Délégation aux outre-mer

Réunion du 8 mars 2016 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • RSA
  • insertion
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La réunion

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La séance est ouverte à 17 heures 10.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.

La délégation procède à l'audition de M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, chargé par le Premier ministre d'une mission sur la simplification des minima sociaux.

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L'essentiel de notre réunion consiste à auditionner notre collègue Christophe Sirugue, dans le cadre de sa mission sur la simplification des minima sociaux.

Auparavant, je voudrais dire un mot à propos de la Journée internationale de la femme.

Cette journée trouve son origine dans le combat de celles que l'on a appelées les « Suffragettes », au début du XXe siècle, pour obtenir de meilleures conditions de vie et de travail, et le droit de vote.

Depuis, il y a eu des progrès incontestables, notamment l'obtention du droit de vote, mais il reste beaucoup à faire pour que les femmes soient pleinement amenées à participer, sur un pied d'égalité avec les hommes, à toutes les composantes de notre société. Trop d'inégalités persistent, en particulier dans le monde du travail : précarité des contrats, sous-rémunération, ségrégation professionnelle, difficulté d'accès à des postes à responsabilités, pour ne citer que cela.

Mais surtout, il ne faut jamais oublier cette terrible statistique : une femme sur trois dans le monde est encore victime de violences physiques ou sexuelles. C'est notre devoir de refuser cette situation, que ce soit dans le monde ou sur nos territoires, et de continuer à nous mobiliser pour que tous ces comportements discriminatoires à l'égard des femmes disparaissent au plus tôt et que l'égalité hommes femmes soit réelle.

Cela étant dit, nous sommes heureux d'accueillir M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, secrétaire de la Commission des affaires sociales, vice-président de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a été chargé par le Premier ministre d'une mission sur la simplification des minima sociaux.

Nous vous accueillons, cher collègue, de manière tout à fait informelle, dans le cadre de la délégation aux outre-mer, où nous essayons de réfléchir aux problèmes qui se posent aux collectivités des outre-mer. Ce n'est pas pour rien si l'on parle aujourd'hui « des » outre-mer. Si nous avons des points communs sur le plan économique et social, nous avons aussi des différences, qui ne rendent pas facile la réflexion globale sur l'ensemble des outre-mer français.

La mission de M. Christophe Sirugue porte sur l'ensemble du territoire national. Ses objectifs doivent obéir à plusieurs impératifs : assurer l'équité du régime des minima sociaux, le rendre moins complexe, et donc, plus accessible concrètement à ceux qui ont vocation à en bénéficier, et aussi en simplifier la gestion… on ne se trompe jamais quand on dit, en France, simplifier la gestion, c'est une nécessité permanente !

Comme il est de règle en pareil cas, j'imagine que la conduite de cette mission a amené notre collègue à procéder à un certain nombre d'auditions d'élus et de responsables administratifs. J'ai cru comprendre, également, qu'il avait tenu à rencontrer des personnes bénéficiant de minima sociaux. Mais, comme tout le monde le sait, la question des minima sociaux a des répercussions particulières dans les outre-mer, compte tenu de la situation économique et sociale de nos territoires. C'est pourquoi, à côté des entretiens et des consultations qu'il a menés par ailleurs avec des interlocuteurs hexagonaux ou ultramarins, M. Christophe Sirugue a souhaité ouvrir le dialogue avec les collègues de la délégation aux outre-mer, qui est l'expression institutionnelle de la représentation des outre-mer dans notre assemblée.

Je le remercie de sa disponibilité et je l'invite maintenant à nous présenter les grandes orientations de sa mission, les questions que celle-ci l'amène à se poser ou à nous poser, en relation avec la situation des outre-mer.

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Monsieur le président, chers collègues, je suis accompagné de M. Sébastien Grobon, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui travaille avec moi sur cette mission.

Le Premier ministre m'a confié une mission qui fait suite au dernier rapport d'évaluation du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, dont les conclusions indiquaient qu'il restait des progrès importants à faire, concernant les différents minima sociaux existant aujourd'hui dans notre pays.

À ce jour, nous avons neuf minima sociaux, qui sont le fruit de l'histoire. Certains datent de l'après-guerre, comme l'allocation veuvage, d'autres sont venus avec la crise, comme l'allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs de longue durée. Quant au revenu minimum d'insertion (RMI), remplacé depuis par le revenu de solidarité active (RSA), il a été instauré pour faire face à la crise sociale.

Les porteurs du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté ont constaté la complexité de ces dispositifs juxtaposés et leur iniquité selon le minima social dont on bénéficie. À situation de ressources comparable, les droits peuvent différer d'un minima social à l'autre. En outre, la complexité de l'accès aux droits est grande pour nombre de ces minima sociaux. C'est une difficulté, non seulement pour les allocataires, mais aussi pour celles et ceux qui en assurent la gestion ou le suivi – je pense, notamment, aux travailleurs sociaux.

Je dois rendre mes conclusions à la fin du mois de mars. Dans cette perspective, je m'interroge sur la particularité des outre-mer. J'ai souhaité être auditionné par votre Délégation pour vous demander ce que vous pensez des évolutions que je propose, dans la mesure où elles peuvent avoir des incidences extrêmement lourdes, notamment au regard du pourcentage d'allocataires sur vos territoires.

Pour atteindre les objectifs fixés par le Premier ministre, nous avons envisagé trois scénarios.

Le premier scénario est paramétrique. Il maintient les minima sociaux existants, mais il joue sur les différents paramètres pour essayer de contribuer à l'équité, à la simplicité et à l'accès aux droits.

Le premier paramètre que nous pourrions modifier est celui de l'âge. Certains dispositifs, en effet, sont ouverts à partir de dix-huit ans, d'autres à partir de vingt-cinq ans. D'autres encore, comme le minimum vieillesse, concernent les personnes âgées. Aujourd'hui, le RSA n'est accessible qu'à partir de vingt-cinq ans. La question se pose d'une harmonisation en termes d'âge.

Le deuxième paramètre pourrait être lié au niveau de ressources, qui diffère selon les minima sociaux. Dans certains cas, on prend en compte, ou non, les ressources des conjoints. Dans d'autres cas, on a, ou non, des forfaits indexés, comme le forfait logement. Ce paramètre pourrait également faire l'objet d'une harmonisation.

Le troisième paramètre pourrait être celui de la périodicité. Pour certains minima sociaux, qui donnent droit à des allocations, comme l'allocation logement, on se réfère aux ressources de l'année n–2, c'est-à-dire à une période très éloignée de celle où l'on fait la demande. Pour d'autres, on remonte aux trois derniers mois, s'agissant, notamment, du RSA et du principe de déclaration trimestrielle, laquelle peut être ensuite actualisée tous les mois.

Le deuxième scénario propose de créer trois minima sociaux en fusionnant les dispositifs existants.

Le premier serait l'actuelle allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), ex-minimum vieillesse, dont nous modifierions peu le périmètre.

Un deuxième bloc de minima sociaux regrouperait l'allocation adulte handicapé (AAH) et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI).

Le troisième bloc regrouperait tous les autres minima sociaux, le RSA, l'ASS, le revenu de solidarité (RSO) etc. L'une des difficultés porte sur le regroupement du RSA et de l'ASS : faut-il le faire ? Si la mesure semble intellectuellement satisfaisante, puisque les situations des bénéficiaires – des personnes éloignées de l'emploi depuis longtemps, sont comparables, la difficulté vient de ce que l'ASS donne des droits à la retraite, et pas le RSA. En outre, les personnes qui perçoivent l'ASS considèrent qu'il ne s'agit pas d'un minima social comme les autres, mais qu'elles ont acquis des droits parce qu'elles ont travaillé et qu'elles ont perçu, dans un premier temps, des indemnités journalières, avant de bénéficier de l'ASS.

De notre côté, nous pensons qu'une personne qui a bénéficié de l'ASS pendant douze ans n'est plus dans une mécanique de retour à l'emploi, en tout cas pas davantage que quelqu'un qui perçoit le RSA. Il conviendrait donc de ne pas fusionner les deux dispositifs, mais de limiter l'ASS dans le temps, en prévoyant un accompagnement renforcé. Au bout de deux ans, par exemple, le bénéficiaire de l'ASS rebasculerait dans le cadre du RSA.

Le troisième scénario consiste à supprimer tous les minima sociaux existants pour n'en créer qu'un seul, soit une couverture socle universelle, ouverte à toutes les personnes en situation de précarité.

Ce socle serait assorti de deux compléments. Un complément de soutien serait dédié à ceux qui ne peuvent pas avoir une activité : les personnes de plus de soixante-cinq ans et les personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler. Un deuxième complément, d'insertion, viendrait accompagner les bénéficiaires de ce minima social. Il nous faudrait alors revoir nos politiques d'insertion. Je ferai d'ailleurs, dans le rapport, un développement assez long sur les politiques d'insertion.

Aujourd'hui, les départements ont fortement réduit les crédits alloués aux politiques d'insertion, à cause de la charge que constitue le RSA, mais aussi parce qu'ils ont perdu un peu de leur dynamique pour mettre en place ces politiques d'insertion.

Jusqu'en 2004, les départements consacraient environ 20 % de l'ensemble de l'allocation du RSA à des politiques d'insertion, contre 8,1 % aujourd'hui, selon les chiffres de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS). Ces politiques se limitent désormais à financer les dispositifs existants, quand ils ne sont pas revus à la baisse. L'ingénierie sociale, qui faisait la richesse des politiques d'insertion adaptées aux territoires, a en grande partie disparu.

Le Premier ministre m'a demandé de lui faire rapidement une proposition sur ce point, parce qu'il devait rencontrer les représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Nous allons proposer, dans le rapport, la recentralisation du RSA, c'est-à-dire le paiement de l'allocation à 100 % par l'État. Cette mesure nous semble indispensable, compte tenu des difficultés des départements à prendre en charge le versement du RSA. Si nous ne faisons rien, nous risquons de voir s'installer des disparités dans les politiques développées par les départements en direction du RSA, alors qu'il s'agit d'un dispositif universel, et donc, destiné à l'ensemble des bénéficiaires, quel que soit l'endroit où ils se trouvent.

Parallèlement à la recentralisation du RSA, nous préconisons l'obligation pour les départements de mener des politiques d'insertion à hauteur de 20 %, ce chiffre nous semblant constituer une base crédible. Il nous semble nécessaire de rappeler que les bénéficiaires des minima sociaux, notamment ceux qui sont en recherche d'activité, ont besoin de politiques d'insertion, quelles qu'elles soient, sociales ou professionnelles, et que ces politiques d'insertion nécessitent des moyens. Nous proposons donc que 100 % de ces politiques d'insertion soient prises en charge par les départements.

Le financement du RSA étant assuré à 100% par l'État et le financement des politiques d'insertion à 100 % par les départements, on arrive, en termes de montants, à une répartition 8020, qui correspond à la répartition du RMI lorsqu'il a été mis en place, et qui nous semble être à la fois crédible et porteuse. L'Association des départements de France est plutôt en accord avec cette proposition, même si elle continue à négocier avec l'État l'année de référence pour la prise en charge à 100 %, l'État souhaitant que ce soit 2016, les départements 2014.

J'en viens à la spécificité des outre-mer.

Il y a d'abord l'ampleur que prennent certains minima sociaux sur vos territoires - je pense en particulier au RSA.

Autre particularité, le RSO, dispositif spécifique aux outre-mer.

Enfin, les territoires et les collectivités d'outre-mer ont-ils la capacité de consacrer aujourd'hui 20 % du RSA aux politiques d'insertion ? Y a-t-il des supports, en termes d'entreprises, d'ateliers, de chantiers d'insertion ? Compte tenu du nombre très élevé de bénéficiaires sur vos territoires, est-il possible de porter une telle ambition ?

Cela m'amène à vous faire part de ma réflexion de fond.

Les minima sociaux jouant sur vos territoires un rôle de régulateur social beaucoup plus important qu'en métropole, considérez-vous que la réforme qui m'a été demandée par le Premier ministre doit être universelle, et donc, concerner les territoires et départements d'outre-mer ? Ou bien, compte tenu de vos particularités, estimez-vous qu'elle ne peut ou ne doit pas être déclinée sur vos territoires ?

C'est une vraie question, car elle met en jeu une modification substantielle. Je serais enclin à considérer qu'il ne peut pas y avoir de distinction entre les outre-mer et la métropole. En même temps, j'ai rencontré certains de vos collègues qui ont appelé mon attention sur l'impact d'une telle réforme dans les outre-mer. J'attends donc, chers collègues, que vous m'éclairiez sur ce sujet.

Du RSO, on m'avait dit que c'était un dispositif qui allait en diminuant. Les chiffres montrent, au contraire, qu'il est reparti à la hausse.

Le RSO est, en gros, un dispositif qui ne dit pas son nom. C'est en réalité un dispositif d'accompagnement à la retraite pour des gens dont on sait qu'ils ne pourront pas retrouver une activité. Peut-il être regroupé avec d'autres dispositifs ou doit-il être maintenu tel quel, du fait de la particularité de l'enjeu ?

Il y a une vraie spécificité des outre-mer. Je voudrais l'aborder avec toute la rigueur nécessaire, d'où cette rencontre qui est extrêmement importante pour m'éclairer sur cette question.

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Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, les situations sont différentes d'un département à l'autre ou d'un territoire d'outre-mer à l'autre. On ne peut pas, par exemple, préconiser pour Mayotte les mêmes solutions que pour La Réunion ; la distance n'est pas que géographique. Notre collègue Boinali Said en parlera sans doute.

Nous nous sommes toujours battus, avec nombre de mes collègues, pour que les outre-mer ne fassent pas l'objet d'un traitement particulier. Cela ne veut pas dire que nous sommes tout à fait semblables. Chacun a sa personnalité, et les histoires, les cultures, les coutumes, les climats sont différents. C'est pour cette raison que l'on parle aujourd'hui « des » outre-mer. Pour autant, il faut rappeler que le traitement spécifique des règles applicables dans le domaine social a souvent été interprété comme un traitement minimum par rapport à ce qui se faisait ailleurs. Je le dis sans acrimonie, mais cela s'est souvent passé ainsi. Il faut absolument éviter cela.

La refonte complète du système est un projet ambitieux et très séduisant, mais assurément, une telle réforme ne produirait pas les mêmes effets à Mayotte et à La Réunion.

J'ai toujours la même crainte, qui me vient des combats que j'ai menés dans le passé. Le RMI, instauré par un gouvernement socialiste, donc plus enclin à la préoccupation sociale, n'était pas en métropole le même que dans les départements d'outre-mer. C'était, au départ, une bonne idée, qui a donné lieu à une injustice. L'injustice sociale ne doit pas être acceptée. Il existe des moyens pour pallier les inconvénients engendrés par les différences qui existent entre les territoires. Les populations d'outre-mer ne supportent plus que l'on parte de ces différences pour faire moins que ce qui existe en métropole.

Pour ces raisons, je serais tenté de dire qu'il faut intégrer les outre-mer dans la réforme « normale », faite pour l'ensemble de la nation, tout en veillant à la prise en compte de leurs spécificités.

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À Mayotte, 60 à 65 % de la population a moins de vingt-cinq ans. Le taux de chômage y est très élevé par rapport aux autres outre-mer. La question de l'insertion par l'activité économique se pose donc d'emblée.

Par ailleurs, les collectivités locales, à Mayotte, ont de grandes difficultés en termes de ressources. Elles sont quasiment dans l'incapacité d'assumer l'ensemble des prestations qui relèvent de leurs compétences. La prise en charge par l'État d'un certain nombre de prestations qui étaient offertes par le département est, à mes yeux, une question importante.

Mais, le président Fruteau l'a dit, il y a une disparité en termes de niveau de prestations telles qu'elles sont distribuées. Il est donc nécessaire d'envisager une convergence des niveaux de prestations, le coût de la vie à Mayotte étant très élevé, du fait de l'éloignement et de l'« économie » de l'importation.

En ce qui concerne le niveau de ressources des familles, le calcul est biaisé. Ce sont les hommes qui, le plus souvent, disposent de ressources, les femmes s'occupant, selon la coutume, du foyer et des enfants.

Telle est la situation pour des territoires éloignés, qui connaissent de grandes difficultés et qui nécessitent, peut-être plus que d'autres, une plus grande prise en charge.

En ce qui concerne la vieillesse, les gens n'ont souvent pas assez travaillé pour bénéficier d'une pension de retraite. Les pensions ayant été calculées à partir de modèles locaux avant de rentrer dans le droit commun, beaucoup de personnes âgées ont une pension de 150, voire 70 euros, alors que le coût de la vie est extrêmement élevé. L'harmonisation est donc nécessaire en la matière.

Vous avez parlé d'un troisième scénario et d'une couverture socle, avec des déclinaisons pour la vieillesse, le handicap et l'insertion. Il conviendrait peut-être de se diriger vers ce type de réforme pour embrasser l'ensemble des difficultés.

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Je suis membre de la Délégation aux outre-mer, mais je n'habite pas dans ces départements. C'est donc un regard extérieur que j'apporterai.

J'ai eu un aperçu de la vie dans les départements d'outre-mer à travers la mission d'information que j'ai conduite sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires. À cette occasion, j'ai passé quelques jours à Mayotte et à La Réunion.

J'ajouterai aux spécificités de Mayotte qui ont été évoquées le fait que cette île accueille un grand nombre de personnes en provenance des autres îles des Comores. C'est une réalité qui pèse fortement sur le département, dont la population est essentiellement composée de jeunes. En ce qui concerne l'insertion par l'activité économique, les filières alimentaires peuvent être un support. Mais cela suppose, au-delà des moyens financiers, un accompagnement de la part de l'État.

J'ai eu la satisfaction de constater, tant à Mayotte qu'à La Réunion, que les services de l'État, notamment ceux compétents pour l'agriculture et de l'alimentation, sont très présents et font encore le travail qui se faisait il y a vingt ans en métropole. L'administration a un vrai rôle d'accompagnement en matière de développement, en lien avec des associations et la chambre de commerce.

Cela étant, j'ai eu l'impression que Mayotte était abandonnée par les pouvoirs publics. Il conviendrait d'interpeller le Gouvernement sur ce sujet. On parle des migrants à Calais. Je ne sais pas si les Mahorais considèrent comme des migrants les Comoriens qui arrivent à Mayotte, Mayotte étant elle-même une île des Comores, mais cela crée une situation très difficile.

J'ai eu l'occasion d'aller, à titre privé, en Guadeloupe, où j'ai pu constater que beaucoup de personnes étaient dans une situation difficile, du fait du manque d'emploi et du manque d'accompagnement du développement. Trop de produits sont importés, au détriment d'un développement endogène, qui est possible en Guadeloupe, à La Réunion et partout dans les outre-mer. Si certains départements ne peuvent pas consacrer 20 % du montant du RSA aux politiques d'insertion, il faudra leur accorder une aide supplémentaire.

S'agissant de Mayotte, je le répète, j'ai vraiment eu l'impression qu'on l'abandonnait. Outre le problème des personnes qui arrivent des îles voisines, j'ai constaté qu'il était également difficile de développer l'agriculture, car on ne sait pas toujours à qui appartiennent les terres.

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La Délégation aux outre-mer est composée de députés qui représentent les départements et territoires d'outre-mer et de députés qui représentent des circonscriptions métropolitaines. Vous avez donc, madame Allain, toute légitimité à vous exprimer ici. La présence de députés métropolitains garantit que les membres ultramarins ne passent pas leur temps à se regarder entre eux. N'hésitez pas à nous faire part de vos impressions, que vous soyez allée sur place à titre privé ou en tant que membre d'une mission d'information.

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Une des particularités des outre-mer, qui est forte à Mayotte, sans lui être spécifique, est la jeunesse de la population. Si nous devions étendre à tous, aujourd'hui, le bénéfice du RSA ou de la couverture socle, il faudrait faire fi de la barrière d'âge. J'ai, en effet, du mal à expliquer pourquoi on aide quelqu'un qui a vingt-cinq ans, mais pas quelqu'un qui en a vingt-quatre. Sauf que le nombre de jeunes sur vos territoires a un impact financier qui n'est pas neutre, et que, par ailleurs, nous souhaiterions introduire dans le troisième scénario, et probablement dans le premier scénario, l'idée du droit opposable à l'insertion.

On veut, aujourd'hui, porter la notion des droits et des devoirs, qui me paraît importante en termes de reconnaissance des personnes. En échange d'un devoir, comme celui d'avoir un contrat, par exemple, il y aurait un droit opposable à l'insertion, c'est-à-dire que toute personne pourrait exiger de son conseil départemental la mise en place d'une politique d'insertion.

Compte tenu du nombre de jeunes qui vivent dans les territoires et départements d'outre-mer, si nous ouvrons à tous, à partir de dix-huit ans, sans faire de distinction entre la métropole et les outre-mer, un droit opposable à l'insertion, dois-je m'attendre à ce qu'il y ait, dans les outre-mer, des difficultés pour proposer des politiques d'insertion, passant notamment par l'activité économique ? Ou bien peut-on, comme ailleurs, en y mettant les moyens, développer de telles politiques ?

Je ne connais pas suffisamment le support économique et commercial de vos territoires pour avoir la réponse. J'ai déjà interrogé la FEDOM, mais je serais heureux d'obtenir de la délégation des informations complémentaires.

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En gros, la couverture par les entreprises est différente selon les territoires, avec une partie qui peut s'apparenter à une forme d'industrie, et une partie qui s'apparente davantage à de l'artisanat. Il est donc plus difficile d'offrir des structures d'insertion dans certains territoires d'outre-mer qu'en métropole, par exemple. Par ailleurs, la difficulté des déplacements fait qu'un jeune vivant dans les outre-mer a peut-être plus de difficultés à être mobile qu'un jeune vivant en métropole, qui peut facilement aller de Nantes à Montpellier si ce parcours d'insertion lui est suggéré.

Du coup, je suis perplexe. Je suis partisan d'un droit qui s'applique à l'ensemble des territoires de notre nation, mais en même temps, je me demande si je dois distinguer les particularismes.

Il ne faudrait pas qu'un nombre important de jeunes se tournent ensuite vers les collectivités d'outre-mer en arguant de leur droit opposable pour exiger un parcours d'insertion et ces collectivités n'aient pas les structures pour répondre à leur demande. Ce qui vient d'être dit sur Mayotte qui m'interpelle.

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Nos modèles de développement se sont immédiatement centrés sur les zones urbaines, au détriment du monde rural où il n'existe pratiquement pas d'entreprises. Notre seule chance serait de jouer sur la mobilité et que les jeunes disposent d'un espace plus large, l'espace national, qui servirait d'appui aux dispositifs d'insertion. Car si l'on s'en tient à notre modèle de développement, 60 % des territoires n'ont pas de tissu économique, qu'il s'agisse d'entreprises ou d'artisanat. Les collectivités peineraient donc à établir des liens entre les entreprises et les jeunes pour accompagner leur insertion.

Cela étant, dès lors qu'il s'agit d'un droit, qui plus est, opposable, il faut l'étendre. L'extension permettra au moins de mobiliser les collectivités locales dans cette dynamique. Un pan entier de la population vit dans l'économie informelle, ce qui absorbe tous nos efforts en matière de développement. Il faut extraire une bonne partie de la jeunesse de ce monde de l'informel pour construire une économie. À Mayotte, tout est à construire ; c'est la différence par rapport aux autres départements d'outre-mer.

Je pense qu'il faut jouer sur la mobilité et les coopérations avec les autres territoires, et prévoir des modèles de développement.

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La question que vous posez, monsieur Sirugue, sur le droit opposable, est globale. Elle ne peut être divisée. Peut-on proposer un droit opposable à l'insertion en métropole, qui ne soit pas opposable dans les outre-mer ? Je serais le premier à le dénoncer. Ce serait bafouer un principe essentiel, à savoir le droit de tout citoyen à accéder à ce que propose son pays. Soit on propose le droit opposable à l'insertion pour tout le monde, soit on ne le propose pas.

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C'est aussi très difficile pour nous d'y répondre. C'est une question à laquelle il nous faudra réfléchir. Des questions essentielles ont été posées, dont les conséquences ne concernent pas seulement les outre-mer, et nous sommes loin d'avoir toutes les réponses.

Nous avons reçu récemment le Premier président de la Cour des comptes et ses collaborateurs, qui avaient mené une réflexion sur Mayotte. Leur constat, au premier abord, pouvait paraître extrêmement sévère, mais M. Ibrahim Aboubacar lui-même, dans un écrit que j'ai lu il y a peu, a évoqué un constat certes sévère, mais lucide. Un certain nombre de questions, parfois brutales, ont été posées par la Cour des comptes. L'État ne peut pas fuir ses responsabilités.

Aujourd'hui, pour en avoir discuté plusieurs fois avec Mme la ministre des outre-mer – c'était vrai également du temps de M. Victorin Lurel –, je peux dire que cette question importante soulève bien des interrogations au niveau du Gouvernement. Mais les solutions ne sont pas simples.

Un processus a été mis en oeuvre, dont on peut dire qu'il a été trop rapide ou qu'il n'a pas été engagé assez tôt, mais la situation est aujourd'hui extrêmement difficile et elle ne s'améliore pas. Boinali Said sera sans doute de mon avis sur ce point. On attend tout de cette départementalisation que les élus de Mayotte ont voulu. Pourtant, les effets ne sont pas là.

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Nous sommes confrontés à l'incapacité du territoire à contrôler ses frontières et à l'arrivée d'une jeunesse qui n'a pas forcément grandi à Mayotte, ce qui accroît les difficultés d'insertion et d'intégration de la jeunesse et de l'ensemble de la population dans le processus de départementalisation, c'est-à-dire le droit commun.

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Je commencerai par évoquer les autres collectivités d'outre-mer, notamment celles qui ne sont pas représentées ici, avant de revenir au cas de Mayotte.

Je suis rapporteur pour avis de la Commission des lois, pour la mission budgétaire concernant les collectivités d'outre-mer. Même si la notion de minima sociaux concerne, à proprement parler, les collectivités de l'article 73, il faudrait, à l'heure où nous parlons d'égalité réelle dans toutes les collectivités d'outre-mer, évoquer ce qui se passe dans les autres collectivités. Saint-Martin, qui a repris un certain nombre de compétences en la matière, s'est engagée dans un processus d'adaptation des minima sociaux et du droit social, compte tenu de sa situation, son territoire étant composé d'une partie hollandaise et d'une partie française.

En Polynésie française, les dispositifs de solidarité sont extrêmement limités. Le seul dispositif qui existe fait l'objet, en ce moment, d'un accompagnement de l'État pour pallier des difficultés financières.

Nombre de minima sociaux n'existent pas à Mayotte. Lors de la départementalisation, un dispositif d'extension, prévu dans le Pacte pour la départementalisation, a été mis en place, visant à créer de nouveaux minima sociaux sur une période de vingt à vingt-cinq ans. Le président Hollande, arrivé au pouvoir, a indiqué sa volonté de diviser cette période de moitié, c'est-à-dire de la porter à dix ou quinze ans.

Le plan « Mayotte 2025 » a évoqué le sujet. Un certain nombre de dispositions sont en attente. Il y a, d'une part, cette simplification, d'autre part, l'institution de minima qui n'existaient pas. Il faudra donc réfléchir à la façon d'aborder concrètement la question de ces minima dans une logique de simplification. Le meilleur exemple que je puisse donner est celui de la prime d'activité, qui remplace la prime pour l'emploi et le RSA, la prime pour l'emploi existant depuis plusieurs années à Mayotte, alors que le RSA n'existe que depuis peu.

Je voulais simplement souligner que, pour notre département, l'exercice est double lorsqu'il s'agit de modifier, simplifier ou adapter des dispositifs qui, soit n'existent pas encore, soit sont mis en oeuvre progressivement.

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Monsieur Sirugue, je vous remercie d'avoir souhaité rencontrer la Délégation aux outre-mer pour avoir son avis sur ces questions. Je remercie également nos collègues pour leur participation à cette audition.

La réunion se termine à 18 heures 10.