Intervention de Marc Mortureux

Réunion du 18 juillet 2012 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail :

Je vous remercie de l'occasion qui m'est ainsi fournie de rendre compte des premiers pas de l'ANSES, qui a tout juste deux ans. Notre lien avec le Parlement est essentiel : les agences de sécurité sanitaire ont été créées par la volonté de la représentation nationale et, même si nous travaillons beaucoup à la demande des ministères, nous demeurons à votre disposition pour vous apporter les expertises que vous souhaitez. Cela constitue aussi un élément de notre indépendance.

Les missions de l'ANSES recouvrent un champ très vaste. Elles consistent, aux fins de protection des populations, à évaluer et à prévenir les risques auxquels l'homme est confronté dans sa vie quotidienne, aussi bien au travail qu'à travers son alimentation et tous les aspects de son environnement, notamment la qualité de l'eau et de l'air. Notre modèle intégré touche donc la santé humaine, comme la santé animale et la santé végétale.

La fusion entre l'AFSSA et l'AFSSET s'est concrétisée le 1er juillet 2010. Nous en sommes donc à l'an II de l'ANSES, qui s'appuie aussi bien sur les acquis des agences antérieures durant une dizaine d'années que sur une concertation intensive contribuant à définir un modèle nouveau, original, reconnu et très attendu au plan international.

L'Agence fonctionne selon le principe de séparation entre l'évaluation des risques et leur gestion, qui relève des pouvoirs publics. L'ANSES est une instance scientifique indépendante, conçue pour apporter dans la transparence tous les éléments de connaissance, objectifs et à jour, à l'ensemble des acteurs, publics comme appartenant à la société civile, afin d'aider les gestionnaires du risque à prendre leurs décisions. Cette séparation et nos protocoles très cadrés nous protègent du lobby permanent des intérêts particuliers.

Notre modèle intégré permet de franchir un pas important dans l'amélioration de la protection des citoyens : pour une forme de danger donnée, microbiologique, chimique ou physique, nous prenons en compte toutes les sources auxquelles l'homme peut être exposé afin d'intégrer tous les éléments possibles dans l'évaluation du risque. Nous rompons ainsi avec l'approche traditionnelle qui traitait séparément des questions telles que l'alimentation, la qualité de l'air ou la santé au travail. Notre approche pluridisciplinaire nous place au plus près de la réalité vécue. Elle ne compte guère d'équivalent à l'étranger, où l'on observe presque partout une dichotomie entre, d'un côté, le domaine alimentaire, de l'autre les questions environnementales, marqués par des cultures différentes. C'est pourquoi, en Europe comme en Amérique du nord, on est très intéressé par ce modèle, qui a déjà démontré son bien-fondé dans plusieurs cas.

La gouvernance de l'Agence a pour ligne claire, d'une part la protection du processus scientifique de toute interférence extérieure, d'autre part une grande ouverture à la discussion avec les parties prenantes, en amont pour fixer les priorités de l'expertise et en aval pour restituer les leçons de l'expérience. La diversité des acteurs concernés les conduit naturellement à des désaccords ; c'est pourquoi nous privilégions les échanges avec eux, et le fait que nous ne décidons pas nous-mêmes facilite ce dialogue. Nous contribuons ainsi à favoriser la compréhension mutuelle et à faire comprendre à tous la complexité des sujets que nous traitons, et qui explique que nous en soyons saisis. On attend moins de nous des réponses tranchées que l'éclairage, la quantification et la réduction des zones d'incertitude.

L'ANSES compte 1 350 collaborateurs, pour l'essentiel des scientifiques, des médecins, des vétérinaires, des toxicologues, des écotoxicologues, des chimistes … Plus de la moitié d'entre eux travaille dans les douze laboratoires de l'Agence, répartis sur le territoire national et consacrés à la santé animale, à la santé des végétaux et à la sécurité sanitaire des aliments. Dans le domaine de l'eau, il s'agit des anciens laboratoires du ministère de la santé.

Dits « de référence et de recherche », ces laboratoires ont vocation à développer des méthodes d'analyse, de diagnostic et de contrôle de pointe, puis à les valider et à les transférer à tous les laboratoires de terrain, particulièrement les laboratoires départementaux. Cela leur permet d'acquérir les compétences nécessaires et de procéder à des essais « interlaboratoires » pour vérifier qu'ils maîtrisent bien les différentes méthodes en vigueur. Les pouvoirs publics disposent ainsi d'un appui local pour réaliser l'ensemble des contrôles, tests et diagnostics prévus par la réglementation.

L'un d'eux, situé à Ploufragan, près de Brest, est référent pour la filière porcine et aviaire ; un autre, qui étudie la santé des abeilles, est à Sophia-Antipolis, dans les Alpes-Maritimes ; un troisième, à Niort (Deux-Sèvres), s'intéresse à la filière caprine. D'autres laboratoires existent à Lyon, à Nancy – sur la rage, la faune sauvage et l'eau –, à Angers pour la santé végétale … Cette répartition territoriale, caractéristique de notre organisation, nous procure, par les données ainsi récoltées, une grande proximité avec les réalités ; et, dans notre métier, la connaissance de toutes les publications scientifiques doit se compléter par des retours d'expériences pratiques. Cette forme d'aller-retour facilite notre évaluation des risques et la formulation de propositions destinées à leurs gestionnaires.

La direction de l'évaluation des risques traite l'ensemble des sujets s'y rapportant sur la base de saisines venant des ministères mais pouvant aussi émaner des partenaires sociaux, notamment dans le domaine de la santé au travail et du développement durable, ou encore provenir d'associations, notamment de consommateurs, ou d'ONG. Nous publions ainsi chaque année plus de trois cents avis et rapports.

La direction des produits réglementés évalue, comme son nom l'indique, ceux qui sont soumis à une réglementation, principalement européenne, dont les produits phytosanitaires – les pesticides –, les biocides et l'ensemble des produits chimiques couverts par le règlement européen REACH. Les produits concernés font l'objet de dossiers présentés par les industriels sollicitant une autorisation de mise sur le marché (AMM). Nous évaluons alors, en nous fondant sur des critères règlementaires, les risques que ces produits peuvent présenter pour l'homme, l'animal et l'environnement, et leur efficacité en fonction de la cible visée.

L'Agence nationale du médicament vétérinaire, située près de Fougères (Ille-et-Vilaine), a un fonctionnement particulier : outre qu'elle évalue les produits, elle délivre les AMM correspondantes et inspecte les établissements de fabrication.

Nous disposons enfin de quelques crédits pour lancer des appels à projets de recherche dans les domaines de la santé-environnement et de la santé-travail, domaines dans lesquels les connaissances scientifiques pour l'évaluation des risques font encore défaut.

Après deux années de fonctionnement, le bilan de l'ANSES montre que les préoccupations formulées lors de sa création se sont dissipées, notamment dans le domaine de la santé au travail, qui s'inquiétait de se trouver dilué dans un ensemble de thèmes trop divers. On redoutait aussi qu'un déséquilibre entre le poids de l'AFSSA, qui employait quelque 1 250 personnes, et celui de l'AFSSET, qui en employait seulement 250, n'entraînât une minoration des questions traitées par la seconde. On craignait enfin les conséquences de la pluralité des autorités de tutelle, qui sont au nombre de cinq – ministères de l'agriculture, de la santé, de l'écologie, du travail et de la consommation.

Ces inquiétudes sont apparues sans objet, même si le processus de fusion est encore en cours. L'approche intégrée elle-même est aujourd'hui reconnue comme un progrès. C'est un élément de poids, au plan européen et mondial. La création des comités d'orientation thématiques, qui se réunissent deux fois par an dans chaque domaine, a permis d'éviter la dilution de certains d'entre eux dans un ensemble trop vaste. Nous y discutons des priorités à fixer et des calendriers de travail y afférents. Nous évitons ainsi de tomber dans la routine : nos partenaires se montrent très actifs et très présents dans nos différentes instances de dialogue, très stimulantes. Grâce à cela, nous avons osé nous positionner sur des sujets particulièrement complexes et controversés, mais sur lesquels nous étions attendus.

Notre activité fut très nourrie au cours de ces deux années, au cours desquelles nous avons publié plus de 4 000 avis et rapports. Plusieurs de nos travaux ont fortement marqué l'actualité et ont eu un retentissement européen et international. Notre modèle démontre ainsi que l'on peut faire bouger les lignes sur des questions difficiles. Quelques exemples l'illustrent : nous avons été les premiers en Europe à remettre, en octobre dernier, un rapport sur les effets du bisphénol A, perturbateur endocrinien, qui recommandait – en plus de son interdiction dans la composition des biberons – des mesures propres à réduire l'exposition à cette substance des populations les plus sensibles, comme les jeunes enfants et les femmes enceintes, en particulier par le biais des contenants alimentaires. C'est un sujet majeur pour l'ANSES, car on soupçonne les perturbateurs endocriniens d'agir directement sur le système hormonal à très faibles doses, alors que des doses plus élevées peuvent se révéler sans incidence. Cette observation est susceptible de bousculer les bases de la toxicologie : dans ce cas et à la lumière d'expérimentations sur des animaux, il apparaît que l'effet du poison dépend moins de sa dose que des périodes de la vie pendant lesquelles l'être vivant est particulièrement vulnérable à l'exposition. Sans encore en maîtriser tous les éléments, nous considérons qu'ils sont suffisants pour justifier des mesures de réduction d'exposition des populations les plus sensibles.

Ce travail a suscité bien des échos auprès de nos homologues à l'étranger. Toutefois, nous ne sommes pas en pleine cohérence avec notre homologue européen, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (European food safety authority, EFSA) car nous avons adopté une approche globale des expositions au bisphénol A, qui ne se limite ni au domaine alimentaire ni au cadre règlementaire existant portant sur les matériaux au contact d'aliments. Une des difficultés de notre travail consiste précisément à concilier des cadres règlementaires fixant des critères tirés de directives européennes déterminant le niveau de risque acceptable et la prise en compte d'une grande diversité d'études, dont certaines, atypiques au regard de la réglementation, n'en constituent pas moins des éléments d'information précieux.

L'année dernière, une grave crise d'intoxications alimentaires, qui a principalement affecté l'Allemagne, a causé la mort de cinquante-deux personnes, victimes d'une infection due à une bactérie Escherichia coli et résultant de la consommation de graines germées importées d'Egypte ; huit cents personnes ont été hospitalisées. Les laboratoires de l'ANSES furent les premiers à fournir les tests permettant de détecter la bactérie en cause. Nous a ainsi été révélée l'infinité des croisements possibles entre l'homme, l'animal et le végétal, ce qui démontre le bon positionnement de notre approche interdisciplinaire pour réagir rapidement. En santé animale, nous avons participé au dispositif de surveillance de la dissémination du virus de Schmallenberg, qui a touché plusieurs élevages ovins et de petits ruminants en Europe ; ce virus, sans incidence sur la santé humaine, illustre la multiplication de pathogènes nouveaux, contre lesquels ni les hommes ni les animaux ne sont immunisés.

L'ANSES a bénéficié des apports positifs de l'AFSSA – avec sa culture de la réactivité en situation de crise à la suite de celle de la vache folle – et de l'AFSSET – avec son ouverture aux parties prenantes, sa prise en compte des incertitudes et l'intégration des sciences humaines et sociales dans les processus d'expertise.

Nous avons accordé une priorité à la santé des abeilles, sujet très complexe, que M. Martial Saddier connaît bien, car la mortalité de ces insectes résulte de plusieurs facteurs. Des études montrent les interactions entre facteurs pathogènes et expositions à des substances chimiques, même à des niveaux relativement bas. C'est le type de problèmes à propos desquels on ne peut attendre d'avoir tout compris pour agir, ni se dire qu'une mesure ponctuelle réglera la question. Nous avons donc installé un groupe d'experts spécifiques, pour prendre en compte tous les éléments disponibles. L'année dernière, notre laboratoire de Sophia-Antipolis a été nommé laboratoire de référence de l'Union européenne pour la santé des abeilles par la Commission européenne. Nous allons donc engager une surveillance épidémiologique visant à mieux caractériser le phénomène de mortalité de ces insectes et à mieux en comprendre les origines.

S'agissant des édulcorants comme l'aspartame, nous veillons à assurer une complémentarité avec l'EFSA, qui travaille à une éventuelle révision de la dose journalière admissible, tandis que nous étudions la relation bénéfice-risque sur le plan nutritionnel.

Un de nos avis, consacré aux régimes amaigrissants, a recueilli un large écho. Voilà un bon exemple de travail scientifique très structuré, fondé sur l'observation des caractéristiques d'une série de régimes. En rappelant que les régimes ne sont pas des pratiques anodines et que la rapidité des résultats qu'ils permettent est inversement proportionnelle à la reprise de poids ultérieure, nous n'avons rien dit de révolutionnaire, mais qu'une Agence telle que la nôtre ait parlé haut et fort a suscité beaucoup d'attention.

D'une façon générale, l'ANSES entend communiquer activement, y compris à l'intention des médias, afin de pouvoir, en dehors des crises sanitaires, faire connaître et expliquer ses travaux.

Un an après la création de l'Agence, l'affaire du Mediator a suscité un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales sur le contrôle interne au sein de notre organisme. Les pouvoirs publics se demandaient quels dispositifs, dans les différentes agences de sécurité sanitaire, pouvaient prévenir les risques de défaillance. Cette inspection a montré que la création de l'ANSES avait conduit à se poser d'importantes questions de déontologie et de prévention des conflits d'intérêt. Elle a donc facilité l'application de dispositions considérées comme exemplaires, sans qu'on puisse néanmoins prétendre qu'elles nous protègent complètement. Nous avons ainsi institué un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêt, totalement indépendant de la direction de l'Agence, et renforcé toutes nos règles dans ce domaine.

Près de huit cents experts nous permettent de procéder à des expertises collectives et contradictoires, ce qui nous procure une grande diversité de points de vue. Des règles très strictes régissent leur sélection, notamment par les déclarations publiques d'intérêts, systématiquement examinées et publiées. Nous ne retenons que des experts provenant du secteur public et écartons tous ceux qui pourraient exercer des activités de conseil. À chaque réunion d'un collectif d'experts, nous examinons, pour tous les points de l'ordre du jour, s'il existe, compte tenu des déclarations publiques d'intérêts, un risque de conflit d'intérêt et, dans ce cas, nous demandons à l'expert concerné de se déporter. Nous avons minutieusement expliqué à la communauté scientifique les raisons de ces règles, pas toujours bien vécues mais indispensables pour créer la confiance.

À l'avenir, les pesticides constitueront pour nous une priorité ; nous voulons notamment évaluer, au-delà du cadre réglementaire en vigueur, les risques encourus par l'exposition des travailleurs agricoles aux pesticides et nous avons constitué un groupe d'experts spécifiques, qui abordera tous les aspects de la question, dont celui des équipements de protection individuelle. Nous entendons également poursuivre notre travail sur les abeilles, et définir les perturbateurs endocriniens, la réglementation prévoyant l'exclusion progressive des substances les plus préoccupantes. Nous remettrons, pour le bisphénol A, notre évaluation de risque avant la fin de cette année. Votre assemblée a déjà adopté une proposition de loi à ce sujet, qui sera bientôt examinée par le Sénat. Elle prévoit des rendez-vous réguliers auxquels nous serons bien sûr présents. Enfin, parce que les connaissances manquent sur l'impact sanitaire des nanoparticules, nous installons un groupe d'experts ad hoc, ainsi qu'une instance de dialogue.

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