C'est avec gravité que je m'exprime aujourd'hui devant vous. Il est tout à fait normal que les commissions compétentes, de même que l'ensemble du Parlement, soient immédiatement informées des événements. Le Premier ministre fera une déclaration à l'Assemblée nationale à quinze heures, et m'a demandé de m'exprimer à la même heure devant le Sénat. De son côté, Jean-Yves Le Drian est en ce moment même auditionné par les sénateurs.
Pour faire écho aux propos tenus à l'instant par la Présidente Patricia Adam au sujet de l'assassinat commis en Somalie – car il s'agit bien de cela –, nous avions déjà prévenu qu'il fallait s'attendre à une instrumentalisation des victimes françaises par les terroristes. C'est ce qui s'est déjà passé pour l'un de nos hommes, et ce qui pourrait probablement à nouveau se passer.
Par ailleurs, je dois vous informer d'une attaque survenue ce matin en Algérie. Je m'en suis entretenu à l'instant avec mon homologue algérien, M. Medelci. Cette attaque concernerait une « base de vie » appartenant à une filiale du pétrolier British petroleum, située à In Amenas, sur la frontière algéro-libyenne, à 1 500 kilomètres d'Alger. Un groupe d'AQMI – Al-Qaida au Maghreb islamique – aurait tenté de s'emparer d'un bus, protégé par la gendarmerie. Repoussés, les assaillants s'en sont alors pris à la base elle-même, où vivent des Algériens et un certain nombre d'étrangers : des Français, probablement, mais aussi des Japonais, des Anglais, des Américains… L'armée algérienne encerclerait l'ensemble de la zone. Bien entendu, je vous livre ces informations sous toute réserve.
J'en viens à l'intervention de la France au Mali. Elle était indispensable, tout simplement pour sauver ce pays du terrorisme. Il est légitime de discuter des différents aspects de cette opération, mais il est incontestable que sans une intervention immédiate des Français – qui n'était pas prévue –, le Mali serait aujourd'hui sous la coupe des terroristes.
Les objectifs de notre engagement, effectué à la demande des autorités maliennes et en conformité avec les prescriptions internationales, sont de stopper les terroristes, pour éviter qu'ils ne prennent Bamako, d'éradiquer leurs bases arrière, de rétablir l'intégrité du Mali et de permettre l'application des décisions internationales prises par les Nations unies, par la CÉDÉAO – Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest – ou, dans un autre domaine, par l'Europe.
La France n'a pas vocation à mener seule cette intervention. Il est prévu, dans une deuxième phase, que la Misma – laquelle ne regroupe pas nécessairement que des troupes africaines – mène les opérations.. Tel est notre état d'esprit : la France doit faire son travail, mais n'a pas vocation à rester éternellement en première ligne – et certainement pas seule.
Quant au soutien de la communauté internationale, il est pour le moment quasiment unanime. D'innombrables témoignages directs ont d'ailleurs été adressés en ce sens au Président de la République ou à moi-même. Le débat qui a eu lieu à notre demande au Conseil de sécurité de l'ONU a été positif, aucun membre n'ayant explicitement exprimé des objections. Certes, les soutiens sont de nature diverse : certains sont enthousiastes, d'autres plus discrets, ou exprimés en termes généraux. Mais ils n'en demeurent pas moins unanimes.
Il convient de prêter une attention particulière à certains pays comme l'Algérie, l'Afrique du Sud, la Libye : j'aurai l'occasion d'y revenir. S'agissant de la CÉDÉAO, son soutien est manifeste.
En ce qui concerne l'Europe, une réunion est prévue demain avec les ministres des affaires étrangères de l'Union – en présence de M. Coulibaly, mon homologue malien – pour appliquer la décision d'organiser la formation des troupes maliennes. Par ailleurs, un certain nombre de pays ont proposé de mettre à disposition des moyens de transport ou de communication.
Les efforts se concentrent d'abord sur l'aide aux forces armées maliennes, pour arrêter la progression des terroristes grâce à une combinaison d'action aéroterrestre des forces spéciales, engagées dès les premières heures, de frappes aériennes et d'un appui par des unités terrestres. Les premiers éléments des compagnies françaises arrivées à Bamako ont commencé leur progression vers la zone de combat. Ensuite, des actions aériennes, mobilisant nos avions de chasse basés à N'Djamena, visent les bases arrière des groupes terroristes pour leur infliger les pertes les plus importantes possible et neutraliser leur capacité offensive sur l'ensemble du territoire malien. L'Algérie et le Maroc nous ont donné les autorisations de survol nécessaires.
Nous ne devons pas intégrer dans nos propres discours une ligne de partage du Mali qui n'existe pas. Il n'y a pas deux Mali, le Nord et le Sud – même si, bien entendu, nous devons prendre la situation du pays en considération. L'objectif est de rétablir l'intégrité du pays.
J'en viens au calendrier des opérations. L'état-major de la Misma a été déployé à Bamako. Une réunion a eu lieu hier, une autre est prévue aujourd'hui. La réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne se tiendra demain. Samedi, une réunion de la CÉDÉAO est prévue à Abidjan. J'y représenterai la France. Cette organisation est un élément important du dispositif, et nous jugeons notre présence nécessaire, non seulement pour remercier les pays participants, mais aussi pour veiller à ce que les forces promises arrivent sur le terrain. Par ailleurs, en même temps que la réunion de l'Union africaine, prévue à Addis-Abeba dans une dizaine de jours, se tiendra une réunion des donateurs consacrée au financement de l'opération. Une partie du coût est prise en charge par les Nations unies, une autre par l'Europe, une autre encore par la France. Mais des contributions extérieures s'y ajouteront.
Un mot sur l'Algérie, dont le rôle est important dans cette opération. Le Président de la République a parlé avec M. Bouteflika, Jean-Marc Ayrault avec le premier ministre algérien, et j'ai moi-même été en contact avec le ministre algérien des affaires étrangères. La détermination des Algériens est tout à fait claire pour fermer les frontières et garantir l'intégrité du Mali. L'attaque d'AQMI sur le site d'In Amenas dont je vous ai parlé devrait renforcer encore cette détermination.
Il n'en demeure pas moins que toute une série des travaux politiques reste à accomplir. Nous avons toujours dit que l'action envisagée au Mali devait comporter trois volets : politique, de développement, et sécuritaire. Bien entendu, dès lors que les terroristes ont porté une offensive, le calendrier n'est pas celui que nous avions prévu. Mais il ne faut pas, pour autant, perdre de vue les deux premiers aspects. L'action militaire est nécessaire, mais elle ne saurait à elle seule résoudre les problèmes du Mali. En particulier, la question du traitement du nord du pays, dans sa diversité, se pose depuis très longtemps, et les autorités maliennes doivent y apporter une réponse. Si les terroristes avaient pris le contrôle de la capitale, toutes ces préoccupations seraient devenues sans objet.
Il faut aborder la question du développement. De nombreux citoyens pauvres se sont exilés dans le sud, ou dans des pays voisins pourtant déjà très faibles, comme la Mauritanie ou le Niger. Il faudra les aider, et c'est une des questions dont nous discuterons au niveau européen.
Vous avez évoqué les risques liés à l'opération, et ils sont réels. Mais le Président de la République a considéré – et je partage son analyse – que le plus grand risque eut été de ne rien faire : c'est vrai pour le Mali, qui serait devenu un État terroriste, mais aussi pour les États voisins.
Les risques concernent également nos otages, dont les familles se comportent de manière extrêmement courageuse, alors qu'elles vivent un moment très difficile, surtout depuis les événements de Somalie. Nous sommes en contact permanent avec elles : je les ai presque toutes rencontrées, et le nouveau directeur du centre de crise, M. Le Bret, ancien ambassadeur en Haïti, les voit en permanence. Notre message, certes difficile, est le suivant : les groupes auxquels s'opposent nos troupes sont les mêmes qui ont pris nos concitoyens en otage ; on ne peut pas imaginer qu'en les laissant agir librement au Mali, on pourrait obtenir la libération de ces derniers..
Enfin, je tenais à dire que le Gouvernement a apprécié le grand sentiment de responsabilité qui s'est exprimé depuis le début de cette crise en France.