Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 4 avril 2016 à 15h00
Commission des affaires économiques

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Précisément, nous allons ouvrir des postes dans la médecine du travail, malgré le déficit d'attractivité de cette filière. Songez que pour 90 postes ouverts, à peine une cinquantaine de candidats se présentent ! Selon le rapport de M. Michel Issindou, nous pourrions passer de 5 000 médecins du travail à 2 500 en 2020. Quoi qu'il en soit, je constate que seule une fraction des embauches donne lieu à une visite médicale ; c'est pourquoi le projet de loi fixe le principe d'un suivi médical avec le médecin du travail pour les postes les plus exposés aux risques ou, pour les autres, sous la forme d'un entretien individuel avec un infirmier, un ergonome ou un psychothérapeute selon les cas, sous l'autorité du médecin du travail. L'objectif est que tous les salariés occupant un poste à risque subissent une visite médicale – un droit déjà existant mais nullement appliqué – et que tous les salariés puissent passer une première visite. En effet, peu nombreux sont les salariés qui ont passé une visite médicale d'embauche ; nous devons la rendre plus efficace et cibler les personnes qui en ont le plus besoin.

Ce projet de loi ne vise pas non plus à une flexibilisation tous azimuts du temps de travail mais à accorder plus de place à la négociation tout en apportant des garanties fortes aux salariés. Il ne constitue absolument pas un recul historique : c'est pour moi tout l'inverse. Je partage l'idée que le code du travail est le fruit des luttes sociales et que la santé et la sécurité au travail ne doivent pas être négociées au niveau de l'entreprise. Cette loi introduit une vraie rupture avec les modèles de pensée habituels en mettant en son coeur la négociation collective et en faisant confiance aux syndicats, aux salariés et aux chefs d'entreprise pour déterminer au mieux les règles applicables. Voilà l'enjeu : où est le retour au XIXe siècle ?

Pourquoi, Monsieur André Chassaigne, taire dans votre intervention que nous créons des droits nouveaux et, en particulier, un droit universel à la formation ? Je n'ai renié aucune de mes convictions. Pourquoi ne pas évoquer les abondements dont bénéficieront les salariés les moins qualifiés, les demandeurs d'emploi et le fait que ce droit sera ouvert à tous ceux de nos jeunes qui n'ont pas accès à un premier niveau de qualification ? Pourquoi taire la généralisation de la garantie jeunes et l'inscription dans la loi d'une obligation de publication des taux d'insertion des jeunes dans les différentes voies de formation ? N'avons-nous pas envers leurs parents un devoir de transparence si nous voulons éviter que leurs enfants aillent massivement dans certaines filières sans débouchés ? Ces mesures visent les personnes qui sont dans une spirale infernale, enchaînant contrats courts et périodes de chômage. La qualification est un droit essentiel car nous ne sommes pas tous égaux en la matière. Seuls les gens qui savent remplir un dossier de validation des acquis de l'expérience (VAE) ou de demande de formation voient leur formation payée. Les autres n'ont même pas toujours la possibilité de se dire qu'ils peuvent faire valoir leur droit à la qualification et à la formation. Ce projet de loi est un texte de progrès social, je le redis ici.

Vous m'avez interrogée, Madame Pascale Got, sur les travailleurs saisonniers. Ayant pris connaissance des différents travaux parlementaires en la matière, j'ai souhaité proposer une mesure concernant les groupements d'employeurs : nous savons qu'il faut les développer dans le domaine agricole, auquel appartiennent 92 % d'entre eux. Point important, il faut que nous puissions mieux travailler avec les maisons de service au public, notamment sur les forums emploi du travail saisonnier et sur la formation des travailleurs saisonniers. Se pose également la question de l'intermittence. Aujourd'hui, le projet de loi prévoit, d'une part, une définition de l'emploi à caractère saisonnier – pour sécuriser l'employeur mais aussi le salarié – et, d'autre part, la négociation sur la reconduction du contrat saisonnier. Je suis prête à ce que le débat parlementaire nourrisse encore davantage cette réflexion. La question des conditions de logement des saisonniers, qui se pose également, ne pourra être résolue dans le présent projet de loi mais le Premier ministre a pris des engagements en la matière dans le cadre du Conseil national de la montagne. Il est essentiel qu'avec Mme Emmanuelle Cosse, les préfets et les élus locaux, nous parvenions à améliorer la situation. Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser des jeunes décéder dans des mobil homes ou des camping-cars aux abords de leur lieu de travail.

Mme Marie-Lou Marcel m'a interpellée concernant le 6° de l'article 1er du projet de loi et la restructuration des branches professionnelles.

Soyons clairs : le 6° de l'article 1er est une reprise du droit constant, et notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Je l'ai toujours dit : les parlementaires qui le souhaitent peuvent toujours modifier le droit constant en mettant davantage en valeur les restrictions qui existent. Dans le droit actuel, la laïcité s'applique à l'État et dans les services publics mais pas aux entreprises, à moins qu'elles n'aient une délégation de service public. Le 6°, tel que rédigé par le comité Badinter, rappelle que le salarié peut dans l'entreprise exprimer ses convictions – y compris religieuses – à condition de ne pas entraver le bon fonctionnement de celle-ci et de ne pas remettre en cause l'exercice d'une autre liberté. Cet alinéa, qui rappelle avant tout les restrictions applicables, peut très bien être réécrit différemment afin de mieux mettre en valeur ces dernières. Ce sujet ne pose aucun problème puisque cela fait près de trois mois que je travaille avec les partenaires sociaux sur un guide du fait religieux. Il arrive en effet que des questions se posent, non seulement aux employeurs mais aussi aux organisations syndicales, auxquelles il est difficile de répondre. Depuis les attentats, je travaille avec les partenaires sociaux sur ce sujet en abordant toutes les questions qui peuvent concrètement se poser dans l'entreprise autour du fait religieux. Si la rédaction actuelle de ce principe a suscité des débats, il ne faut pas les instrumentaliser en affirmant que ce projet de loi favorise le communautarisme religieux : cela est faux. Ce texte rappelle le droit constant mais peut néanmoins évoluer au gré du débat parlementaire.

Pourquoi restructurer les branches professionnelles ? C'est là un enjeu important depuis de nombreuses années dans notre pays. Il existe aujourd'hui plus de 700 branches dont certaines, que l'on qualifie parfois de « branches mortes », n'ont aucune activité conventionnelle depuis plus de quinze ans. D'autres couvrent un nombre très faible de salariés. À titre de comparaison, l'Allemagne a à peu près 150 branches. Nous avons plus que jamais besoin de branches fortes, solides et dynamiques afin d'éviter le dumping social, d'améliorer la qualité des normes conventionnelles – sachant qu'il est encore une vingtaine de branches dans lesquelles le salaire minimum est en deçà du SMIC, ce qui tasse toutes les classifications –, d'offrir une meilleure régulation en matière de concurrence, de créer des filières économiques, d'avoir une meilleure vision des mutations en matière d'emploi et donc de formation et de donner un socle conventionnel aux TPE et aux PME qui ne sont pas couvertes par des accords d'entreprise. Dans le cadre du plan « 500 000 formations », Mme Clotilde Valter et moi avons interrogé les branches sur les emplois qui seront offerts d'ici deux à cinq ans afin de former d'ores et déjà ces futurs salariés. Pour que l'accord de branche joue pleinement son rôle central, entre la loi et l'accord d'entreprise, nous avons souhaité accélérer la restructuration des branches, engagée par la loi du 5 mars 2014, pour ne plus en avoir que 200 d'ici à trois ans. Le projet de loi rénove les outils à la main du ministre du travail pour lui permettre de restructurer le paysage conventionnel. Nous pourrons décider de fusionner les branches territoriales, à faible effectif ou à faible dynamisme conventionnel mais aussi procéder à des fusions dans une logique de filière économique. Le projet de loi laisse cependant aux branches existantes le temps nécessaire pour négocier afin d'éviter le moins-disant social dans le cadre de la négociation de branche. Mon objectif n'est pas de les marier de force : nous travaillons par étapes. Afin d'inciter les branches à négocier, le projet de loi fixe deux échéances. À défaut de rapprochement, les branches territoriales et celles n'ayant pas négocié depuis plus de quinze ans devront fusionner d'ici à la fin de l'année 2016 ; celles de moins de 5 000 salariés et celles n'ayant pas négocié depuis plus de dix ans, dans un délai de trois ans.

Je crois avoir répondu dans mon introduction à M. Daniel Goldberg sur l'idée que le code du travail serait un « puissant répulsif de l'emploi », ainsi qu'à M. Philippe Bies s'agissant de la difficulté à réformer notre pays.

En conclusion, ce projet de loi a effectivement souffert d'un défaut de pédagogie. Il a fait l'objet d'une fuite dans la presse et nous n'avons pas eu le temps d'expliquer aux partenaires sociaux l'article relatif au licenciement économique – seule disposition du texte à n'avoir pas fait l'objet d'une concertation. Face à un tel blocage, il nous fallait prendre ces quinze jours supplémentaires pour procéder à des ajustements qui ne constituent pas pour moi un recul mais un compromis permettant d'aller de l'avant. Le texte, aujourd'hui équilibré, sera bien sûr enrichi. Mais il y a encore en effet des stigmates dans l'opinion publique. La discussion parlementaire doit donc nous permettre non pas de nous envoyer des slogans à la figure mais de débattre de la réalité de ce projet de loi.

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