Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 4 avril 2016 à 15h00
Commission des affaires économiques

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Nous sommes tous ici d'accord sur un point : les embauches dépendent des carnets de commandes. Je n'ai jamais dit que le code du travail était la cause du chômage en France. Au contraire, je viens d'expliquer que le code du travail s'est étoffé à force d'y ajouter des dérogations. Selon moi, ce système est à bout de souffle. Il faut déconcentrer la régulation tout en apportant des garanties. Qui se plaint aujourd'hui des accords de modulation du temps de travail conclus avec des organisations représentant au moins 30 % des salariés ? Demain, ce taux sera porté à 50 %. Autrement dit, les accords reposeront sur un consensus plus large. Voilà la nouvelle démocratie sociale que je souhaite promouvoir en France. Cette forme de régulation sociale, qui permet de mieux adapter les entreprises à leurs commandes et à leurs pics d'activité par la négociation et par la culture du compromis, permettra de faire avancer la France.

La notion de hiérarchie des normes prête souvent à confusion, entre slogans et réalité. À la question de savoir si la hiérarchie des normes, au sommet de laquelle se trouvent la Constitution et la loi, sera inversée, je réponds sans ambiguïté : non. La loi réserve au moins depuis 1982 un domaine propre à la négociation collective et aux partenaires sociaux. Cela ne signifie pas que l'accord prévaut sur la loi ; le législateur estime simplement que dans certains domaines, ce sont les acteurs eux-mêmes qui sont le plus à même de déterminer les règles dont ils souhaitent l'application sur le terrain. C'est précisément ce que nous faisons : le projet de loi que je défends accroît certes la place accordée à l'accord, mais ne le rend pas supérieur à la loi. Examinons donc la réalité des choses loin de tout slogan. Le projet de loi maintient des règles d'ordre public auxquelles aucun accord ne saurait déroger. En l'absence d'accord, c'est la loi qui détermine les règles supplétives qui s'appliquent. Autrement dit, sans accord, c'est le droit actuel qui s'applique.

Si la question porte sur le principe de faveur selon lequel une norme de niveau inférieur ne peut déroger à une norme de niveau supérieur que dans un sens plus favorable aux salariés, précisons d'emblée ce dont il s'agit : voici longtemps que la loi permet à un accord d'entreprise de déroger à un accord de branche, y compris dans un sens moins favorable. C'est le cas de la loi de 1982, de la loi du 4 mai 2004 qui autorise les accords d'entreprise dans un sens moins favorable aux salariés sauf interdiction expresse, et de la loi du 20 août 2008 qui donne la primauté à l'accord d'entreprise dans plusieurs domaines relatifs au temps de travail comme le contingent d'heures supplémentaires, le repos compensateur de remplacement, les journées de solidarité ou encore le compte épargne-temps. En clair, il n'existe aujourd'hui que quatre domaines dans lesquels l'accord d'entreprise ne saurait être moins favorable que l'accord de branche : le salaire minimum, la classification, les garanties collectives et la mutualisation des fonds de la formation professionnelle. Or, le projet de loi ne revient sur aucun de ces quatre domaines, désormais sanctuarisés. Autrement dit, il ne remet pas en cause le principe de faveur tel qu'il existe aujourd'hui.

Plus généralement, il me semble qu'il ne faut pas raisonner ainsi. Si le grand public peine à comprendre la réalité que recouvre un débat fait de slogans et d'expressions toutes faites, c'est parce qu'il est souvent difficile de déterminer si un accord est ou non favorable aux salariés. Comment déterminer, par exemple, si un accord sur l'augmentation du nombre d'heures supplémentaires est plutôt défavorable aux salariés qui devront travailler davantage, ou s'il leur est plutôt favorable car il se traduira par la hausse de leur pouvoir d'achat ? C'est pourquoi il me semble inopportun de raisonner par principes lorsque ceux-ci ne s'accordent pas avec la diversité des cas.

Je préfère la logique suivante : dans un système qui peine à s'adapter, c'est le principe majoritaire de l'accord qui offre les meilleures garanties aux salariés. Faisons confiance aux acteurs de terrain pour conclure des accords et trouver des compromis au plus près de leurs attentes et selon un principe proche de la subsidiarité ; à défaut d'accord, le droit en vigueur s'applique. Je n'ai pas pour autant une vision béate ou naïve du dialogue social : je sais, parce que le ministère suit un grand nombre d'accords, que les blocages et les pressions existent. Cependant, le projet de loi prévoit une méthode et une logique de loyauté et de transparence ; de ce point de vue, la meilleure des garanties consiste à obtenir un accord avec des organisations représentatives à plus de 50 % et à élargir l'objet de la négociation.

Tel est l'esprit de cette loi. Songez que si 11 % des Français ont confiance dans le personnel politique, 18 % seulement font confiance aux organisations syndicales : quelle tristesse ! Si une telle situation existe, c'est parce que les organisations patronales refusent parfois de négocier avec les syndicats, que certaines organisations syndicales refusent tout accord pour leur substituer le culte de la loi, et que les pouvoirs publics réglementent trop le champ et la méthode de la négociation. Au contraire, nous avons pris le parti de faire respirer le processus en renforçant les moyens des organisations syndicales et la légitimité des accords, qui doivent reposer sur un consensus fort – à savoir la signature d'organisations représentatives à 50 %.

Le débat public concernant le compte personnel d'activité, que j'ai lancé le 22 janvier, sera clos ce soir. À la démocratie parlementaire, j'ai en effet souhaité ajouter la prise en compte de la démocratie sociale, puisque l'accord est largement repris dans le texte, mais aussi ce processus de démocratie participative afin d'impliquer de nombreuses associations, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, des organisations de jeunesse. J'invite les parlementaires à donner aux contributions à ce débat public une traduction dans leurs travaux.

S'agissant de l'article 30, Madame la présidente, il me semble qu'il faut replacer les salariés au coeur du débat sur les licenciements économiques. Si nous voulons sécuriser la notion de difficulté économique, c'est pour donner davantage de lisibilité face à la diversité des interprétations jurisprudentielles. L'absence de précision législative crée une incertitude juridique pour les entreprises et pour les salariés. La jurisprudence retient ou écarte parfois les mêmes critères. C'est pourquoi le projet de loi vise à fixer un cadre clair qui permettra en particulier aux PME de connaître précisément les principaux critères de difficultés économiques. J'ai entendu, Monsieur le rapporteur, que vous souhaitiez distinguer en la matière selon la taille des entreprises, et j'y suis également favorable, comme je l'ai dit devant la commission des affaires sociales ; il vous appartiendra de trancher au cours du débat. En effet, les petites entreprises ne disposent pas d'un service des ressources humaines ou d'un service financier capables d'apprécier les risques jurisprudentiels.

En l'absence de définition et, par conséquent en cas de risque de contentieux, les entreprises ont tendance à adopter des pratiques désavantageuses pour les salariés, soit en recourant à l'intérim, soit en décidant des ruptures conventionnelles, lesquelles représentent 20 % des motifs de rupture dans les petites entreprises, contre moins de 7 % dans les entreprises de plus de 250 salariés. Or les ruptures conventionnelles sont beaucoup moins protectrices pour les salariés, en termes d'accès aux dispositifs d'accompagnement au retour à l'emploi comme en termes d'indemnisation. En cas de plan de sauvegarde de l'emploi justifié par un motif économique, les salariés des entreprises de plus de 1 000 employés bénéficient d'un congé de reclassement et du quasi maintien de leur rémunération nette pendant un an – un mécanisme dont nous pouvons être fiers – et les salariés des entreprises de moins de 1 000 employés peuvent bénéficier d'un contrat de sécurisation professionnelle qui leur garantit près de 92 % de leur rémunération nette pendant douze mois.

Les mesures permettant d'éviter les manipulations financières sont un sujet essentiel. Les organisations syndicales s'inquiètent de ces manipulations, par lesquelles un groupe est créé afin de justifier des prétendues difficultés financières d'une filière ou d'un établissement. En nous inspirant de la jurisprudence récente, nous avons donc proposé avec le ministère de l'économie d'ajouter une disposition selon laquelle le licenciement notifié par une entreprise appartenant à un groupe est sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il est motivé par des difficultés économiques créées artificiellement par l'entreprise dominante. Ces mesures sont importantes ; nous reviendrons aux amendements sur ce sujet au fil du débat.

Je comprends toute la charge symbolique que revêt la question anxiogène du licenciement. Sachez que 5 % en moyenne des entrées à Pôle emploi ont lieu après un licenciement économique ; autrement dit, il existe aujourd'hui un phénomène de contournement de ce motif de licenciement au profit d'autres motifs.

J'en viens aux mesures concernant les TPE. En clarifiant les conditions de licenciement, nous fixons un cadre permettant aux TPE et aux PME de traduire tel nombre de trimestres de baisse d'activité en motif de licenciement économique. Avec les cellules d'information chargées des TPE et des PME, créées par l'article 28, nous avons souhaité doter l'administration du travail des capacités nécessaires pour répondre à toute question relative au code du travail. Sans doute faut-il améliorer le dispositif en lien avec ce que préconisent les chambres de commerce et d'industrie et certaines organisations patronales, étant entendu que l'objectif est de répondre rapidement aux questions concernant le code du travail.

Les accords-type de branche sont tout aussi essentiels. On peut ainsi imaginer un accord national fixant une fourchette de jours travaillés dans le cadre d'un forfait-jours ; reste à l'entreprise à décider du nombre précis de jours dans les limites ainsi établies.

Comme vous le savez, nous avons écarté le plafonnement des indemnités prud'homales au profit d'un barème indicatif, déjà prévu dans la loi sur la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, qui sera fixé dans les prochains mois afin de répondre à un besoin de prévisibilité. Il permettra de favoriser la conciliation, qui est tout aussi nécessaire pour les salariés que pour les chefs d'entreprise, en clarifiant des procédures qui pouvaient être longues et incertaines.

En clair, la loi favorisera la négociation et la souplesse au sein des petites entreprises. Je rappelle que des organisations professionnelles telles que l'UPA demandent à juste titre la réaffirmation des accords de branche, qu'il est donc important de prévoir afin qu'ils soient déclinés par les salariés eux-mêmes.

Si nous avons soutenu le mandatement en dépit des difficultés, Monsieur le rapporteur, voire de l'incompatibilité culturelle qu'il suscite parfois en France, c'est parce que nous favorisons le compromis. Or, pour aboutir au compromis, chacun doit faire un pas vers l'autre. Certaines entreprises et organisations patronales se saisissent du mandatement. Il va de soi que la relation entre un employeur et un salarié est déséquilibrée, et le soutien d'une organisation syndicale constitue une forme de protection. C'est pourquoi nous privilégions le mandatement.

Avec ce projet de loi, nous avons refusé le modèle anglo-saxon du contrat de travail unilatéral, les contrats à zéro heure ou encore les mini-jobs à l'allemande ; au contraire, nous avons choisi une nouvelle forme de régulation sociale à laquelle je crois profondément. Le dialogue social en France est très formalisé, mais n'aboutit guère sur les enjeux essentiels.

D'autre part, les entreprises de moins de cinquante salariés auront la possibilité de moduler le temps de travail jusqu'à neuf semaines.

Le projet de loi, Monsieur André Chassaigne, ne facilite en rien le licenciement économique en créant de nouveaux motifs ; il ne fait que l'encadrer. Il est important de se placer du point de vue du salarié. Les données de Pôle emploi montrent qu'il se produit aujourd'hui des dévoiements de procédure, alors que le licenciement économique devrait s'imposer. De même, il est faux de prétendre que ce projet de loi permettra aux employeurs de demander des référendums d'entreprise : la consultation des salariés relève des organisations syndicales qui représentent plus de 30 % des salariés.

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