause des conditions très strictes qui ont été posées par la jurisprudence pour établir l'abus de dépendance économique, et notamment l'état de dépendance économique, qui est très difficile à prouver. La caractérisation de l'état de dépendance économique est soumise à quatre conditions cumulatives : l'importance de la part du chiffre d'affaires réalisé par un fournisseur avec un distributeur ; l'importance du distributeur dans la commercialisation des produits concernés ; l'absence de choix délibéré du fournisseur de concentrer ses ventes auprès de ce distributeur ; et l'absence de solutions alternatives pour le fournisseur. Le cumul de ces conditions conduit, dans la plupart des cas, à ne pas reconnaître l'état de dépendance économique, alors que des solutions alternatives présentées sont souvent théoriques pour les PME concernées.

L'Autorité de la concurrence, dans son avis relatif au rapprochement des centrales d'achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution, soulignait que, dans ce secteur, « l'appréciation de l'existence d'une éventuelle situation de dépendance économique résultant de la puissance d'achat d'un distributeur doit tenir compte d'une multitude de critères », et que ces derniers doivent permettre de définir les marges respectives de négociation dont disposent les entreprises concernées. La répartition des pouvoirs de négociation dépendant largement de la structure du marché de chaque famille de produits concernés, l'Autorité concluait à la nécessité de tenir compte des spécificités de chaque famille de produits. Le président de l'Autorité de la concurrence, avait ainsi indiqué, lors de son audition par la commission des affaires économiques du Sénat, le 8 avril 2015, soit il y a quasi un an jour pour jour, que dans le secteur de la pomme, même si un fournisseur écoulait 40 % à 50 % de sa production auprès d'une seule enseigne, le juge écarterait la qualification de dépendance économique s'il existait pour ce producteur des solutions alternatives, comme la vente dans une autre région ou à l'étranger… et cela même si elles sont pratiquement impossibles à mettre en oeuvre pour ce producteur. Il en découle que la plupart des recours déposés pour abus de dépendance économique sont aujourd'hui écartés par l'Autorité de la concurrence, en raison de la difficulté à établir un état de dépendance économique.

Pourtant, l'abus de dépendance économique devrait permettre de mieux sanctionner des pratiques qui constituent le coeur du déséquilibre des relations entre fournisseurs et distributeurs, notamment les ruptures brutales de relations commerciales sous la forme de déréférencements, et les renégociations sans contrepartie de conditions commerciales. Il pourrait constituer un instrument puissant de rééquilibrage et de pacification des relations entre fournisseurs et distributeurs, s'il pouvait être plus largement utilisé. De fait, si bien des fournisseurs se voient aujourd'hui contraints d'accepter les conditions défavorables qui leur sont proposées par la grande distribution, c'est parce que ces enseignes constituent, pour eux, des débouchés indispensables.

Cette proposition de loi vise à assouplir la définition législative de la situation de dépendance économique, en remplaçant ses quatre critères cumulatifs par deux critères : le premier est le risque que ferait peser, sur le maintien de l'activité du fournisseur, la rupture des relations commerciales avec le distributeur ; le deuxième est l'absence de solution de remplacement à ces relations commerciales susceptible d'être mise en oeuvre dans un délai raisonnable. Tels sont les deux critères cumulatifs que nous proposons dans cette proposition de loi. Le deuxième axe de cette proposition consiste à élargir à un horizon de moyen terme les effets sur le fonctionnement ou la structure de la concurrence que doit être susceptible d'avoir l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique pour être passible de sanctions.

Je proposerai deux amendements d'appel pour susciter le débat et, éventuellement, aller plus loin dans l'avenir. Ce texte a déjà fait l'objet d'un large consensus. Il résulte directement d'une proposition de l'Autorité de la concurrence. Il avait été adopté sous forme d'amendement par le Sénat lors de la première lecture du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Il avait malheureusement été écarté dans la suite de la navette.

Il s'agit donc de modifier l'article L. 420-2 du code de commerce, en ajoutant deux critères pour caractériser la situation de dépendance économique, au lieu des quatre critères utilisés aujourd'hui, et en cessant de ne prendre en compte que l'effet immédiat sur le fonctionnement ou la structure de la concurrence, par la mention des effets de moyen terme, de manière à confier des outils plus importants au juge et à avoir une appréciation plus souple de l'abus de dépendance économique, tout en conservant un cadre solide pour éviter de mettre en difficulté des PME, dont la mono-activité ou le débouché unique leur permettent de dégager un chiffre d'affaires important.

Tel est l'objet de cette proposition de loi que nous vous proposons, et dont M. Bernard Accoyer est le premier signataire.

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Je félicite M. Damien Abad pour le travail qu'il a réalisé. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen se réjouit de l'examen de cette proposition de loi. Il y a une semaine, dans cette commission, nous avions donné un avis favorable à la publication d'un rapport sur l'avenir des filières d'élevage. La proposition n° 22 de ce rapport concernait l'abus de dépendance économique. Notre groupe est tout à fait favorable à cette proposition de loi. Les négociations commerciales entre la grande distribution et les fournisseurs ont encore été très difficiles cette année. Elles ont été rudes, malgré les dispositions législatives adoptées dans le cadre de la loi relative à la consommation, notamment. La guerre des prix n'a pas cessé, avec des contrats toujours déflationnistes qui sont signés sous la pression. Des pratiques abusives manifestes ont été constatées par les fournisseurs. La situation reste préoccupante en raison du degré de concentration de la grande distribution à la suite du rapprochement de leurs centrales d'achat, qui sont désormais au nombre de quatre seulement. Ce déséquilibre entre distributeurs et fournisseurs affecte à court et moyen terme la santé économique du secteur agroalimentaire et pénalise le monde agricole en tant que fournisseur direct ou indirect.

Grâce à cette proposition de loi, nous permettons à l'Autorité de la concurrence de se saisir d'une infraction qui existe déjà dans notre droit depuis 1986 et qui a été revisitée en 2001. Mais elle n'est que très rarement utilisée en raison de sa définition très imprécise et de sa lecture très restrictive par le juge. La nouvelle rédaction que vous proposez est un assouplissement qui permettra à l'Autorité de la concurrence de se saisir de cet outil. D'une part, elle propose deux critères pour caractériser la dépendance : le risque de compromettre l'activité du client en cas de rupture des relations commerciales et l'impossibilité de trouver une solution équivalente ou alternative dans un délai raisonnable. D'autre part, elle prend en compte les effets à court et moyen terme. Vous avez évoqué, Monsieur le rapporteur, un amendement rédactionnel pour déplacer les mots : « à court ou moyen terme » dans le texte de la proposition de loi. J'y suis favorable. Il s'agit de considérer l'effet néfaste des pratiques anticoncurrentielles de la grande distribution sur les capacités d'investissement et d'innovation des fournisseurs sur le long terme qui créent de l'emploi productif dans nos territoires. C'était le sens de l'avis de l'Autorité de la concurrence sur les rapprochements des centrales d'achat en mars 2015. Cette nouvelle rédaction, rappelons-le, est une proposition de l'Autorité de la concurrence qu'avait déjà voulu défendre notre ancien président de commission, M. François Brottes, puis les sénateurs lors de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Depuis, cette proposition a fait son chemin et nous avons décidé, avec M. Thierry Benoit, de la reprendre dans nos travaux concernant la crise des filières d'élevage. Nous pensons que cette proposition de loi est bien ajustée et je vous invite donc à l'adopter en l'état, avec l'amendement rédactionnel évoqué par le rapporteur. Il n'y a pas lieu de rajouter d'autres amendements qui affaibliraient son texte.

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Je vous remercie pour votre accueil dans cette commission. Je salue le travail et l'attention que cette commission porte à ce sujet particulièrement grave. Je sais qu'elle a déjà beaucoup travaillé, qu'elle n'a pas encore pris certaines décisions mais qu'elle y réfléchit. J'ai le sentiment que nous sommes en train de faire se rapprocher des raisonnements et des exigences qui vont toutes vers le même objectif : sauvegarder notre secteur agricole, notre tissu de transformation, notre outil de production et notre tissu économique. Je veux remercier M. Damien Abad pour l'excellent travail qu'il a fait à partir de cette modeste proposition de loi. Je voudrais rester au niveau des réflexions générales parce que le travail technique est remarquablement bien fait ici, au sein de la commission des affaires économiques.

Depuis 1970, une révolution d'une violence et d'une ampleur sans précédent a bouleversé les rôles, le droit et les perspectives de chacun des acteurs. En ces quelques décennies, la distribution est devenue le maître de toute la chaîne. Cela est allé probablement beaucoup plus vite que nos capacités à adapter notre société à ce bouleversement, avec des conséquences économiques et sociales majeures. J'invite votre commission à réfléchir à cette bascule qui a fait passer du côté de la consommation tant et tant de choses et qui a fait peser sur la production tant et tant de charges. Pendant ce temps-là, nous n'avons rien changé quant à notre système de prélèvements sociaux ou fiscaux. Je mène, depuis longtemps, un combat pour conduire une réflexion sur ces questions. Au moment où certains font remarquer, à juste titre, que le consumérisme frénétique que la grande distribution promeut a des effets sur le développement durable et l'environnement, il serait de bon ton de réfléchir à ce qui est en train de se passer dans notre société. Cette proposition de loi prend acte des derniers dérapages qui sont survenus dans la distribution. Dans les années 1970, il y avait 170 enseignes importantes. Aujourd'hui, il n'y en a plus que 9. Et, depuis 2014, il n'y a plus que 4 centrales d'achat qui correspondent à 90 % du marché. Ces centrales d'achat et les grandes enseignes se livrent une guerre des prix qui est délétère pour l'avenir économique et social national. La déflation fait des dégâts terribles. Le temps est venu d'essayer de desserrer l'étau dans lequel se trouvent nos agriculteurs, nos transformateurs et les PME. Ces dispositions sont urgentes quand on voit le résultat des négociations pour 2016 qui ont été d'une brutalité et d'une violence sans précédent. Les exigences de la grande distribution sont effrayantes et ne sont pas sanctionnées. On observe des demandes d'avantages exigés auprès des fournisseurs par les acheteurs, avec des financements en tout genre en matière de logistique, de politique commerciale, de mise en place des produits dans les rayons et de publicité. On observe aussi une montée en puissance de la manne financière pour la distribution des pénalités de retard de logistique. Par exemple, il y a dix ans, le distributeur demandait 2 % du chiffre d'affaires livré pour une journée de retard. Aujourd'hui, ces demandes peuvent atteindre 10 % pour une heure, 15 % pour deux heures et 25 % pour trois à cinq heures. En face de cela, il y a la faiblesse de toute une chaîne qui représente pourtant le coeur de l'emploi dans notre pays. C'est pour toutes ces raisons qu'il convient de mieux définir l'abus de dépendance économique afin que les tribunaux puissent enfin sanctionner des dérapages de la part de ceux qui ont pouvoir de vie ou de mort sur des entreprises et des centaines d'emplois.

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Merci M. Damien Abad pour ce travail et cette proposition de loi. Ce texte précise une notion existante. Il apporte un élément de réponse à une impasse dans laquelle se trouvent de nombreux producteurs. Il apporte une réponse dans le cadre d'un modèle agricole et de distribution constant, faute d'une refonte de la politique agricole. Pour réduire la dépendance des producteurs, il faudrait promouvoir un autre modèle agricole comportant moins d'intermédiaires et des produits de meilleure qualité, qui sont des facteurs de différenciation par les prix, à rendements alimentaires supérieurs. C'est le cas des circuits courts, des initiatives coopératives, des groupements d'achat citoyens et des efforts d'organisation de l'offre régionale, qu'il conviendrait d'accompagner de façon à créer enfin un réel rapport de force. Néanmoins, cette proposition de loi va dans le bon sens et les députés du groupe Écologiste ne s'opposeront pas à son adoption.

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Je félicite les auteurs de cette proposition de loi. Au cours des auditions que nous avons réalisées pendant six mois dans le cadre de la mission d'information sur l'avenir des filières d'élevage, nous avons bien vu, avec Mme Annick Le Loch, toute l'opacité qui entoure ces questions de relations commerciales, notamment le rôle des centrales d'achat en France. À partir du moment où nous avons des acteurs dominants, avec quatre centrales d'achat seulement, cela met des PME et des PMI en situation de dépendance économique. Il est indispensable de mieux définir et d'encadrer la dépendance économique comme Mme Annick Le Loch et moi l'avions proposé dans notre rapport. Il faut parallèlement donner des moyens supplémentaires à l'Autorité de la concurrence et augmenter les sanctions contre les pratiques abusives. Cette proposition de loi me fait exprimer un souhait : il faut travailler sérieusement à dissiper cet oligopole que représentent ces quatre centrales d'achat en France.

On a bien vu que nos 150 000 éleveurs et que nos 130 à 150 abattoirs sont vraiment en situation de difficulté quand il s'agit de négocier avec ces acteurs de la grande distribution. Lorsque vous imaginez que certains acteurs que nous avons auditionnés, des industriels notamment, formulaient des craintes quant au fait de rendre publiques leurs positions relatives aux négociations commerciales, cela prouve le contexte difficile dans lequel ils évoluent et dans lequel ont lieu ces négociations. C'est donc une bonne chose de pouvoir, à travers une proposition de loi, somme toute simple, mais urgente, définir ce qu'est l'abus de dépendance économique et permettre à l'Autorité de la concurrence d'être encore plus sévère contre les pratiques abusives. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je veux manifester fortement notre soutien à cette proposition de loi et en féliciter les auteurs parce qu'il y a urgence.

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Je voudrais d'abord féliciter avec un peu d'humour les chantres du libéralisme de présenter cette proposition de loi parce qu'enfin, il y a une prise de conscience que la concurrence libre et non faussée exige des réponses, des accompagnements et des adaptations qui sont indispensables. Certes, vous n'allez pas jusqu'à faire une révolution bolchévique ou une révolution à la cubaine mais votre prise de conscience est importante parce que vous reconnaissez enfin que la main invisible du marché prônée par Adam Smith n'est pas une main qui donne de bonnes satisfactions. Les théories qui fondent le libéralisme considèrent que la régulation doit se faire naturellement, qu'il doit y avoir un équilibre entre le prix de marché et le prix naturel, c'est toute la théorie de l'avantage absolu. Mais je prends acte de cette évolution, de cette prise de conscience, de cette révolution copernicienne que vous entamez.

En deuxième lieu, je voudrais insister sur le fait, qui n'apparaît pas dans l'exposé des motifs mais est qui est sous-entendu par l'utilisation de certains termes, que la question qui nous occupe aujourd'hui ne concerne pas seulement le milieu agricole et agroalimentaire mais plus largement des productions industrielles. Je pense à des PME ; j'ai l'exemple précis d'un ami chef d'entreprise dans la coutellerie qui m'expliquait comment se passaient ces négociations commerciales avec une grande centrale commerciale, et me disait que chaque année, au dernier moment, on lui mettait le « couteau sous la gorge » en lui disant qu'il fallait signer quand l'heure extrême arrivait de la fin des négociations. Il était obligé de signer pour conserver ses marchés : s'il ne signait pas aux conditions qui lui étaient imposées, il devait mettre la clé sous la porte. J'insiste donc sur le fait que la portée de cette proposition de loi va au-delà de l'agriculture. Nous avons tous des exemples d'entreprises soumises à des conditions inacceptables.

Je voterai cette proposition de loi mais j'ai une interrogation. Cette modification de l'article L. 420-2 du code de commerce exclurait désormais, puisqu'elle opère une simplification des critères de l'abus de dépendance économique, l'application de la notion d'abus dans le cas où la rupture des relations commerciales est faite au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. La question du prix est une question qui n'apparaîtra plus dans cet article du code de commerce. Je comprends bien les difficultés de faire apparaître le prix, parce que cela voudrait dire, et là on heurte complètement les règles européennes, qu'on aurait un prix plancher imposé. Or on sait bien qu'aujourd'hui on ne peut pas imposer de prix plancher. Pour autant, et d'ailleurs il y avait une proposition de loi du groupe Les Républicains qui proposait une forme d'accise annuelle permettant de fixer un prix de référence, notamment sur les productions agricoles, je pense que si on pouvait définir par filière, voire par région de production, un prix de référence, cela pourrait permettre de maintenir dans l'article L. 420-2 cette question du prix. La question fondamentale, c'est celle du prix payé, autant à l'industriel qu'au producteur agricole, qui lui permette, non seulement de couvrir ses frais mais aussi de pouvoir avoir un revenu, et, pour le chef d'entreprise, de ne pas faire trop pression sur le salaire de ses employés ou sur les conditions de travail. Il est bien évident qu'il faudra affronter à bras-le-corps cette question des prix payés à la production ou à un fournisseur industriel.

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Cette proposition de loi vise à préciser l'abus de dépendance économique parce qu'aujourd'hui, les définitions contenues dans notre réglementation ne sont pas suffisamment adaptées, notamment aux négociations commerciales menées par la grande distribution, qui se trouve souvent en position de domination vis-à-vis des petits fournisseurs. Elle prévoit que la situation de dépendance économique est caractérisée, d'une part si le fonctionnement ou la structure de la concurrence sont susceptibles d'être affectés à court et à moyen terme, et d'autre part si la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risque de compromettre le maintien de son activité ou bien que le fournisseur ne dispose pas d'une solution de remplacement à ces relations commerciales susceptible d'être mise en oeuvre dans un délai raisonnable.

Nous avons beaucoup échangé sur ce sujet dans notre commission à l'occasion de la discussion de textes de loi, notamment la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt ou la loi relative à la consommation, dite « Hamon ». Cette proposition de loi est utile et nécessaire pour rééquilibrer des relations commerciales entre les producteurs et ceux qui commercialisent les produits. À titre personnel, parce que notre groupe n'a pas encore pris position sur ce texte, je voterai pour cette proposition, dans la continuité des amendements que nous avons pu défendre lors de l'examen du projet de loi relatif à la consommation ou du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

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Je me réjouis de cette concorde mais il convient, dans ces moments-là, d'avoir de l'esprit critique et de prendre des rendez-vous. Le premier sera avec le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit « Sapin II ». La transparence sur les prix, demande unanime dans les rangs du groupe Les Républicains, y sera reprise, et je ne doute pas que ces efforts de moralisation de la vie économique seront largement soutenus par ce groupe comme nous soutenons aujourd'hui l'initiative parlementaire portée par M. Damien Abad, et dont nous le félicitons, tout comme les travaux de Mme Annick le Loch et de M. Thierry Benoit.

Je voudrais appeler à deux cohérences. La première est celle des consommateurs car il y a souvent un dissensus entre le citoyen qui aspire à la durabilité et à l'équité, et le consommateur qui arbitre dans l'autre sens. Or il y a une complicité profonde entre un certain individualisme consumériste et un libéralisme sans foi ni loi. Chaque fois que nous pourrons éclairer par le débat public, non seulement parlementaire mais également par voie d'information et de pédagogie, les choix des consommateurs, nous progresserons. Il ne s'agit pas seulement de défendre le made in France ou le made in Europe, qui peut avoir un côté conservateur et gaulois, mais bien de promouvoir le « made in humanité », c'est-à-dire tout ce qui est fait avec équité et durabilité et favorise le choix citoyen et la consommation responsable.

Enfin, je souhaiterais appeler M. Damien Abad et son groupe parlementaire à reconsidérer, au vu de cette conversion idéologique contre un libéralisme sauvage, leur point de vue sur la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, que nous défendons avec force et passion, mais avec le même souci de concorde. En effet, ce que vous réclamez, ce que je demande également pour le producteur de lait du Saintois qui ne doit dépendre ni du capitalisme, ni de la grande distribution, ni du cours des fonds de pension chinois ou anglo-saxons pour son avenir, je le réclame avec la même force pour le producteur, l'artisan ou l'ouvrier du textile du Bangladesh ou pour les enfants qui travaillent dans l'extraction minière en Angola. C'est cette même logique, non pas d'être contre la mondialisation ou contre l'esprit d'entreprise, mais de lui ajouter un esprit d'éthique et de responsabilité. J'espère que notre soutien aujourd'hui vous appellera à reconsidérer votre position par trop idéologique et fermée sur notre proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

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Je voudrais tout d'abord féliciter le rapporteur et vous dire combien je souscris à cette proposition de loi que j'ai cosignée, puisque j'avais été aussi rapporteur avec Mme Annick Le Loch d'un rapport d'information qui touchait au problème des relations commerciales. Il est important, quand on voit l'objectif poursuivi, qui est celui de la recherche d'un meilleur équilibre entre producteurs et distributeurs, de soutenir cette proposition. Comme cela a été rappelé à de nombreuses reprises, les producteurs souffrent de l'absence de concurrence entre les distributeurs et sont donc contraints de s'engager dans des relations de dépendance. Ces dispositions contribueront à de meilleurs équilibres économiques. Toutefois, il convient d'accroître les moyens de contrôle des accords commerciaux conclus entre producteurs et distributeurs. Il serait important, Monsieur le Rapporteur, de nous indiquer si des moyens supplémentaires pourraient être octroyés à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour un respect des équilibres commerciaux.

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Cette proposition de loi est tout à fait intéressante pour nos agriculteurs. Cela a été largement exprimé. Il ne faudrait pas pour autant négliger d'autres pistes, qu'il faudra absolument explorer : par exemple fixer des prix planchers, afficher les prix payés aux agriculteurs, fixer des facteurs multiplicatifs que la grande distribution ne devrait pas dépasser entre le prix producteur et le prix de vente par exemple, et d'autres pistes, évoquées notamment par ma collègue Brigitte Alain. Il est totalement scandaleux qu'il n'y ait que quatre centrales d'achat. Je suis tout à fait d'accord avec M. Thierry Benoit, il faudrait regarder cela de plus près de façon à ce qu'il existe une concurrence plus régulée, qui devrait passer par des contrôles plus nombreux. Cessons donc la casse des fonctionnaires, peut-être est-ce là une autre conversion idéologique.

Puisque cette proposition ne concerne pas que le domaine agricole mais l'ensemble des relations producteurs-fournisseurs, avez-vous, Monsieur le Rapporteur, appréhendé les conséquences pour les autres domaines non agricoles ? Je m'interroge aussi à propos d'un effet pervers éventuel. Est-ce qu'un distributeur ne serait pas tenté de remplacer son fournisseur, très petite entreprise qui pourrait être sous le coup de cette dépendance économique, par une entreprise plus grosse, qui ne pourrait pas devenir un acteur sous dépendance économique ? Comment peut-on éviter cet effet pervers ?

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Je voudrais saluer le travail de M. Bernard Accoyer ainsi que celui de M. Damien Abad. Je crois que la grande distribution arrive toujours à détourner la loi. On l'a vu d'abord avec la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, dite « Royer », puis avec la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie. Il faut relever qu'il n'y a pas que l'agriculture qui souffre de cette distorsion de concurrence puisque ce sont des pans entiers de l'économie qui souffrent de ce monopole. Il faudrait insister sur la dévitalisation des centres villes, parce que ces grands groupes ont également tué le commerce de proximité, qui a un rôle essentiel dans l'identité de nos villes et de nos villages, en termes de lien social. La grande distribution ne pratique que la politique des prix bas. Nous sauverons notre agriculture non pas en distribuant des subventions mais en permettant aux éleveurs de vendre leurs produits au juste prix. Concernant ce texte, il faudrait préciser cette notion de « délai raisonnable ». Ne craignez-vous pas que cette notion soit sujette à interprétation ? Peut-on envisager un délai différent en fonction de la conjoncture et du secteur concerné ? Je ne voudrais pas que la grande distribution puisse s'engouffrer dans un dispositif imprécis.

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La position dominante qu'exercent les centrales d'achat avec la guerre des prix aboutit à la destruction de l'appareil productif global. Je pense aux PME qui n'ont plus de marges, plus d'investissements et qui se retrouvent déclassées dans la concurrence internationale. La politique des « prix bas » a ses justifications, mais ce sont nos emplois qui en pâtissent, ainsi que nos achats. On ne peut pas se contenter d'avoir des prix bas et d'aller émarger au revenu de solidarité active. Dans le domaine agricole, l'atomisation des producteurs et la faiblesse des organisations de producteurs font qu'elles sont incapables de peser sur les négociations commerciales. J'ai vu les amendements déposés. Celui instaurant une présomption de dépendance économique dès lors qu'un distributeur représente au moins 22 % du chiffre d'affaires d'un fournisseur me paraît pertinent. Pour terminer, si les tenants de l'économie libérale et de l'économie administrée sont d'accord pour voter cette proposition de loi, vous pensez bien que je le serai également.

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La grande distribution depuis vingt ans met tout le monde à terre. Je pense qu'il faut faire un plan Marshall car la grande distribution revient toujours par derrière pour obtenir des prix. Néanmoins, je rappelle que la grande distribution en France a un taux de marge inférieur à la grande distribution en Europe. Il faut regarder ce qu'il se passe en France mais également ce qui se passe en Europe. Il y a un problème de relation avec la grande distribution mais il y a également un problème de concurrence européenne avec des normes qui ne sont pas identiques. Je suis bien entendu cosignataire de cette proposition de loi et je félicite l'ensemble des personnes ayant travaillé sur ce texte.

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Merci de m'accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission. Je voudrais réitérer une remarque que j'ai pu formuler la semaine dernière à l'issue de la présentation du rapport de nos collègues Annick Le Loch et Thierry Benoit. Il se trouve que dans la perspective de la loi dite « Sapin II », j'ai rencontré les services de mon département chargés de la concurrence afin d'avoir leur appréciation sur les vides juridiques que nous pourrions combler. Ils m'ont indiqué que les législations successives avaient eu le mérite de renforcer le contrôle des services chargés de la concurrence sur le contenu des contrats issus des relations commerciales annuelles. Mais, il y a pire selon eux : ce qui est hors contrat, qui est le retour des marges arrières. Je veux demander au rapporteur s'il confirme cette analyse des choses et si les dispositions prises vont pouvoir répondre à cet état. Si tel n'est pas le cas, la loi « Sapin II » ne doit-elle pas être l'occasion de corriger les effets de ces dispositions ?

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Voilà une belle unanimité autour de votre travail, Monsieur le rapporteur !

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Je vais essayer de répondre à l'ensemble des questions. Madame Annick Le Loch, je rappelais le travail que nous avons fait avec M. Philippe Armand Martin. Cette proposition de loi correspond bien à la proposition n° 22 de notre rapport sur les filières d'élevages. En ce qui concerne les négociations commerciales difficiles et les contrats déflationnistes qui sont signés sous la pression, il s'agit d'un constat partagé et qui est présenté dans mon rapport sur la présente proposition de loi. Par ailleurs, vous avez dit qu'on avait peu utilisé cette procédure parce qu'il existe, à l'article L. 442-6 du code de commerce, une procédure complémentaire à celle proposée aujourd'hui. Il ne s'agit pas de créer un conflit entre deux procédures, mais d'apporter un complément pour que nous ayons deux autorités, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et l'Autorité de la concurrence, qui puissent agir conjointement pour être plus efficaces dans la lutte contre ces pratiques.

Je ne reviens pas sur les propos de M. Bernard Accoyer, qui est co-auteur de cette proposition de loi : je partage tout ce qui a été dit.

Madame Brigitte Allain, vous avez évoqué la question des circuits courts. Je vous renvoie au rapport sur l'avenir des filières d'élevage, où nous évoquons cette question. J'y renverrai également M. Thierry Benoit qui a évoqué les quatre centrales d'achat qui concentrent 90 % de l'activité.

Monsieur André Chassaigne, je voudrais simplement faire un rappel historique sur ce qu'est le libéralisme. Le libéralisme n'est pas le capitalisme sauvage. Le libéralisme est issu de la philosophie des Lumières qui visait la liberté et l'égalité des individus face à l'absolutisme de la société française. Dans les profondeurs du libéralisme, nous pourrions nous retrouver. Le libéralisme n'est pas un désengagement complet de l'État, c'est une régulation. Relisez cette fable de Mandeville où vous verrez que la main invisible ne veut pas dire la non régulation du marché. Dans le libéralisme, il y a des fondamentaux utiles et ce sont les dérives de cette philosophie qui peuvent entraîner des conséquences fâcheuses. Vous observez que l'abus de dépendance économique ne concerne pas que le monde agricole et agroalimentaire. Je suis d'accord avec vous sur ce point : on trouve les mêmes difficultés dans la relation entre donneurs d'ordre et sous-traitants dans ma circonscription, pour des entreprises de plasturgies. L'abus de dépendance économique doit concerner le secteur agricole et agroalimentaire mais aussi certains secteurs industriels. Concernant les conditions commerciales injustifiées, une proposition de prix de référence a été faite dans le rapport sur les filières d'élevage. Celle-ci pourrait être reprise, par amendement, lors de l'examen du projet de loi « Sapin II ».

Madame Jeanine Dubié, je ne doute pas que votre position personnelle soit partagée par votre groupe et de votre capacité à ce qu'on puisse aller dans ce sens.

Monsieur Dominique Potier, dans cette proposition de loi, la relation entre donneur d'ordre et sous-traitant est traitée à l'échelle nationale, et non internationale. Mais je partage l'idée de renforcer l'économie responsable.

M. Philippe Armand Martin m'a interrogé sur les moyens de contrôle des abus de dépendance économique, notamment de la DGCCRF. Je ne peux pas répondre en ce qui concerne l'augmentation de ses effectifs. Mais je pense que cette proposition de loi, en donnant compétence à l'Autorité de la concurrence en complément de la DGCCRF, permet de renforcer – à moyens constants – ce contrôle.

Mme Michèle Bonneton a soulevé la question, qui s'est d'ailleurs posée lors des auditions, d'un éventuel effet pervers des dispositions de la proposition de loi, qui consisterait à inciter des distributeurs à faire appel à une petite ou moyenne entreprise plutôt qu'à une autre afin d'éviter de créer une situation de dépendance économique. Cet argument a essentiellement été soulevé, lors des auditions, par les grandes entreprises et les distributeurs. Il a une certaine pertinence mais il convient de rappeler que cette proposition de loi traite la question de la dépendance économique en ce qui concerne l'aval de la filière, et non son amont. Il ne s'agit pas de sanctionner une situation de dépendance économique en tant que telle mais les abus de cette situation, notamment lorsque ces abus risquent de compromettre l'activité. En réalité, il s'agit avant tout d'un argument qui vise à éviter tout progrès dans la lutte contre ces abus.

M. Bernard Reynès a parlé de la dévitalisation des centres villes, due à la disparition des commerces de proximité en raison de la guerre des prix, que je regrette également. S'agissant de la détermination du délai nécessaire au fournisseur pour mettre en oeuvre une solution de remplacement aux relations commerciales, qui constitue une des conditions prévues par la proposition de loi pour caractériser une situation de dépendance économique, nous avons retenu la notion de « délai raisonnable ». En effet, nous avons estimé qu'un délai de six mois constituerait un critère trop homogène au regard de la diversité des situations concernées. Il est donc préférable de laisser au juge la liberté d'apprécier la notion de délai raisonnable au cas par cas.

Je relève et j'approuve la phrase de M. Paul Molac : « nos achats sont aussi nos emplois ». Concernant le manque d'organisation des producteurs, je renvoie mon collègue aux propositions faites dans le rapport n° 3621, cosigné par Mme Annick Le Loch et moi-même, sur l'avenir des filières d'élevage, déposé le 30 mars 2016. S'agissant de l'amendement CE2 qui prévoit que la situation de dépendance économique est présumée dès lors que la part du chiffre d'affaires du fournisseur réalisée auprès du distributeur est d'au moins 22 %, je suis bien évidemment d'accord avec ce qu'il a dit.

M. Jean-Claude Bouchet a souligné la nécessité de prendre en compte les réglementations des autres pays européens, notamment dans ce domaine, pour garantir une concurrence loyale. Cette préoccupation est en effet importante et nous regarderons ce qui est fait dans d'autres pays à ce sujet.

Enfin, M. François André a noté l'importance du « hors contrat ». Les auditions confirment ce que notre collège a dit. Mais ici, l'objectif est de moraliser les relations entre les fournisseurs et les distributeurs. Ce ne sera pas suffisant, mais c'est un pas important dans ce sens.

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Nous allons maintenant passer à l'examen des trois amendements déposés par le rapporteur.

La commission examine l'amendement CE3 de M. Damien Abad, rapporteur.

L'amendement CE3 est adopté.

La commission examine l'amendement CE1 de M. Damien Abad, rapporteur.

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Cet amendement vise à substituer un seul critère aux deux critères cumulatifs caractérisant une situation de dépendance économique . Il s'agit d'un amendement d'appel, car je pense qu'il convient de retravailler le dispositif de l'amendement pour le rendre plus fiable juridiquement. Mais le sujet est important. La condition prévoyant que la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur doit risquer de compromettre le maintien de son activité peut être assez restrictive. Il peut, en effet, y avoir des cas où une situation de dépendance économique existe alors que cette condition n'est pas remplie.

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Le texte de la proposition de loi que nous examinons actuellement retient deux critères tout à fait opérants. En supprimant le premier critère, cet amendement risque de multiplier les cas d'abus de dépendance économique concernant des fournisseurs qui ne sont en réalité pas vraiment en situation de dépendance économique. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen préfère donc en reste au texte de la proposition de loi.

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Cet amendement apporte un élément de subjectivité qui risque de fragiliser le texte et les jurisprudences qui pourraient se fonder sur lui. Le texte de la proposition de loi, plus objectif, est à mon sens plus équilibré.

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C'est un amendement d'appel. Il aborde néanmoins une question importante : il n'y a, en effet, pas de conséquence automatique entre le risque de disparition d'une entreprise fournisseur et le constat de son état de dépendance économique. Je conviens que le contenu de l'amendement peut avoir des effets pervers pour un certain nombre de PME alors que l'objet de la proposition de loi est précisément de les défendre et de les protéger. Je retire donc cet amendement et le redéposerai en séance publique pour au moins connaître l'avis du Gouvernement sur ce sujet.

L'amendement CE1 est retiré.

La commission examine l'amendement CE2 de M. Damien Abad, rapporteur.

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C'est également un amendement d'appel. La Commission européenne a effectué une étude auprès de plusieurs fournisseurs, selon laquelle au-delà d'un seuil de 22 %, un producteur ne peut remplacer la perte d'un client sans subir de perte financière considérable. Ce seuil de perte est aussi celui retenu par l'Autorité de la concurrence en matière de contrôle des concentrations dans un même secteur. Avec cet amendement, la situation de dépendance économique est présumée – ce qui ne veut pas dire qu'elle est établie – dès lors que la part du chiffre d'affaires du fournisseur réalisée auprès du distributeur est d'au moins 22 %. Cela faciliterait le travail de l'Autorité de la concurrence qui pourrait se saisir plus facilement, en évitant un examen de la situation dans le détail. Cet amendement permettrait également d'éviter la pression des distributeurs sur les PME, qui pourraient craindre de ne plus nouer certains partenariats avec des distributeurs puisque certaines enseignes ne pourront plus s'approvisionner qu'auprès des marques nationales. Le consommateur verra ainsi son choix réduit et standardisé alors qu'il est de plus en plus demandeur d'une offre diversifiée. Ce seuil pourrait donc rassurer les PME et les distributeurs dans leur partenariat. Cependant, cela mériterait une étude juridique ainsi qu'un débat argumenté en séance publique.

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Le taux pour la dépendance économique avait été proposé à 15 % au cours des auditions, vous avez choisi celui de 22 % qui est préconisé au niveau européen. Mais comme, en France, le secteur de la grande distribution est organisé en quatre centrales d'achat, cette proposition ferait entrer un trop grand nombre de fournisseurs dans la catégorie de la dépendance économique. De plus, cela ne prend pas en compte les spécificités des différents secteurs où une part importance du chiffre d'affaires réalisé chez un distributeur ne signifie pas forcément qu'il y a une réelle dépendance économique. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen est donc défavorable à cet amendement car il faut laisser la liberté au juge d'apprécier si la concentration importante de chiffre d'affaires peut être caractérisée comme un critère de dépendance économique.

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Je suis d'accord avec Mme Annick Le Loch. Énormément de PME fournisseurs de la grande distribution seraient touchées par la définition de la dépendance économique que vous proposez, sans qu'il y ait de risque sur leur activité commerciale. La vraie question, cependant, reste de savoir comment faciliter le travail de l'Autorité de la concurrence et de déterminer les fondements législatifs qui lui permettraient de mener des enquêtes sur la situation de dépendance économique, plutôt que de fixer un seuil arbitraire dans la loi.

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Cet amendement est encore pire que le précédent. Le risque d'instaurer une présomption dans la loi est que les juges en fassent une règle stricte, qui aboutisse à un effet de seuil ou de plafond, toujours néfaste.

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C'est un débat que nous avons déjà eu au cours des auditions et je partage votre position sur la question du seuil. L'interprétation du taux peut effectivement être négative et aboutir à déstabiliser les relations entre les distributeurs et les PME. Je pense qu'une étude d'impact reste néanmoins nécessaire pour déterminer le niveau de menace conduisant à la dépendance économique. Mais comme l'enjeu aujourd'hui est de faciliter le travail de l'Autorité de la concurrence, je vous propose de garder la définition plus souple de l'abus de dépendance économique telle qu'inscrite dans cette proposition de loi, qui fait passer de quatre à deux les critères cumulatifs de cette dépendance.

L'amendement CE2 est retiré.

La commission adopte, à l'unanimité, l'article unique ainsi modifié, ainsi que l'ensemble de la proposition de loi, modifiée.

Informations relatives à la commission

La commission a nommé M. Dominique Potier rapporteur pour avis sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (n° 3623).

Le champ de la saisine pour avis concerne les articles suivants : articles 25, 30, 31, 36, 38, 43 et 44.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 6 avril 2016 à 9 h 30

Présents. – M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, Mme Michèle Bonneton, M. Marcel Bonnot, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Yves Jégo, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Christophe Borgel, Mme Anne Grommerch, M. Henri Jibrayel, Mme Audrey Linkenheld, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Jean-Marie Tétart

Assistaient également à la réunion. – M. Bernard Accoyer, M. François André, M. Paul Molac, M. Paul Salen