Monsieur le président, chers collègues, je suis accompagné de M. Sébastien Grobon, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui travaille avec moi sur cette mission.
Le Premier ministre m'a confié une mission qui fait suite au dernier rapport d'évaluation du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, dont les conclusions indiquaient qu'il restait des progrès importants à faire, concernant les différents minima sociaux existant aujourd'hui dans notre pays.
À ce jour, nous avons neuf minima sociaux, qui sont le fruit de l'histoire. Certains datent de l'après-guerre, comme l'allocation veuvage, d'autres sont venus avec la crise, comme l'allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs de longue durée. Quant au revenu minimum d'insertion (RMI), remplacé depuis par le revenu de solidarité active (RSA), il a été instauré pour faire face à la crise sociale.
Les porteurs du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté ont constaté la complexité de ces dispositifs juxtaposés et leur iniquité selon le minima social dont on bénéficie. À situation de ressources comparable, les droits peuvent différer d'un minima social à l'autre. En outre, la complexité de l'accès aux droits est grande pour nombre de ces minima sociaux. C'est une difficulté, non seulement pour les allocataires, mais aussi pour celles et ceux qui en assurent la gestion ou le suivi – je pense, notamment, aux travailleurs sociaux.
Je dois rendre mes conclusions à la fin du mois de mars. Dans cette perspective, je m'interroge sur la particularité des outre-mer. J'ai souhaité être auditionné par votre Délégation pour vous demander ce que vous pensez des évolutions que je propose, dans la mesure où elles peuvent avoir des incidences extrêmement lourdes, notamment au regard du pourcentage d'allocataires sur vos territoires.
Pour atteindre les objectifs fixés par le Premier ministre, nous avons envisagé trois scénarios.
Le premier scénario est paramétrique. Il maintient les minima sociaux existants, mais il joue sur les différents paramètres pour essayer de contribuer à l'équité, à la simplicité et à l'accès aux droits.
Le premier paramètre que nous pourrions modifier est celui de l'âge. Certains dispositifs, en effet, sont ouverts à partir de dix-huit ans, d'autres à partir de vingt-cinq ans. D'autres encore, comme le minimum vieillesse, concernent les personnes âgées. Aujourd'hui, le RSA n'est accessible qu'à partir de vingt-cinq ans. La question se pose d'une harmonisation en termes d'âge.
Le deuxième paramètre pourrait être lié au niveau de ressources, qui diffère selon les minima sociaux. Dans certains cas, on prend en compte, ou non, les ressources des conjoints. Dans d'autres cas, on a, ou non, des forfaits indexés, comme le forfait logement. Ce paramètre pourrait également faire l'objet d'une harmonisation.
Le troisième paramètre pourrait être celui de la périodicité. Pour certains minima sociaux, qui donnent droit à des allocations, comme l'allocation logement, on se réfère aux ressources de l'année n–2, c'est-à-dire à une période très éloignée de celle où l'on fait la demande. Pour d'autres, on remonte aux trois derniers mois, s'agissant, notamment, du RSA et du principe de déclaration trimestrielle, laquelle peut être ensuite actualisée tous les mois.
Le deuxième scénario propose de créer trois minima sociaux en fusionnant les dispositifs existants.
Le premier serait l'actuelle allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), ex-minimum vieillesse, dont nous modifierions peu le périmètre.
Un deuxième bloc de minima sociaux regrouperait l'allocation adulte handicapé (AAH) et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI).
Le troisième bloc regrouperait tous les autres minima sociaux, le RSA, l'ASS, le revenu de solidarité (RSO) etc. L'une des difficultés porte sur le regroupement du RSA et de l'ASS : faut-il le faire ? Si la mesure semble intellectuellement satisfaisante, puisque les situations des bénéficiaires – des personnes éloignées de l'emploi depuis longtemps, sont comparables, la difficulté vient de ce que l'ASS donne des droits à la retraite, et pas le RSA. En outre, les personnes qui perçoivent l'ASS considèrent qu'il ne s'agit pas d'un minima social comme les autres, mais qu'elles ont acquis des droits parce qu'elles ont travaillé et qu'elles ont perçu, dans un premier temps, des indemnités journalières, avant de bénéficier de l'ASS.
De notre côté, nous pensons qu'une personne qui a bénéficié de l'ASS pendant douze ans n'est plus dans une mécanique de retour à l'emploi, en tout cas pas davantage que quelqu'un qui perçoit le RSA. Il conviendrait donc de ne pas fusionner les deux dispositifs, mais de limiter l'ASS dans le temps, en prévoyant un accompagnement renforcé. Au bout de deux ans, par exemple, le bénéficiaire de l'ASS rebasculerait dans le cadre du RSA.
Le troisième scénario consiste à supprimer tous les minima sociaux existants pour n'en créer qu'un seul, soit une couverture socle universelle, ouverte à toutes les personnes en situation de précarité.
Ce socle serait assorti de deux compléments. Un complément de soutien serait dédié à ceux qui ne peuvent pas avoir une activité : les personnes de plus de soixante-cinq ans et les personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler. Un deuxième complément, d'insertion, viendrait accompagner les bénéficiaires de ce minima social. Il nous faudrait alors revoir nos politiques d'insertion. Je ferai d'ailleurs, dans le rapport, un développement assez long sur les politiques d'insertion.
Aujourd'hui, les départements ont fortement réduit les crédits alloués aux politiques d'insertion, à cause de la charge que constitue le RSA, mais aussi parce qu'ils ont perdu un peu de leur dynamique pour mettre en place ces politiques d'insertion.
Jusqu'en 2004, les départements consacraient environ 20 % de l'ensemble de l'allocation du RSA à des politiques d'insertion, contre 8,1 % aujourd'hui, selon les chiffres de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS). Ces politiques se limitent désormais à financer les dispositifs existants, quand ils ne sont pas revus à la baisse. L'ingénierie sociale, qui faisait la richesse des politiques d'insertion adaptées aux territoires, a en grande partie disparu.
Le Premier ministre m'a demandé de lui faire rapidement une proposition sur ce point, parce qu'il devait rencontrer les représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF).
Nous allons proposer, dans le rapport, la recentralisation du RSA, c'est-à-dire le paiement de l'allocation à 100 % par l'État. Cette mesure nous semble indispensable, compte tenu des difficultés des départements à prendre en charge le versement du RSA. Si nous ne faisons rien, nous risquons de voir s'installer des disparités dans les politiques développées par les départements en direction du RSA, alors qu'il s'agit d'un dispositif universel, et donc, destiné à l'ensemble des bénéficiaires, quel que soit l'endroit où ils se trouvent.
Parallèlement à la recentralisation du RSA, nous préconisons l'obligation pour les départements de mener des politiques d'insertion à hauteur de 20 %, ce chiffre nous semblant constituer une base crédible. Il nous semble nécessaire de rappeler que les bénéficiaires des minima sociaux, notamment ceux qui sont en recherche d'activité, ont besoin de politiques d'insertion, quelles qu'elles soient, sociales ou professionnelles, et que ces politiques d'insertion nécessitent des moyens. Nous proposons donc que 100 % de ces politiques d'insertion soient prises en charge par les départements.
Le financement du RSA étant assuré à 100% par l'État et le financement des politiques d'insertion à 100 % par les départements, on arrive, en termes de montants, à une répartition 8020, qui correspond à la répartition du RMI lorsqu'il a été mis en place, et qui nous semble être à la fois crédible et porteuse. L'Association des départements de France est plutôt en accord avec cette proposition, même si elle continue à négocier avec l'État l'année de référence pour la prise en charge à 100 %, l'État souhaitant que ce soit 2016, les départements 2014.
J'en viens à la spécificité des outre-mer.
Il y a d'abord l'ampleur que prennent certains minima sociaux sur vos territoires - je pense en particulier au RSA.
Autre particularité, le RSO, dispositif spécifique aux outre-mer.
Enfin, les territoires et les collectivités d'outre-mer ont-ils la capacité de consacrer aujourd'hui 20 % du RSA aux politiques d'insertion ? Y a-t-il des supports, en termes d'entreprises, d'ateliers, de chantiers d'insertion ? Compte tenu du nombre très élevé de bénéficiaires sur vos territoires, est-il possible de porter une telle ambition ?
Cela m'amène à vous faire part de ma réflexion de fond.
Les minima sociaux jouant sur vos territoires un rôle de régulateur social beaucoup plus important qu'en métropole, considérez-vous que la réforme qui m'a été demandée par le Premier ministre doit être universelle, et donc, concerner les territoires et départements d'outre-mer ? Ou bien, compte tenu de vos particularités, estimez-vous qu'elle ne peut ou ne doit pas être déclinée sur vos territoires ?
C'est une vraie question, car elle met en jeu une modification substantielle. Je serais enclin à considérer qu'il ne peut pas y avoir de distinction entre les outre-mer et la métropole. En même temps, j'ai rencontré certains de vos collègues qui ont appelé mon attention sur l'impact d'une telle réforme dans les outre-mer. J'attends donc, chers collègues, que vous m'éclairiez sur ce sujet.
Du RSO, on m'avait dit que c'était un dispositif qui allait en diminuant. Les chiffres montrent, au contraire, qu'il est reparti à la hausse.
Le RSO est, en gros, un dispositif qui ne dit pas son nom. C'est en réalité un dispositif d'accompagnement à la retraite pour des gens dont on sait qu'ils ne pourront pas retrouver une activité. Peut-il être regroupé avec d'autres dispositifs ou doit-il être maintenu tel quel, du fait de la particularité de l'enjeu ?
Il y a une vraie spécificité des outre-mer. Je voudrais l'aborder avec toute la rigueur nécessaire, d'où cette rencontre qui est extrêmement importante pour m'éclairer sur cette question.