Intervention de Jean-Maurice Ripert

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Maurice Ripert, ambassadeur de France en Russie :

En effet. Actuellement, il n'y a pas grand monde qui soutienne la Russie dans l'affaire syrienne, mis à part l'Égypte et la Jordanie – mais, s'agissant de cette dernière, cela tient plutôt à la nécessité d'alléger la pression djihadiste à sa frontière nord. Il est donc important pour les Russes de reprendre langue avec le monde sunnite et de se poser en faiseur de paix ainsi que le ferait tout pays qui essaie de mettre fin à un conflit.

En ce qui concerne les relations entre la Russie et la Chine, il y a beaucoup d'annonces, mais peu de réalisations. Chaque fois que la Chine signe un accord avec la Russie, le premier ministre chinois fait, dans le même temps, le tour de l'Europe et signe trois fois plus de contrats avec le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Italie... Il ne faut pas surestimer le rôle que jouera le marché chinois pour la Russie, sans parler de la récession actuelle en Chine, qui rend le client plus exigeant. D'autre part, les Chinois sont très inquiets de l'évolution financière de la Russie. Les banques chinoises sont engagées, elles aussi, sur les marchés internationaux et font très attention aux sanctions américaines. De ce point de vue, les Chinois ne jouent pas un jeu différent du nôtre. L'économie chinoise est mondialisée, à la grande différence de l'économie russe, qui ne l'est que par le gaz et le pétrole.

S'agissant du gaz, les Chinois ont déjà fait savoir qu'ils souhaitaient réduire d'un tiers les commandes qu'ils ont passées dans le cadre du grand contrat signé avec la Russie. Ils ont ensuite refusé de financer par avance une partie de la construction du gazoduc. Ils sont très prudents et progressent lentement. D'autre part, ils sont en train de se rapprocher de certains États d'Asie centrale, notamment pour la fourniture de gaz, ce qui crée d'ailleurs des tensions à l'intérieur de l'Union économique eurasiatique et de la CEI.

La notion même d'Eurasie implique que la Russie soit dans une position privilégiée entre l'Europe et l'Asie, et non qu'elle cherche à substituer l'Asie à l'Europe. Telle est l'idée que j'essaie de faire passer auprès des responsables politiques et des think tanks russes. Une telle substitution ne présenterait d'ailleurs pas un grand intérêt du point de vue de la Chine : entre l'Union européenne qui rassemble 550 millions de consommateurs et un pays qui en compte 140 millions, qui vend de l'énergie, mais qui n'achète pas grand-chose parce qu'il n'a pas beaucoup de moyens pour l'instant, le choix serait probablement vite fait ! Les Chinois ont d'ailleurs remis sur la table leur fameux projet de « route de la soie », avec une version nord et une version sud, qui se décline dans toute une série de secteurs. La Russie doit donc veiller à ne pas se couper de ses deux extrémités. Son intérêt est de travailler à la fois avec l'Europe et avec l'Asie, ainsi que le soulignent de nombreux économistes russes.

Les rapports entre les États-Unis et la Russie sont bien meilleurs aujourd'hui qu'ils ne l'ont été depuis l'échec du reset. Les Russes savent qu'il y a une élection présidentielle aux États-Unis et que la capacité de manoeuvre de l'administration américaine actuelle est faible. Ils jouent clairement sur la volonté de M. Obama de régler un certain nombre de problèmes avant de se retirer, notamment la crise syrienne. Mais je ne crois pas que les relations russo-américaines iront beaucoup plus loin au cours de l'année qui vient.

De ce point de vue, le sommet de l'OTAN sera en effet une étape importante, madame Ameline. La France et l'Allemagne se sont prononcées pour la tenue d'une réunion du Conseil OTAN-Russie en amont du sommet, pour tenter de désamorcer les malentendus. C'est peut-être une leçon que l'on a tirée de la crise ukrainienne : il faut se parler beaucoup avant, essayer de comprendre les préoccupations de l'autre et, le cas échéant, en tenir compte, conformément à nos intérêts.

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