Intervention de Hervé le Bras

Réunion du 9 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Hervé le Bras, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques, INED :

Dans sa composante habituelle, la migration est, depuis très longtemps, fortement corrélée à la situation économique, ainsi que l'illustre notamment une très belle étude sur l'économie transatlantique au xixe siècle, qui démontre que les migrations vers les États-Unis ont été exactement rythmées par l'état relatif des économies européennes et américaine. C'est encore le cas aujourd'hui, et l'évolution du solde migratoire de la France depuis une cinquantaine d'années épouse, avec un léger retard, celle de la conjoncture économique, constatation qui vaut également pour l'Allemagne.

Au-delà de ces évolutions de long terme surviennent parfois des événements soudains, le plus ancien, à notre échelle, étant l'exil des Républicains espagnols, qui furent 470 000 à arriver en France durant l'hiver 1938, et dont l'accueil ne fut pas des meilleurs. Il y a eu ensuite l'arrivée des rapatriés d'Algérie – 880 000 en un an –, très rapidement absorbés car l'économie se portait très bien.

Plus près de nous, les crises liées à la perestroïka et la réunification allemande ont provoqué un afflux de réfugiés outre-Rhin : entre 1988 et 1995, le solde migratoire total de l'Allemagne s'élève à 4,3 millions de personnes, ce qui explique que, malgré les prévisions de baisse de la population, celle-ci continue de se maintenir entre 82 et 84 millions. Là encore, l'absorption a été facile, car les nouveaux arrivants étaient souvent des Allemands d'origine, partis en Russie – souvent au Kazakhstan – à l'époque de Catherine II. Toujours en Allemagne, la crise yougoslave a, dans les années quatre-vingt-dix, provoqué une forte hausse des demandes d'asile, qui s'établissaient en 1992 au même niveau que l'an dernier, soit entre 450 000 et 470 000. Certains de ses demandeurs d'asile sont, dans les dix années suivantes, retournés dans leur pays d'origine, mais ils sont difficiles à comptabiliser.

Nous arrivons enfin à l'époque actuelle, marquée, en 2010, lors de la révolution de jasmin, par l'arrivée de 25 000 Tunisiens en France. Cet afflux n'a néanmoins eu qu'une incidence modeste sur le nombre de Tunisiens résidant en France, passés de 144 000 en 2009 à 155 000 en 2012. Qu'en sera-t-il de la crise actuelle ? Il est évidemment difficile de se prononcer à l'heure qu'il est.

J'en terminerai par un mot sur le solde migratoire de la France, publié chaque année par l'INSEE et qui reste relativement stable autour de 40 000 personnes par an, ce qui est assez faible par rapport aux valeurs historiques. Moins que ce chiffre global, ce qui est intéressant, c'est de détailler les flux, selon qu'ils concernent des Français ou des étrangers. Ainsi, en 2013, les étrangers ayant immigré en France ont été 210 000, dont 90 000 originaires de l'Union européenne ; les Français expatriés ou nés à l'étranger qui sont rentrés en France étaient, eux, 115 000. À l'inverse, on dénombre la même année 100 000 émigrants étrangers, dont 70 000 membres de l'Union européenne, et 190 000 émigrants français.

En d'autres termes, notre solde migratoire se caractérise depuis plusieurs années par un important déficit de Français – une perte de 75 000 en 2013 –, ce qui doit nous conduire à penser désormais les questions de migration en termes de circulation plus qu'en termes d'immigration de peuplement.

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