Intervention de Hervé le Bras

Réunion du 9 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Hervé le Bras, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques, INED :

Je complèterai les propos de Jean-Christophe Dumont par quelques mots sur les perspectives à moyen et long termes, et notamment sur la croissance démographique en Afrique. Actuellement, la croissance démographique mondiale est en baisse : de 2,2 % par an à son maximum en 1970, elle est tombée à 1 %, ce qui signifie que, globalement, le monde est entré en transition démographique.

Cela étant, restent quelques pays où la croissance démographique demeure extrêmement forte, essentiellement localisés en Afrique intertropicale – Sahel et Afrique équatoriale –, responsable d'un quart de la croissance démographique mondiale, proportion que les Nations unies évaluent à trois quarts en 2050.

Le cas du Sahel est à cet égard particulièrement impressionnant : Le Niger, qui compte actuellement près de 17 millions d'habitants devrait, selon les prévisions des Nations unies, atteindre les 70 millions en 2055, soit plus d'habitants que n'en compterait l'Allemagne à la même époque. L'ensemble du Sahel, de la Mauritanie au Tchad, compterait, lui, plus de 200 millions d'habitants, dont 45 à 50 millions au Mali. Ce chiffre est à mettre en regard des prévisions concernant le Maghreb où la croissance démographique a beaucoup diminué et où l'on estime qu'à terme la population ne comptera pas plus de 100 millions d'habitants. D'où le fait que le déséquilibre se situera davantage entre les deux rives du Sahara qu'entre les deux rives de la Méditerranée. Si l'explosion démographique n'est pas maîtrisée au Sahel, c'est le Maghreb qui en fera les frais mais également, compte tenu de l'orientation actuelle des flux migratoires en Afrique de l'Ouest, les pays du golfe de Guinée – la crise en Côte d'Ivoire n'étant qu'un premier exemple de la pression démographique exercée par le Sahel sur les pays plus riches du golfe. Il n'est donc pas évident que cette pression ait des répercussions immédiates sur l'Europe, qui en subira plutôt les conséquences indirectes, à travers la déstabilisation des pays du golfe de Guinée ou du Maghreb.

L'une des raisons conduisant à penser que la croissance démographique au Sahel ne se traduira pas par une vague massive d'émigration vers l'Europe, c'est qu'elle concerne des populations beaucoup moins éduquées que celles du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Or les populations peu éduquées bougent peu : ainsi, malgré les catastrophes humanitaires au Darfour ou au Rwanda, les populations n'ont pas massivement émigré vers l'Europe mais sont restées dans des camps, à l'est du Tchad pour le Darfour, à l'est de la République démocratique du Congo pour le Rwanda.

Il est donc essentiel, comme l'a fait Jean-Christophe Dumont, d'insister sur l'importance de l'éducation comme facteur favorisant l'émigration car elle ouvre des perspectives et donne des moyens. Parmi les migrants entrés en France en 2012, 63 % possédaient l'équivalent du baccalauréat ou un diplôme universitaire. Par pays d'origine, cela représentait 61 % pour les Tunisiens, 55 % pour les Marocains, 50 % pour les Algériens. Ces chiffres témoignent d'une progression rapide, puisque les Tunisiens diplômés n'étaient que 49 % dans ce cas en 2004. Et je ne parlerai pas ici des Chinois, titulaires à 86 % du baccalauréat ou d'un diplôme d'études supérieures.

Je terminerai en vous faisant part de ma perplexité devant le fait que l'Union européenne s'apprête apparemment à octroyer la liberté de circulation aux Turcs. Ainsi, les citoyens de Gaziantep, située à cinquante kilomètres de la frontière syrienne, dans un pays qui n'est pas en guerre, auront-ils le droit de circuler en Europe, tandis que ceux qui sont à Idlib, soixante kilomètres au sud, actuellement sous les bombes russes, n'en auront pas le droit. N'y a-t-il pas là un paradoxe ?

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