Je vais essayer de répondre à celles de vos questions auxquelles un ambassadeur à Moscou peut répondre.
Je rappelle l'importance du dialogue que nous menons avec la Russie. Il ne faut pas avoir de doute sur ce point. Vous avez mentionné, madame la présidente, le dialogue interparlementaire. Pour ma part, je voudrais citer un chiffre intéressant : les présidents Poutine et Hollande se sont parlé en bilatéral vingt-quatre fois au cours de l'année 2015, directement ou par téléphone – je ne pense pas que beaucoup de chefs d'État se soient parlé aussi souvent en un an. Quatre ministres français sont venus à Moscou entre octobre 2015 et janvier 2016 : le ministre de l'Agriculture, la ministre de l'Environnement, le ministre de la Défense et le ministre de l'Economie, ce dernier notamment pour coprésider le Conseil économique, financier, industriel et commercial franco-russe (CEFIC), qui ne s'était pas tenu depuis deux ans. Les douze groupes de travail du CEFIC se sont réunis en 2015, sauf le groupe « agriculture », qui devrait le faire prochainement. Nous allons aussi tenir, pour la première fois depuis huit ans, la commission mixte culturelle, après-demain à Moscou. Trois visites ministérielles sont d'ores et déjà prévues avant l'été, en plus de celle que devrait effectuer le ministre des Affaires étrangères, et j'espère qu'un ministre français participera au Forum économique de Saint-Pétersbourg. Comme vous le voyez, le gouvernement français se mobilise pour les intérêts économiques et les entreprises françaises.
La Russie traverse une crise économique sérieuse, qui a un impact considérable. Le taux de croissance s'est établi à – 3,8 % en 2015 et devrait se situer, selon les chiffres que vient d'annoncer la banque centrale russe, entre – 3 % et – 1 % en 2016. Le ministre russe de l'Economie laisse entendre que la reprise ne sera que pour 2018. Le taux d'investissement est très faible : 18 % du PIB, soit moins de la moitié de ce qu'il est en Chine ou en Inde. Cette crise, je le souligne, n'a pas grand-chose à voir avec les sanctions. Elle est en revanche directement liée à l'effondrement du cours des hydrocarbures, auquel il faut ajouter l'absence de réformes structurelles.
Le budget de 2016 a été calculé à partir de l'hypothèse d'un baril de pétrole à 50 dollars en moyenne sur l'année. Elle paraît peu réalisable aujourd'hui. D'où un accroissement du déficit budgétaire. Or le gouvernement russe a besoin de se substituer au système financier international pour refinancer les banques et pour financer les grands projets industriels et d'infrastructures. L'État russe ayant moins d'argent – le Fonds de réserve et le Fonds du bien-être national, notamment, ont vu leur montant diminuer –, l'effet des sanctions se fait davantage sentir. Toutefois, le cours du rouble suivant celui de l'énergie, les capacités financières du gouvernement en roubles se sont maintenues à un niveau bien supérieur à ce que l'on pourrait croire.
Vous avez raison, monsieur Mariani : aux sanctions de l'Union européenne s'ajoute le fait que les banques françaises et étrangères vont au-delà du respect des règles – overcompliance –, notamment celles qui sont très engagées aux États-Unis. Elles comparent leurs avoirs aux États-Unis et en Russie et ne veulent prendre aucun risque. Tel est le cas du Crédit agricole, de BNP Paribas et de la Société générale. Concernant cette dernière, elle ne s'est pas pour autant retirée de Russie.
Il y a aussi des sanctions russes, notamment l'embargo sur les produits agroalimentaires. Celui-ci est une réponse aux sanctions européennes, mais en partie seulement : les difficultés agricoles que nous connaissons en France sont liées pour une part à des restrictions phytosanitaires qui avaient été décrétées de manière unilatérale par la Russie avant la crise en Ukraine. L'Union européenne considère d'ailleurs que ces mesures sont mal fondées et a engagé des contentieux à ce sujet devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Je rappelle que les sanctions sont européennes : ce n'est pas la France seule qui peut décider de les lever. Cela étant, en vertu du mécanisme qui a été adopté, il faut l'unanimité pour les renouveler. En d'autres termes, tout État peut s'opposer à leur reconduction. Quant à une éventuelle levée partielle, je ne peux pas répondre sur ce point. Il s'agit d'une décision politique, qui appartient aux gouvernements européens. Elle sera examinée par les ministres. Les parlements nationaux donneront, je suppose, leur avis, et des pressions diverses et variées s'exerceront. Tous les éléments de la relation avec la Russie seront pris en compte.
Je ne peux pas répondre à la question relative aux « exercices » militaires russes. Tout le monde a observé un accroissement plus que significatif de l'activité maritime, sous-marine et aérienne de l'armée russe dans plusieurs zones, de plus en plus au Sud et à l'Ouest, mais aussi au Nord. Ce sont des sujets dont on parle non pas entre diplomates, mais entre militaires.