Intervention de André Chassaigne

Réunion du 4 avril 2016 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Comme vous le savez, nous rejetons ce projet de loi tant pour la philosophie qui le sous-tend que pour l'essentiel de son contenu. Certes, Madame la ministre, Monsieur le rapporteur, vous tenez des propos très édulcorés : « qu'en termes élégants ces choses-là sont dites » pour occulter le sens profond du texte… La véritable exégèse du texte a toutefois été faite par l'oratrice du groupe SRC : j'appelle à imprimer et à diffuser son discours, tant il formule les choses d'une manière différente.

Nous partageons l'idée selon laquelle il faut clarifier le code du travail pour l'adapter à la société actuelle et à l'ère du numérique, qui se sont déjà traduites par une certaine réorganisation du travail. Nous pensons toutefois que cela doit impérativement se faire dans un sens plus protecteur pour les salariés.

En dépit des ajustements apportés à la première mouture de ce projet de loi, la philosophie générale en demeure inchangée : il s'agit d'adapter les salariés aux exigences du marché du travail au lieu d'adapter le marché du travail aux besoins des travailleurs, en faisant de ces derniers une simple variable d'ajustement. Faut-il rappeler que la vocation initiale du code du travail depuis 1910 – et d'autres textes depuis 1841 – a toujours consisté à protéger les salariés ? Cet objectif ne saurait être remis en cause ; au contraire, il suppose d'apporter des améliorations à la protection des salariés.

Selon nous, ce projet de loi comporte de nombreuses mesures de régression pour la protection des travailleurs, qu'il s'agisse de la flexibilisation du temps de travail, de la facilitation des licenciements économiques ou des reculs en matière de santé au travail. Comment interpréter ces dispositions autrement que comme un retour en arrière ? Nos concitoyens l'ont bien compris, et cela explique la légitime levée de boucliers que l'on constate dans tout le pays. Elle est d'autant plus légitime que votre texte et vos propos s'appuient sur un postulat – jamais démontré – selon lequel il existerait un lien entre le code du travail et le niveau de chômage. Nombreux sont les exemples qui mettent en évidence l'absence d'un tel lien de causalité : je pense à l'instauration de la rupture conventionnelle en 2008, à la loi relative à la sécurisation de l'emploi de 2013 ou encore, plus récemment, à la loi Macron d'août 2015. Notre droit du travail est déjà flexible et, pourtant, les effets de ces mesures sur l'emploi se font toujours attendre.

Ce projet de loi n'est pas qu'un non-sens économique ; il est aussi un non-sens historique, et même un véritable recul de civilisation, compte tenu de ce que vous appelez un « projet de société ». Comment prétendre qu'en déréglementant le droit du travail, ce texte stimulera l'emploi alors que chacun sait que la décision d'embaucher dépend d'abord des carnets de commande des entreprises ? Certes, la facilitation des licenciements correspond à une demande patronale ancienne à laquelle cette réforme entend répondre au détriment des salariés. Cependant, les contacts de terrain avec les PME obligent à atténuer considérablement la portée de cette exigence sans lien avec l'emploi. En accusant le code du travail d'être responsable de la crise de l'emploi, vous oubliez les vraies raisons du chômage, qui tiennent principalement aux politiques économiques d'austérité, à la baisse de l'investissement public et, surtout, à l'emprise des marchés financiers, comme l'illustre le cas de l'entreprise Flowserve qui a décidé de fermer un site entier dans ma circonscription en raison des exigences financières de ses dirigeants américains. S'y ajoute le poids des donneurs d'ordre sur les PME : discutez avec les patrons des PME, et ils vous diront quelles sont les causes réelles des difficultés qu'ils rencontrent !

Autre point de régression : l'inversion de la hiérarchie des normes. Alors que ce projet de loi prétend redonner du pouvoir aux travailleurs et de la souplesse aux entreprises, la réécriture du code du travail dessaisit la loi de son caractère protecteur et subordonne des pans entiers du contrat de travail à la conclusion d'accords d'entreprise qui prévaudront sur les conventions collectives de branche, y compris s'ils sont moins favorables pour les salariés – tel est le véritable noeud de votre texte. Nous connaissons déjà les conséquences d'une décentralisation de la négociation collective dans un contexte de chômage endémique : c'est la course au moins-disant social qui conduit à une précarisation généralisée. Comment penser que les syndicats pourront résister aux exigences du patronat, lequel exercera plus facilement qu'auparavant un chantage à l'emploi ? Ajoutons-y le référendum d'entreprise, que l'employeur pourra organiser pour court-circuiter les organisations syndicales et diviser les salariés.

Parallèlement, cet affaiblissement des protections affecte le contrat de travail, qui pourra être remis en cause à tout moment par des accords dits offensifs. Nul doute que dans ces conditions, les salariés les moins qualifiés, les femmes et les plus jeunes seront une fois de plus les plus exposés, en particulier dans les entreprises les moins compétitives.

Nous ne souhaitons pas préserver un statu quo inopérant, mais travailler à des dispositions modernes explorant de nouvelles formes de protection des travailleurs, et donc des droits nouveaux tenant compte de la diversité et des contraintes des entreprises. Or, tous ces objectifs sont, pour l'essentiel, absents de ce projet de loi. Voilà pourquoi les députés du Front de gauche combattront résolument ce texte avec l'espoir qu'à terme, nous aurons raison de la déraison.

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