Intervention de Yves Blein

Réunion du 4 avril 2016 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Blein, rapporteur pour avis :

Merci pour la clarté de votre propos, Madame la ministre, ainsi que pour la conviction avec laquelle vous nous avez exposé les raisons pour lesquelles il était nécessaire, selon vous, d'aborder la question du code du travail. C'est un sujet délicat, on le sait, mais qui fait débat depuis longtemps. Les travaux conduits successivement par M. Robert Badinter et par M. Jean-Denis Combrexelle ont permis d'éclairer et de préparer la discussion.

Ce projet de loi est bienvenu, parce que notre modèle productif évolue, parce que le numérique a fait irruption dans les parcours professionnels, parce que le concept même de salariat évolue, avec l'auto-entrepreneuriat et la question des travailleurs indépendants. L'adaptation du droit du travail est devenue un enjeu. C'est une nécessité parce que les salariés ont besoin de plus de sécurisation – il faut les comprendre –, mais aussi parce que les entreprises ont besoin de davantage de souplesse. Ce projet de loi, contrairement à ce qui ressort des réactions qu'il semble provoquer – mais il est normal, somme toute, que la discussion soit vive et animée –, est plutôt un texte qui fait converger les points de vue et les intérêts des entreprises et des salariés. Au centre de cette conjonction d'intérêts, il y a la nécessité de renforcer le dialogue social, en vue d'aboutir, précisément, à des compromis acceptables par les uns et par les autres.

La commission des affaires économiques a été amenée, de manière évidente, à se saisir de ce texte. Trois questions principales ont guidé mon travail de rapporteur. Premièrement, comment la modernisation du dialogue social peut-elle concourir à davantage d'efficacité économique ? Selon moi, elle est en effet l'un des vecteurs importants de cette efficacité. Deuxièmement, comment, dans un contexte de chômage de masse, lever les freins à l'embauche sans précariser les salariés ? La recrudescence des CDD et le développement du statut d'auto-entrepreneur sont souvent le signe d'une fragilisation de la situation des salariés. Comment faire en sorte que ces salariés bénéficient de contrats permanents ? Enfin, troisièmement, comment le projet de loi peut-il mieux s'adresser aux PME ? C'est un point sur lequel la deuxième version du texte, celle que vous nous présentez aujourd'hui, a été critiquée. Il s'agit de faciliter le développement des PME et de leur permettre de créer des emplois. Car, vous l'avez dit, elles sont d'importantes pourvoyeuses d'emplois.

La saisine de la commission des affaires économiques a permis d'aborder ces différentes préoccupations.

Au sein du titre Ier, intitulé « Refonder le droit du travail pour donner plus de poids à la négociation collective », nous nous sommes saisis de l'article 2, qui refonde l'architecture de la partie du code du travail relative à la durée du travail en donnant une plus grande place aux accords d'entreprises, conformément aux recommandations du rapport Combrexelle. Il s'agit, selon moi, du coeur du projet de loi.

Au sein du titre II, nous nous sommes saisis des principaux articles du chapitre II, qui porte sur le renforcement de la légitimité des accords collectifs. Nous nous sommes saisis, en particulier, de l'article 10, qui va jusqu'au bout de la réforme de la représentativité syndicale entamée en 2008 en conditionnant la validité des accords à une majorité de 50 %. Vous avez rappelé, à juste titre, que ce texte s'inscrivait dans une construction législative et qu'il en était, d'une certaine manière, l'aboutissement. L'article 10 introduit en outre la possibilité de surmonter certains blocages en recourant au référendum, à l'initiative des organisations syndicales exclusivement.

La quasi-totalité du titre III, en particulier l'article relatif au CPA, fait également partie du champ de notre saisine. Ce titre porte sur la sécurisation des parcours et l'adaptation du modèle social à l'ère du numérique.

Au sein du titre IV, intitulé « Favoriser l'emploi », nous nous sommes saisis de la partie qui porte sur la facilitation de la vie des TPE-PME et sur la réforme des conditions du licenciement économique, ainsi que du chapitre III relatif à la préservation de l'emploi, lequel comporte des articles concernant notamment les emplois saisonniers – sujet important pour notre commission, que de nombreux collègues ont souhaité traiter –, les transferts d'entreprise dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) et la revitalisation des bassins d'emploi.

Enfin, la partie du titre VI portant sur la lutte contre le détachement illégal a également retenu notre attention. Partant du constat que la fraude s'adapte encore et toujours aux multiples réglementations que cette majorité a mises en place depuis l'adoption de la proposition de loi de notre collègue Gilles Savary et, plus récemment, de la loi Macron, le texte prévoit de nouveaux dispositifs permettant de lutter plus efficacement contre le détachement illégal.

L'examen de ces articles m'a amené à présenter une trentaine d'amendements. S'ils sont adoptés par notre commission, je les défendrai à partir de demain devant la commission des affaires sociales, saisie au fond.

À l'article 2, je proposerai d'ouvrir la possibilité pour les entreprises de moins de 50 salariés de moduler le temps de travail sur douze semaines, et non sur neuf ainsi que le prévoit le texte du Gouvernement. Je considère en effet que, dans une petite entreprise, le trimestre constitue la bonne mesure pour évaluer la charge de travail prévisible. C'est aussi la durée au terme de laquelle on peut faire des prévisions intermédiaires et évaluer la façon dont se déroule l'année, en particulier le cycle comptable de l'entreprise.

Souhaitant rénover utilement le dialogue social, je proposerai également de compléter le texte du Gouvernement en ouvrant la possibilité pour les entreprises de moins de 50 salariés de négocier des accords avec des salariés élus à cet effet, qui seront mandatés dans la mesure où ils le souhaitent.

Compte tenu de la nécessité de lever les freins à l'embauche, notamment à l'ère du numérique, j'ai déposé plusieurs amendements visant à rendre le CPA plus efficace. Ainsi, les actifs doivent pouvoir faire une simulation de leurs droits sociaux afin de mieux calibrer leur orientation professionnelle, leurs besoins de formation et, in fine, leur recherche d'emploi. En outre, il faut garantir le bon déploiement du CPA en tant que « coffre-fort numérique », en permettant aux entreprises, avec l'accord du salarié, d'y déposer des bulletins de paie dématérialisés.

J'ai également souhaité donner une orientation plus concrète aux dispositions du texte en faveur des TPE et des PME, lesquelles constituent le coeur de notre tissu productif. L'article 28 donne le droit à tout employeur d'une entreprise de moins de 300 salariés d'obtenir de l'administration, dans des délais raisonnables, une réponse personnalisée sur une question d'application du droit du travail. J'ai souhaité renforcer cet accès au droit en introduisant une procédure semblable au rescrit fiscal lorsque les questions portent sur des démarches ou sur des procédures. L'employeur, qui ne dispose pas de l'ingénierie juridique suffisante pour saisir la complexité du droit du travail, ainsi que vous l'avez souligné, Madame la ministre, pourra utiliser ce dispositif pour justifier de sa bonne foi en cas de contentieux.

Pour répondre aux préoccupations légitimes des petites entreprises confrontées au contentieux prud'homal, j'ai également souhaité ouvrir la possibilité pour les entreprises de moins de 50 salariés de provisionner d'éventuelles indemnités, dans la limite d'un mois de masse salariale, même en l'absence de contentieux déclaré.

En outre, j'ai déposé plusieurs amendements à l'article 30, qui portent notamment sur la caractérisation des difficultés économiques. Ils visent, d'une part, à encourager le recours à une méthode de faisceau d'indices pour définir ces difficultés économiques, le dispositif proposé actuellement étant trop vague. Il s'agit, d'autre part, de tenir compte de la taille de l'entreprise pour déterminer la durée à partir de laquelle la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes caractérise des difficultés économiques. En effet, une très petite entreprise doit pouvoir réagir rapidement face à une dégradation de sa santé économique. Attendre au moins quatre trimestres pour pouvoir opérer des licenciements économiques, ainsi que le prévoient les dispositions supplétives de l'article 30, est une condition disproportionnée pour les TPE : le plus souvent, elles auront déjà dû cesser leur activité. L'intérêt général commande donc de prévoir des dispositions plus souples, qui dérogent à la durée de droit commun, pour les entreprises de moins de dix salariés et pour celles de moins de cinquante salariés.

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