Audition, conjointe avec la commission de la défense et des forces armées, de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la situation au Mali
La séance est ouverte à treize heures.
Nous recevons aujourd'hui M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, pour une audition consacrée à la situation au Mali et à l'engagement de nos forces armées. La séance se déroulera à huis clos, hors la présence de la presse. Dans le même temps, le ministre de la défense, M. Jean-Yves le Drian, s'exprime devant les commissions de la défense et des affaires étrangères du Sénat.
La crise au Mali a connu une brusque accélération lorsque les groupes terroristes du Nord ont repris leur offensive militaire dans les environs de Mopti, et ce alors que le front semblait stabilisé et que les négociations étaient sur le point de reprendre à Ouagadougou sous l'égide de la médiation burkinabée. Les forces militaires locales ont été très vite prises en défaut, ce qui a conduit le président de la république malienne, M. Diocounda Traoré, à écrire au Président de la République française – ainsi d'ailleurs qu'au secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon – pour appeler au secours et demander de l'aide à la France.
Le Président de la République a donné son accord le jour même, si bien que les forces françaises sont engagées depuis vendredi dernier dans « l'opération Serval ». La France a été la première, et même la seule à ce niveau d'engagement, à montrer au Mali sa solidarité dans la situation particulièrement dangereuse que traverse ce pays. Non seulement l'initiative française a été unanimement saluée par la communauté internationale, mais nous avons commencé à recevoir des soutiens logistiques de la part de quelques-uns de nos principaux partenaires, notamment le Royaume-Uni. Il reste que, aujourd'hui encore, les forces armées françaises sont seules au combat. L'urgence de la situation, en raison de la menace qui pesait sur l'intégrité du Mali et la sécurité de la région, ainsi que le risque de voir se créer un État narcoterroriste au Sahel ont placé notre pays en première ligne.
Évidemment, il y a des risques : tous, nous pensons d'abord aux otages, ou à la possibilité d'actes de terrorisme sur notre territoire. Mais le Président de la République a décidé de les assumer, jugeant que l'absence d'intervention aurait fait courir à la région et à notre pays des risques plus graves encore.
Votre audition, monsieur le ministre, est évidemment cruciale pour l'information du Parlement, notamment s'agissant des objectifs, immédiats et à moyen terme, que nous poursuivons dans cette opération, de son cadre légal et de sa légitimité. Nous serons par ailleurs très attentifs au point de la situation que vous serez en mesure de faire. Hier soir, par exemple, le ministre de la défense indiquait que finalement Diabali, petite ville de l'ouest du Mali sur laquelle les groupes terroristes semblent avoir concentré leur offensive, n'avait pas été reprise, contrairement à ce qui avait été annoncé plus tôt. Par ailleurs, peut-être pourriez-vous nous apporter des informations sur certaines dépêches, comme l'article d'El Watan affirmant que deux Français ont été enlevés en Algérie, ou celui du Monde faisant état d'exactions de la part de l'armée malienne.
Je remercie le Gouvernement d'avoir répondu très rapidement à l'invitation de la représentation nationale.
Avant d'en venir aux questions que se posent les parlementaires, je tiens à exprimer mon indignation devant la publication par l'AFP de photographies d'un de nos hommes, mort en Somalie. Ces images portent atteinte à sa dignité et à celle de sa famille, et je trouve inadmissible que la presse française, voire européenne, participe à sa diffusion. Je sais que de nombreux collègues partagent mon point de vue ; peut-être serait-il nécessaire de l'exprimer dans l'hémicycle, lors du débat public qui aura lieu tout à l'heure.
Bien entendu, les membres de la Commission de la défense se posent de nombreuses questions au sujet de l'engagement de nos forces : quels sont les moyens engagés – qu'il s'agisse des forces prépositionnées dans la région ou de celles qui ont été envoyées depuis la métropole – ; quelles sont les missions précisément assignées par le Président de la République ; quelle sera la durée de l'engagement ? Qu'en est-il de l'articulation avec les forces africaines, mais aussi avec celles des États-Unis et de la Grande-Bretagne ?
Le bureau de la commission de la défense s'est réuni hier et a décidé de créer une mission de suivi de l'opération, comme elle l'avait fait s'agissant de l'Afghanistan.
Le déploiement effectif de la Mission internationale de soutien au Mali – Misma –, essentiellement constituée de militaires africains, et chargée de reconquérir le nord du Mali, pourra prendre plusieurs mois. Or nous parlons d'une zone inondable dans certaines conditions climatologiques. Il est donc nécessaire de maîtriser le territoire avant que ne survienne la saison des pluies.
C'est avec gravité que je m'exprime aujourd'hui devant vous. Il est tout à fait normal que les commissions compétentes, de même que l'ensemble du Parlement, soient immédiatement informées des événements. Le Premier ministre fera une déclaration à l'Assemblée nationale à quinze heures, et m'a demandé de m'exprimer à la même heure devant le Sénat. De son côté, Jean-Yves Le Drian est en ce moment même auditionné par les sénateurs.
Pour faire écho aux propos tenus à l'instant par la Présidente Patricia Adam au sujet de l'assassinat commis en Somalie – car il s'agit bien de cela –, nous avions déjà prévenu qu'il fallait s'attendre à une instrumentalisation des victimes françaises par les terroristes. C'est ce qui s'est déjà passé pour l'un de nos hommes, et ce qui pourrait probablement à nouveau se passer.
Par ailleurs, je dois vous informer d'une attaque survenue ce matin en Algérie. Je m'en suis entretenu à l'instant avec mon homologue algérien, M. Medelci. Cette attaque concernerait une « base de vie » appartenant à une filiale du pétrolier British petroleum, située à In Amenas, sur la frontière algéro-libyenne, à 1 500 kilomètres d'Alger. Un groupe d'AQMI – Al-Qaida au Maghreb islamique – aurait tenté de s'emparer d'un bus, protégé par la gendarmerie. Repoussés, les assaillants s'en sont alors pris à la base elle-même, où vivent des Algériens et un certain nombre d'étrangers : des Français, probablement, mais aussi des Japonais, des Anglais, des Américains… L'armée algérienne encerclerait l'ensemble de la zone. Bien entendu, je vous livre ces informations sous toute réserve.
J'en viens à l'intervention de la France au Mali. Elle était indispensable, tout simplement pour sauver ce pays du terrorisme. Il est légitime de discuter des différents aspects de cette opération, mais il est incontestable que sans une intervention immédiate des Français – qui n'était pas prévue –, le Mali serait aujourd'hui sous la coupe des terroristes.
Les objectifs de notre engagement, effectué à la demande des autorités maliennes et en conformité avec les prescriptions internationales, sont de stopper les terroristes, pour éviter qu'ils ne prennent Bamako, d'éradiquer leurs bases arrière, de rétablir l'intégrité du Mali et de permettre l'application des décisions internationales prises par les Nations unies, par la CÉDÉAO – Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest – ou, dans un autre domaine, par l'Europe.
La France n'a pas vocation à mener seule cette intervention. Il est prévu, dans une deuxième phase, que la Misma – laquelle ne regroupe pas nécessairement que des troupes africaines – mène les opérations.. Tel est notre état d'esprit : la France doit faire son travail, mais n'a pas vocation à rester éternellement en première ligne – et certainement pas seule.
Quant au soutien de la communauté internationale, il est pour le moment quasiment unanime. D'innombrables témoignages directs ont d'ailleurs été adressés en ce sens au Président de la République ou à moi-même. Le débat qui a eu lieu à notre demande au Conseil de sécurité de l'ONU a été positif, aucun membre n'ayant explicitement exprimé des objections. Certes, les soutiens sont de nature diverse : certains sont enthousiastes, d'autres plus discrets, ou exprimés en termes généraux. Mais ils n'en demeurent pas moins unanimes.
Il convient de prêter une attention particulière à certains pays comme l'Algérie, l'Afrique du Sud, la Libye : j'aurai l'occasion d'y revenir. S'agissant de la CÉDÉAO, son soutien est manifeste.
En ce qui concerne l'Europe, une réunion est prévue demain avec les ministres des affaires étrangères de l'Union – en présence de M. Coulibaly, mon homologue malien – pour appliquer la décision d'organiser la formation des troupes maliennes. Par ailleurs, un certain nombre de pays ont proposé de mettre à disposition des moyens de transport ou de communication.
Les efforts se concentrent d'abord sur l'aide aux forces armées maliennes, pour arrêter la progression des terroristes grâce à une combinaison d'action aéroterrestre des forces spéciales, engagées dès les premières heures, de frappes aériennes et d'un appui par des unités terrestres. Les premiers éléments des compagnies françaises arrivées à Bamako ont commencé leur progression vers la zone de combat. Ensuite, des actions aériennes, mobilisant nos avions de chasse basés à N'Djamena, visent les bases arrière des groupes terroristes pour leur infliger les pertes les plus importantes possible et neutraliser leur capacité offensive sur l'ensemble du territoire malien. L'Algérie et le Maroc nous ont donné les autorisations de survol nécessaires.
Nous ne devons pas intégrer dans nos propres discours une ligne de partage du Mali qui n'existe pas. Il n'y a pas deux Mali, le Nord et le Sud – même si, bien entendu, nous devons prendre la situation du pays en considération. L'objectif est de rétablir l'intégrité du pays.
J'en viens au calendrier des opérations. L'état-major de la Misma a été déployé à Bamako. Une réunion a eu lieu hier, une autre est prévue aujourd'hui. La réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne se tiendra demain. Samedi, une réunion de la CÉDÉAO est prévue à Abidjan. J'y représenterai la France. Cette organisation est un élément important du dispositif, et nous jugeons notre présence nécessaire, non seulement pour remercier les pays participants, mais aussi pour veiller à ce que les forces promises arrivent sur le terrain. Par ailleurs, en même temps que la réunion de l'Union africaine, prévue à Addis-Abeba dans une dizaine de jours, se tiendra une réunion des donateurs consacrée au financement de l'opération. Une partie du coût est prise en charge par les Nations unies, une autre par l'Europe, une autre encore par la France. Mais des contributions extérieures s'y ajouteront.
Un mot sur l'Algérie, dont le rôle est important dans cette opération. Le Président de la République a parlé avec M. Bouteflika, Jean-Marc Ayrault avec le premier ministre algérien, et j'ai moi-même été en contact avec le ministre algérien des affaires étrangères. La détermination des Algériens est tout à fait claire pour fermer les frontières et garantir l'intégrité du Mali. L'attaque d'AQMI sur le site d'In Amenas dont je vous ai parlé devrait renforcer encore cette détermination.
Il n'en demeure pas moins que toute une série des travaux politiques reste à accomplir. Nous avons toujours dit que l'action envisagée au Mali devait comporter trois volets : politique, de développement, et sécuritaire. Bien entendu, dès lors que les terroristes ont porté une offensive, le calendrier n'est pas celui que nous avions prévu. Mais il ne faut pas, pour autant, perdre de vue les deux premiers aspects. L'action militaire est nécessaire, mais elle ne saurait à elle seule résoudre les problèmes du Mali. En particulier, la question du traitement du nord du pays, dans sa diversité, se pose depuis très longtemps, et les autorités maliennes doivent y apporter une réponse. Si les terroristes avaient pris le contrôle de la capitale, toutes ces préoccupations seraient devenues sans objet.
Il faut aborder la question du développement. De nombreux citoyens pauvres se sont exilés dans le sud, ou dans des pays voisins pourtant déjà très faibles, comme la Mauritanie ou le Niger. Il faudra les aider, et c'est une des questions dont nous discuterons au niveau européen.
Vous avez évoqué les risques liés à l'opération, et ils sont réels. Mais le Président de la République a considéré – et je partage son analyse – que le plus grand risque eut été de ne rien faire : c'est vrai pour le Mali, qui serait devenu un État terroriste, mais aussi pour les États voisins.
Les risques concernent également nos otages, dont les familles se comportent de manière extrêmement courageuse, alors qu'elles vivent un moment très difficile, surtout depuis les événements de Somalie. Nous sommes en contact permanent avec elles : je les ai presque toutes rencontrées, et le nouveau directeur du centre de crise, M. Le Bret, ancien ambassadeur en Haïti, les voit en permanence. Notre message, certes difficile, est le suivant : les groupes auxquels s'opposent nos troupes sont les mêmes qui ont pris nos concitoyens en otage ; on ne peut pas imaginer qu'en les laissant agir librement au Mali, on pourrait obtenir la libération de ces derniers..
Enfin, je tenais à dire que le Gouvernement a apprécié le grand sentiment de responsabilité qui s'est exprimé depuis le début de cette crise en France.
Je suis saisie de trente-quatre demandes de prise de parole. Comme nous devons avoir terminé à quatorze heures trente, j'appelle chacun de nos collègues à limiter son intervention à une durée d'une minute.
Le Parlement soutient l'action militaire de façon quasi-unanime, et l'opinion publique y est également largement favorable. Mais, déjà, des questions se posent sur les conséquences du conflit sur les populations civiles, sur la situation humanitaire actuelle et future, et sur les réfugiés, dont 30 000 auraient déjà gagné les pays limitrophes. Qu'est-il prévu pour limiter les dommages collatéraux ?
Par ailleurs, nous devons veiller à ce que certaines règles relatives aux droits de l'homme soient respectées. C'est d'autant plus important pour une action impliquant la France et concernant le continent africain.
Nos forces armées s'inquiétaient déjà des conséquences des réformes à venir, mais je suis aujourd'hui préoccupé par les moyens dont elles disposent au Mali. Je pense en particulier à l'état de nos Bréguet Atlantic, compte tenu de l'étendue du territoire concerné.
Quels sont exactement, monsieur le ministre, vos buts de guerre : les forces françaises vont-elle franchir l'espace étroit séparant les deux zones principales du Mali ?
Quel est l'état des armées africaines, leur effectif et leur capacité réelle à combattre ? En dépit des progrès qu'elles ont pu accomplir lors des quatre dernières années, il me semble inquiétant d'envisager une offensive classique avec des forces insuffisamment préparées.
Même si la voie choisie par le Président de la République est périlleuse, une intervention était nécessaire, et même indispensable. Elle est justifiée, même s'il aurait été préférable, en raison de notre passé de gendarme du continent, d'obtenir un mandat de l'ONU et de l'Union africaine. Le Président de la République a-t-il vraiment respecté la légalité ?
Peut-on estimer la durée de l'opération – on parle d'un an – ainsi que son coût ?
Enfin, quelles mesures spécifiques seront prises au cours de la planification et de la conduite des opérations pour assurer le strict respect du droit international humanitaire ?
Dès le début, comme la plupart des autres groupes, l'UDI a soutenu l'action décidée par le Gouvernement. Mais pour l'application de l'article 35 de la Constitution et l'information des parlementaires, une réunion d'une heure et quart relève vraiment du strict minimum.
Sur le fond, vous avez dit que la France n'avait pas vocation à rester seule au Mali. Le soutien de la communauté internationale est certes quasi-unanime, mais au-delà des mots, nous avons besoin d'actes. Compte tenu des faiblesses dont souffrent les armées africaines dans la région, il est essentiel que notre pays ne soit pas trop durablement seul. Au-delà des aspects logistiques, quelle nature prendra l'action des autres pays, notamment des membres de l'Union européenne ? Enverront-ils des troupes au sol pour nous aider à reconquérir le nord du Mali ?
Nous avons prévu une audition d'une heure et demie et deux heures de débats en séance publique alors que, comme vous le comprendrez, les agendas des membres du Gouvernement ont été bousculés, entre la réunion du conseil des ministres et celle du conseil de défense. Nous essaierons de faire mieux, mais les échanges seront de toute façon continus avec les ministres concernés.
La situation qui a conduit la France à intervenir militairement est, en quelque sorte, la conclusion provisoire de plusieurs décennies d'une même politique menée par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis les indépendances des années soixante. Désormais, il faut penser à l'après.
Interrogeant hier le ministre des affaires étrangères malien, nous avons pu constater, quelles que soient nos différences, la difficulté qu'éprouve le gouvernement de ce pays – si l'on peut qualifier de gouvernement ceux qui sont l'otage des militaires et d'une armée dans laquelle les caporaux donnent des ordres aux colonels – à intégrer la question touarègue. Vous nous dites que cette mission militaire a avant tout pour but de lutter contre le terrorisme. Or toutes les factions présentes dans le Nord-Mali ne sont pas des factions terroristes. Avec le Président de la République et le ministre de la défense, vous avez pris l'engagement de permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale. Un des buts de cette guerre est donc la reconquête du nord du pays. Or cette reconquête ne peut passer que par un accord politique, notamment avec l'irrédentisme touareg.
Que va faire la France pour en finir enfin avec une histoire que certains d'entre nous condamnent depuis des années, jouer un rôle de facilitateur et favoriser la mise en place d'une sécurité collective ? Comment comptez-vous vous appuyer sur l'Union européenne pour promouvoir un nouveau mode de gouvernance durable au plan politique, économique et social ?
Ma question sera à la fois simple et très difficile : quelle est véritablement l'attitude des États-Unis d'Amérique ? Pour avoir pris connaissance des propos de M. Panetta, mais aussi de la volée de bois vert infligée par le New York Times – qui n'est certes pas la voix du gouvernement américain, même s'il existe une proximité de points de vue –, j'éprouve un sentiment mitigé. La presse et les officiels américains pointent du doigt l'extrême difficulté de l'opération, quitte à en rajouter.
Quand on s'aime, ce qui compte, ce sont les preuves d'amour. Que nous fournissent les Américains en termes de renseignement, de drones, de logistique et, pourquoi pas, de financement ? Au cours des dernières années, en effet, les États-Unis ont dépensé, en aide stratégique, entre 500 et 600 millions de dollars dans la zone sahélienne.
M. Dufau s'est interrogé sur la situation humanitaire du pays. Même avant l'intervention, elle était déjà difficile : 2 millions de Maliens sont en situation d'insécurité alimentaire, dont 500 000 dans le Nord. D'après les échos que nous recevons, la population malienne est cependant très satisfaite de l'intervention française, et en a donné des témoignages émouvants. Ainsi, certaines familles ont déclaré vouloir donner le prénom du lieutenant Boiteux à leur enfant.
Les Nations unies et l'Europe ont prévu d'intervenir sur le plan humanitaire, mais cela demande des moyens importants. Cela fait partie des thèmes qui seront abordés demain avec mes homologues européens. D'autres pays, comme les Émirats arabes unis, ont proposé leur aide. Enfin, la conférence des donateurs sera l'occasion d'aborder ce problème.
Le respect des droits de l'homme est évidemment une question essentielle. S'agissant de l'armée française, il n'en est évidemment pas question, mais nous avons expressément demandé aux autorités maliennes d'éviter tout débordement. Nous resterons vigilants sur cet aspect.
M. Dhuicq a évoqué l'état des forces maliennes. Il est absolument essentiel que nous les ayons avec nous, et que nous parvenions très vite à les former pour qu'elles puissent utilement combattre. Il appartient d'abord aux Maliens, et plus généralement aux Africains, de reconquérir l'intégrité du pays. C'est le sens de l'effort significatif consenti par les Européens en envoyant 500 personnes pour former l'armée malienne. Même en tenant compte de la force nécessaire pour protéger les formateurs, ce sont ainsi plusieurs centaines de personnes qui se consacreront à cette tâche sous le commandement d'un général français. Par ailleurs, outre l'aspect technique, le degré de détermination des forces maliennes sera d'autant plus fort qu'elles verront leur territoire sur le point d'être reconquis.
Oui, monsieur Candelier, l'intervention respecte la légalité. Elle se fonde sur l'article 51 de la Charte des Nations unies, qui prévoit la possibilité d'une intervention militaire à l'appel d'un pays en situation de légitime défense. Le Mali est membre de l'ONU, et a fait appel au soutien de la France, tout en formulant la même demande auprès du secrétaire général des Nations unies. L'article 51 donne donc toute sa légalité à l'intervention de notre pays, ce que personne ne conteste. On peut également mentionner la résolution n° 2085 qui concerne la Misma.
En ce qui concerne le coût de l'intervention, je ne suis pas en mesure d'en proposer une estimation sérieuse à ce stade.
Pour répondre à vos questions, la disponibilité du Gouvernement est entière, monsieur Folliot, même si nous avons manqué de temps, aujourd'hui, pour organiser cette réunion dans les meilleures conditions.
S'agissant des actes auxquels on peut s'attendre de la part des pays européens, ces derniers ont déjà pris un engagement en matière de formation qu'ils confirmeront et peut-être amplifieront demain. Certains pays ont par ailleurs proposé un soutien, notamment en termes logistiques : les Britanniques ont été les premiers à proposer leurs services, mais c'est également le cas des Belges et des Danois. D'autres vont sans doute se manifester.
J'en viens aux affirmations de M. Mamère, dont j'ai bien noté qu'il s'est déjà exprimé publiquement sur le sujet. Bien évidemment, il faut prendre en compte la question touarègue, et je le disais d'ailleurs dans mon propos liminaire. L'intervention militaire est nécessaire, mais elle ne permettra pas de résoudre, à terme, les problèmes du Mali. Cela étant, je ne suis pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle la situation de ce pays est le produit de son histoire commune avec la France. La France, pays démocratique, a agi conformément au droit international, à la demande d'un gouvernement légitime, pour s'opposer à des terroristes. J'ai entendu, en d'autres occasions, le mot de « Françafrique ». Mais quel est le point commun ? Quels intérêts économiques pouvons-nous bien défendre au Mali ? Nous ne soutenons pas des intérêts particuliers, mais bien la population, qui veut vivre en liberté.
En ce qui concerne l'attitude des Américains, M. Le Drian a eu de nombreux contacts avec M. Panetta, et j'ai moi-même reçu un appel de Mme Clinton, qui a fait part de la position favorable de son gouvernement. Nous verrons ce qu'il adviendra au Conseil de sécurité des Nations unies, mais pour le moment, nous bénéficions du soutien des Américains. Ils nous proposent d'ailleurs une aide en matière de transport ou d'écoutes. Ils ont également des capacités en termes de drones que nous ne possédons pas, de même que les Italiens. D'une façon générale, nous pourrions obtenir de nouveaux appuis dans les jours qui viennent.
Depuis l'occupation du Nord-Mali par les terroristes et les réseaux de trafiquants, on a pu constater une certaine porosité des frontières dans la région du Sahel. Or il s'agit d'un enjeu majeur. Cette porosité sera-t-elle prise en compte dans l'avenir ? On sait en effet que l'infiltration de groupes armés extrémistes est pour l'instant extrêmement aisée, à l'est comme à l'ouest.
Il est probable que cette intervention militaire devait avoir lieu à un moment ou à un autre. Mais la question porte sur les conditions dans lesquelles elle a été engagée ainsi que sur son timing. Le problème, dans cette affaire, c'est que nous sommes tout seuls. Même si un certain nombre de pays alliés proposent un support logistique, on ne peut s'attendre à obtenir rapidement l'aide de forces combattantes – en dehors de celles des pays africains, mais je ne pense pas que leur concours changera grand-chose à la situation opérationnelle sur le terrain. Quelles actions mène le Gouvernement pour obtenir des renforts de la part de nos alliés ?
La situation n'est pourtant pas si éloignée de celle de l'Afghanistan : l'opération afghane, quels que soient ses résultats, visait en effet au départ à éviter la mise en place d'un État terroriste. Or elle a bénéficié d'une coalition de 40 États. Il est probable que le Sahel intéresse beaucoup moins nos partenaires, mais je suis inquiet de l'évolution de la situation si nous devions rester durablement seuls et isolés sur le plan militaire.
En ce qui concerne la Somalie, je ne porterai aucun jugement sur l'opportunité de tenter le sauvetage d'un otage retenu depuis trois ans et demi. Mais je trouve troublante la concomitance des dates : pourquoi avoir jugé nécessaire d'organiser cette expédition – qui malheureusement s'est terminée tragiquement – exactement le jour du déclenchement de l'opération malienne, dans un créneau qui s'est révélé finalement plutôt défavorable ? Avez-vous craint que l'opération Serval ne mette encore plus en danger la vie de notre otage en Somalie ?
Je souhaite vous interroger sur la situation des plusieurs milliers de Français établis au Mali, à Bamako pour l'essentiel, mais aussi dans les pays environnants. Des dispositions de sécurité ont été prises ; peut-être serait-il bon de les préciser. En particulier, des mesures transitoires de sécurité ont été décidées à l'école française de Bamako. Mais la plupart des familles souhaitent reprendre une vie sociale normale, ce qui reviendrait d'ailleurs pour la France à envoyer un signe à l'ensemble de la population, et à montrer que la situation est sous contrôle. Cependant, il existe d'autres écoles françaises homologuées, et deux d'entre elles, en particulier, qui n'ont fait l'objet d'aucune mesure particulière, réclament un suivi, au moins pour la même durée que pour le lycée français. Plus généralement, je suis attentif à toute information dont vous pourriez disposer sur nos compatriotes établis au Mali.
Vous vous obstinez, monsieur le ministre, à parler de terroristes : pourquoi ne qualifiez-vous pas de milices ou de groupes extrémistes islamiques ces organisations dont l'objectif est d'imposer la charia ? Pour notre part, dans l'Est de la France, nous aimons appeler un chat, un chat.
Par ailleurs, nous avons l'impression que l'armement des islamistes présents sur le terrain a été sous-estimé dans un premier temps, et qu'il a fallu renforcer rapidement les troupes, tant lors des premiers affrontements qu'au moment de la contre-offensive sur Diabali.
Enfin, la France semble un peu seule dans cette opération, en dépit des encouragements qui lui sont prodigués. Nos alliés ne sont pas aussi engagés qu'on le souhaiterait. Quant à l'Algérie, elle semble réservée. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Une satisfaction, d'abord : nous n'assistons pas, avec cette opération, à une guerre-spectable comme on a pu en connaître en Libye ou en Irak. Je suppose que vous y êtes pour quelque chose, et je tenais à vous en remercier.
S'agissant de l'Algérie, nous avons noté une certaine prudence dans vos propos. On a le sentiment qu'une pression de la presse et de la population algérienne est à craindre. Qu'en est-il dans les pays voisins, la Mauritanie, le Niger et le Burkina-Faso ?
La lutte contre le terrorisme est un objectif que nous partageons, et que se sont d'ailleurs assigné les gouvernements précédents. Il est donc de notre devoir de prôner l'unité nationale. Cela étant, notre responsabilité de parlementaire nous amène également à poser au Gouvernement plusieurs questions.
La première concerne le facteur déclenchant. La situation au Mali faisait l'objet depuis plusieurs mois d'une très grande attention de la part de nombreux pays. À plusieurs reprises, les autorités maliennes avaient demandé une intervention de la France et de ses alliés. Qu'est-ce qui a motivé la décision prise vendredi par le Président de la République, mais pas par les chefs d'États alliés ?
Vous avez évoqué le soutien apporté a posteriori par nos partenaires européens, mais qu'en est-il de leur soutien a priori ? Il est en effet de tradition que, préalablement à une telle opération, le chef de l'État consulte ses homologues occidentaux : la chancelière allemande, le premier ministre britannique, le président américain. Quels contacts ont été pris avant le lancement de l'opération ?
Enfin, j'aimerais revenir sur la base juridique de l'intervention. Vous avez cité l'article 51 de la Charte des Nations unies, ainsi que la résolution 2085. Mais cette dernière fait référence à la Mission internationale de soutien au Mali : comment l'intervention de la France peut-elle s'y référer ?
Les événements que nous vivons coïncident avec la publication prochaine du nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Or il est souhaitable que ce document prenne en considération l'opération au Mali. Ainsi, si nous avons pu intervenir, c'est bien, notamment, parce que nos troupes étaient prépositionnées dans la région. On pourrait également parler de l'indisponibilité de notre porte-avions pour plusieurs mois, ainsi que du rôle joué par les Atlantic en matière de renseignement. Bref, allons-nous prendre le temps d'analyser la situation malienne afin d'en tirer les conséquences dans le Livre blanc ?
Au cours d'un long débat au sein de la commission de la défense sur le Livre blanc, j'avais exprimé mon inquiétude de voir transférer vers Abou Dabi et l'Afghanistan des troupes prépositionnées au Sénégal. J'espère que la crise en cours sera l'occasion de rectifier le tir.
Il y a toujours unanimité pour soutenir l'intervention de nos soldats, et cette union nationale est positive. Mais il y a également unanimité lorsqu'il s'agit de faire du budget de la défense la variable d'ajustement de notre effort budgétaire. Or je doute que nous puissions continuer longtemps à assumer un tel décalage entre nos ambitions légitimes et la réduction du format de notre défense.
Cité par un grand journal du soir, Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains, affirme que « les caisses d'Ansar Dine sont en partie remplies par Alger » et que le MUJAO reçoit manifestement des fonds par l'intermédiaire du Croissant-Rouge qatari et des réseaux saoudiens. Je ne sais pas ce que valent de telles informations, mais je m'interroge. Que savez-vous du financement des terroristes que nous combattons ?
Sans entrer dans le détail, pour ne pas mettre en péril le déploiement de ces forces, pouvez-vous préciser quelle forme prendra le soutien des pays africains engagés à nos côtés, ainsi que celui de la Grande-Bretagne et des États-Unis ?
AQMI, l'un des groupes terroristes engagés dans le Nord-Mali, a toujours ciblé la France comme un de ses ennemis principaux. Mais si nous n'avions pas agi dans l'urgence, le risque était de voir s'effondrer l'État malien. Ce fait semble avoir pesé de façon décisive sur la décision du Président de la République.
Encore fallait-il avoir la capacité de déployer des forces dans la plus grande urgence. À cet égard, le prépositionnement sur le continent a en effet joué un rôle décisif. En tant que membre de la commission du Livre blanc, je peux vous assurer que de tels paramètres sont pris en compte dans nos réflexions.
C'est l'honneur de la République que d'afficher son unité derrière le chef des armées lorsque notre pays engage des opérations de guerre. La France parle d'une même voix et fait corps derrière ses soldats.
Le Président de la République a déclaré hier que la France n'avait pas vocation à rester au Mali. L'objectif est de « faire en sorte que, lorsque nous partirons, il y ait une sécurité au Mali, des autorités légitimes, un processus électoral et plus de terroristes qui menacent l'intégrité du pays ». C'est donc un objectif extrêmement ambitieux, qui ne peut être atteint que sur une longue durée. Quel est le calendrier opérationnel envisagé ?
Sur le plan politique, on peut se montrer optimiste et espérer que des négociations donneront lieu à une sortie de crise. Après quoi il conviendra de passer aux élections. Un débat important a eu lieu aux Nations unies sur ce thème lors du vote de la résolution 2085, car les États-Unis ne reconnaissent pas le gouvernement de Bamako comme légitime. Avez-vous discuté avec vos interlocuteurs maliens de l'avenir politique du pays et de la capacité des administrations à fonctionner à nouveau si la sécurité est rétablie ?
Je constate que les abonnés absents sont toujours les mêmes : j'espère que cela dessillera les yeux des nombreuses personnes atteintes d'eurobéatitude.
Par ailleurs, si nous envisageons la situation dans le temps long, nous n'avons pas affaire à une attaque terroriste localisée, mais bien à une dérive islamique de l'ensemble de la région, dérive qui dure depuis des décennies.
Je souhaite revenir sur la justification de l'opération, c'est-à-dire l'application non seulement de l'article 51, mais du droit naturel de légitime défense. La France doit défendre ce principe fort et lui donner une pratique réelle, car je crains fort que nous ne soyons obligés de l'invoquer à nouveau dans l'avenir.
Sous le titre : « Mais où est passée l'armée malienne ? », un journal décrit ainsi la situation militaire du pays : « Hormis l'état-major, transformé en bunker, la plus forte présence d'hommes en uniforme est aperçue devant le siège de la télé nationale. » Sur la ligne de front, « après seulement une demi-journée de combats, les bérets verts ont tout abandonné derrière eux : véhicules, armes et même blessés. » Selon un journaliste local, « Ce n'est pas une armée, c'est une armoire. Elle laisse tout rentrer ». L'article évoque également l'avis d'un officier instructeur français selon lequel la situation de l'armée est pire que ce qu'il imaginait : « Cette armée, c'est un peu l'ANPE. »
Quel est votre sentiment sur l'armée malienne ?
Monsieur le ministre, vous avez dit que la France intervenait pour sauver le Mali du terrorisme. Ne pourriez-vous ajouter qu'elle agit pour sauver les intérêts économiques privés et publics français au Niger, ce qui ne serait d'ailleurs pas illégitime ?
Par ailleurs, le gouvernement malien, issu d'un putsch militaire, est-il bien fréquentable ? Les opérations qu'il mène sur le terrain semblent en effet plus dirigées contre sa propre population que contre l'adversaire désigné.
Quant à l'Algérie, son silence officiel est tout de même assourdissant. En raison de la longueur de ses frontières – 1 400 kilomètres –, dont la porosité est bien connue, on ne peut être certain que ses déclarations seront suivies d'effets, ni qu'elle ne tient pas un double langage à l'image du Pakistan.
Enfin, cinq jours après le début de l'intervention, la France est bien seule. Quelles que soient les déclarations des uns et des autres, on ne voit pas l'esquisse d'une intervention concrète à nos côtés.
Vous avez dit votre souci de veiller à ce que les droits de l'homme soient respectés au Mali. J'espère que la France sera assez forte pour qu'aucune violence ne soit commise à l'encontre des populations touarègues et arabes, susceptibles d'être assimilées aux groupes rebelles du Nord. Par ailleurs, je m'interroge sur la sécurité alimentaire des populations de la région.
Nous procédons à la redéfinition de notre format militaire. Aujourd'hui, l'armée de terre comprend 75 000 hommes mobilisables. C'est tout juste suffisant. Les opérations comme celles que nous menons actuellement montrent que nous n'avons pas intérêt à descendre en deçà de ce seuil.
Nous sommes nombreux à avoir exprimé notre soutien à la famille du militaire qui a été tué au Mali. Dans quelles conditions son décès a-t-il eu lieu ?
On frémit à imaginer l'état dans lequel serait aujourd'hui Bamako si la France n'était pas intervenue vendredi, ainsi que les conséquences qui en auraient résulté pour la sécurité de la région et même de l'Europe.
Nous sommes donc heureux de disposer d'une armée en bon état de préparation et de positionnement. Nous sommes également heureux d'avoir gardé une part de souveraineté nous permettant d'agir lorsque personne ne semblait pressé de le faire dans cette région du monde.
Mais nous nous inquiétons aussi de la solitude de nos troupes sur le terrain, en dépit des bons sentiments exprimés par les Nations unies, l'Europe ou d'autres organisations. S'il faut entreprendre la formation des troupes africaines, cela risque en effet de prendre beaucoup de temps. Car la guerre ne se fait plus de la même façon qu'il a quelques dizaines d'années. Et on risque d'attendre longtemps si l'on souhaite obtenir de l'Europe autre chose que des bonnes paroles, l'envoi de quelques éducateurs ou de quelques avions de transport. La solitude de notre pays est le sentiment dominant dans cette salle. Combien de temps va-t-elle durer selon vous ?
Vous avez rappelé les trois objectifs de l'opération : stopper l'avancée des terroristes vers Bamako, éradiquer les bases arrière et rétablir l'intégrité du Mali. Les deux premiers sont légitimes, mais se rend-on bien compte de ce que signifie le troisième ? Nous parlons d'un non-État, où tout est à reconstruire, pas seulement l'armée, qui est inexistante, mais aussi l'administration. Il faudrait envisager une présence très longue, avec tous les coûts que cela induit. Cela reviendrait pour la France à pratiquer une forme d'entrisme dans un pays qu'il a très longtemps occupé : on imagine quelles en seraient les conséquences politiques.
Autant, comme la plupart de mes collègues, j'approuve l'action destinée à arrêter l'avance des terroristes, autant je pense que l'on ne saurait aller au-delà sans se risquer à l'aventure. En tout état de cause, le Parlement doit être saisi pour dire ce que le pays doit faire dans ce moment très difficile de l'histoire africaine, en sachant que nous sommes très isolés.
Tout le monde s'accorde à dire que lorsque l'opération militaire sera terminée, il faudra favoriser l'émergence d'un gouvernement démocratique et légitime au Mali. Mais pour l'instant, nos interlocuteurs sont les membres du gouvernement en place. Ce ne sont pas des enfants de choeur, mais il n'y aurait rien de pire que de les voir nous claquer entre les mains. Comment évaluez-vous la solidité du gouvernement actuel ?
Qu'espérez-vous de la réunion du conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne ? Qu'allez-vous demander à vos homologues ? Ne faudrait-il pas mener une opération diplomatique de grande envergure, voire réclamer une réunion de l'OTAN ? Pensez-vous que nous pourrons tenir dans la durée ? Cette opération ne révèle-t-elle pas nos faiblesses, et ne doit-elle pas conduire à remettre en cause la décision de réduire le format de nos armées ?
Alors que l'Organisation de la conférence islamique – OCI – se met à tenir des propos désagréables, de même que le président Marzouki – qui a pourtant été accueilli en grande pompe par le président de l'Assemblée nationale –, comment pensez-vous que le monde arabe apprécie l'évolution de la situation ?
N'est-il pas temps pour le Président de la République de demander la réunion rapide d'un sommet européen, de façon à placer les dirigeants de l'Union devant leurs responsabilités ? Et pourquoi ne pas en faire autant, la semaine prochaine, avec nos amis allemands ? L'Europe nous coûte 20 milliards d'euros de contributions nettes ; il est donc scandaleux que nous nous retrouvions tout seuls au moment d'assurer la sécurité de l'Union !
Enfin, je ne comprends pas pourquoi le Président de la République ne compte pas se rendre au sommet de la CÉDÉAO. C'est pourtant le moment ou jamais de pousser les pays concernés à déployer leurs forces. On en parle depuis des mois ! Il s'agit d'un sommet au niveau des chefs d'État, et le Président de la République doit donc mouiller sa chemise.
Lorsque cette opération sera terminée, ce qui n'est pas près de se produire, il faudra bien se poser la question des moyens consacrés à notre défense. Sous ce gouvernement comme sous le précédent, je me félicite d'avoir été un des rares à demander que l'on n'applique pas la décision de supprimer nos forces prépositionnées à N'Djamena.
Par ailleurs, je m'indigne, comme M. Lellouche, des prises de position tunisiennes, non seulement de la part d'Ennahdha, mais aussi du président par intérim. Après le tapis rouge qui a été déroulé à Paris devant lui, ce dernier aurait pu soutenir la France dans cette opération.
Sans la décision courageuse du Président de la République, Mopti et Ségou seraient sans doute, aujourd'hui, occupées par les rebelles.
Un des objectifs de l'opération est de détruire les bases arrière. Mais celles-ci sont peu nombreuses. Que se passera-t-il ensuite ? Le conflit ne risque-t-il pas de changer de nature ? Et, comment, dès lors, allons-nous agir si nous restons seuls ?
Par ailleurs, ce conflit ne montre-t-il pas la nécessité de revoir rapidement notre stratégie et nos moyens en matière de renseignements ?
Pourquoi avons-nous été obligés d'intervenir dans l'urgence, sous l'effet de la surprise, alors que la dégradation de la situation au Mali est connue depuis des mois ?
Le risque est évident de voir les forces adverses – qui rappellent les rezzous actifs à une certaine époque au Sahara – se fondre dans la population. Comment, alors, adapter notre tactique militaire, et quels objectifs devons-nous fixer à nos forces armées ?
Je soutiens d'autant plus l'opération qui a été enclenchée qu'elle me paraît s'inscrire dans la continuité de la politique du précédent gouvernement. Il ne s'agit pas, en effet, de lutter contre quelques terroristes, mais contre des groupes politico-religieux islamistes qui ne rêvent que d'une chose, instaurer des dictatures religieuses dans des pays très affaiblis – et parfois affaiblis par notre faute, parce que nous avons renoncé à quelque chose qui leur servait parfois d'épine dorsale, la coopération. C'est ainsi que l'on peut expliquer l'état de l'armée malienne. Aujourd'hui, nous payons ces erreurs.
En ce qui concerne le prépositionnement de nos troupes, que nous avons eu le bon goût de maintenir, je partage l'avis de Gilbert Le Bris. J'espère que les rédacteurs du futur livre blanc en tiendront compte. Mais surtout, pour pouvoir pénétrer en premier sur un terrain d'opération, comme nous l'avons fait il y a quelques jours, il nous faut garder une capacité opérationnelle et, donc, certains moyens. Il ne faut donc pas avoir peur de sanctuariser le budget de la défense si nous souhaitons que notre pays puisse continuer à tenir ses engagements.
Je regrette que votre collègue chargé de la défense n'ait pas trouvé le temps de venir devant la représentation nationale, alors qu'il en avait ce matin pour la presse.
Après l'Afghanistan et la Libye, c'est la troisième fois que nous participons à une opération militaire sans la présence des Allemands. Où en sont nos relations avec eux ? La brigade franco-allemande aurait pu être mobilisée à cette occasion.
Enfin, je fais partie des 37 membres de la Commission du Livre blanc. J'espère que le bon sens l'emportera au moment de sa rédaction définitive, notamment pour ce qui concerne notre présence en Afrique.
Monsieur le ministre, vous avez répondu à notre invitation, et nous apprécions votre disponibilité. Mais ce n'est pas le cas du ministre de la défense, qui a le temps d'arpenter les plateaux de télévision, mais pas de se rendre devant la Commission de la défense.
L'affirmation répétée du Président de la République selon laquelle la France n'interviendrait pas au Mali, se contentant d'une aide technique, n'a-t-elle pas convaincu les islamistes de se diriger vers Bamako avant la montée en puissance de l'armée malienne et l'arrivée de la coalition internationale ?
D'après les informations communiquées par le ministre de la défense, l'opération en Somalie était déjà planifiée et prête à être lancée depuis un mois. Pourquoi le feu vert a-t-il été donné dans la nuit du vendredi 12 janvier, avec les conséquences que nous connaissons ?
Le ministre de la défense est très respectueux du Parlement : s'il n'a pas pu venir, c'est uniquement parce qu'il se trouve actuellement au Sénat.
M. Pueyo a évoqué la porosité des frontières de la région. Le président de la Mauritanie, que nous avons rencontré hier, nous a assuré que les frontières de son pays étaient fermées, et a indiqué qu'il pourrait mettre à disposition des troupes supplémentaires. Le Tchad a fait une annonce similaire, dont la confirmation serait une bonne nouvelle, les Tchadiens disposant d'une armée solide.
M. Poniatowski et plusieurs députés ont déploré la solitude de nos troupes. Mais il faut distinguer les différentes phases. Aujourd'hui, nous sommes en première ligne, avec les Maliens. Mais des dispositions internationales ont été prises pour la suite. Certains ont rappelé que les problèmes du Mali étaient connus de longue date, mais c'est justement la France qui a fait en sorte que la question soit posée aux Nations unies et que de nombreux pays s'engagent. La résolution n° 2085 n'aurait pas été votée sans l'action de la France – ce que l'on peut d'ailleurs regretter.
Au cours de cette première phase, nous sommes donc, non pas seuls, mais en position avancée, avec les Maliens,. La deuxième phase consistera dans le déploiement de la Misma. C'est le sens des propos du Président de la République : nous n'avons pas vocation à rester éternellement au Mali. Il appartiendra aux Africains de prendre le relais.
En ce qui concerne la Somalie, la Direction générale du renseignement extérieur était particulièrement désireuse de lancer une action destinée à récupérer un de ses hommes, détenu dans des conditions abominables. L'opération était donc étudiée depuis longtemps. La date a été proposée au Président de la République bien avant le déclenchement de l'opération malienne, et il me semble que c'est en raison des conditions météorologiques qu'elle a été choisie. Dès lors que le Président avait donné son accord pour que l'opération ait lieu, il n'était pas envisageable de la reporter, d'autant que sa préparation exigeait plusieurs jours. Il est d'ailleurs possible qu'une décision contraire aurait eu des effets encore plus désastreux. Quoi qu'il en soit, on ne peut rien conclure de la concomitance des deux opérations, d'autant que l'intervention au Mali a été décidée dans les heures suivant la réception de la lettre du président Traoré.
À Bamako se trouvent deux établissements scolaires de droit local qui ne sont pas sous l'autorité de notre réseau. Nous les avons invités à fermer également, mais seul l'un d'entre eux l'a fait. Ils sont cependant pris en compte par notre dispositif de sécurité. Par ailleurs, nous suivons attentivement la situation au Niger.
Il est vrai, monsieur Meslot, que nous avons affaire à des groupes extrémistes islamistes, mais leurs méthodes et leurs objectifs sont de nature terroriste.
Il est certain que l'armement de nos adversaires est important. Cela s'explique pour une part par les conséquences de l'affaire libyenne.
Outre la Mauritanie, monsieur Boisserie, le Burkina et le Niger ont prévu de fournir des contingents militaires.
M. Chatel s'est interrogé sur le soutien a priori de nos alliés. Bien entendu, il y a eu des contacts entre le Président de la République et les Américains, ainsi qu'avec nos principaux partenaires européens. Nous nous trouvions cependant dans une telle situation d'urgence que nos troupes devaient intervenir sans délai. Évidemment, nous souhaitons que le plus grand nombre possible de pays européens s'engagent à nos côtés.. En tout état de cause, nous faisons le maximum, au point de vue diplomatique, pour mobiliser nos partenaires.
Je l'ai dit, l'article 51 constitue la base juridique de l'opération. La résolution n° 2085 n'a pas exactement le même but. M. Ban Ki-Moon m'a appelé pour féliciter la France de sa gestion et lui donner quasiment un feu vert. S'il reste d'autres aspects juridiques à traiter, nous le ferons dans les jours qui viennent.
« Où sont les Maliens ? » se demande M. Rochebloine. Il est certain que la force africaine doit être renforcée, et c'est l'engagement qu'ont pris les pays européens.
Nous discutons avec le gouvernement en place au Mali, monsieur Luca, et nous ne cachons pas que, à notre sens, des dispositions politiques devront être prises.
S'agissant de nos intérêts économiques au Mali, je les cherche encore. Quant au Niger, il s'agit d'un autre pays. Il est bien sûr normal que la France défende ses intérêts économiques mais cela n'a pas de rapport avec la décision prise par le Président de la République le 11 janvier.
Quant à l'Algérie, j'ai essayé d'indiquer la nature de nos relations avec son gouvernement.
Nous allons faire le maximum, madame Guittet, pour assurer la sécurité alimentaire et la défense des droits de l'homme.
Les informations dont je dispose sur la mort du lieutenant Boiteux sont celles qui ont été diffusées dans la presse : pilotant un hélicoptère, il a été mortellement blessé par un tir. Il a été très courageux, puisqu'il est parvenu à ramener ses compagnons à la base. Mais, atteint à l'artère fémorale, il a finalement succombé à ses blessures.
Je l'ai dit, monsieur Vauzelle, la France n'est seule que durant la première phase du conflit.
Il en est de même pour ce qui concerne le retour à l'intégrité du Mali, monsieur Fromion : nous n'avons jamais dit que la France devait rester en première ligne jusqu'à ce que cet objectif soit atteint. Nous avons été obligés d'intervenir, faute de voir le pays disparaître. Nous allons faire ce qu'il faut sur le terrain militaire, en favorisant aussi les éléments politiques, mais les Africains devront prendre le relais. Nous suivrons ensemble – car c'est aussi votre rôle – ce qui se passera.
Je ne pense pas, monsieur Hillmeyer, que l'OTAN soit concernée par cette crise – laquelle, en revanche, montre bien les limites de l'Europe de la défense.
Je suis parfaitement d'accord avec l'idée selon laquelle nous devons tirer les conséquences de cette opération lors de l'élaboration du Livre blanc.
Nos services ont rédigé de nombreux rapports sur le financement des terroristes. Il n'est pas avéré que tel ou tel pays avec lequel nous sommes en discussion y participe, sans quoi nous aurions eu les réactions nécessaires. Mais en tout état de cause, le trafic d'armes et celui de drogue sont une source importante de revenus. Il est fondamental que nous abordions de façon plus approfondie les liens entre drogue et terrorisme.
Je ne propose pas, monsieur Myard, que la France se saisisse en permanence de l'article 51. L'opération actuelle est déjà suffisamment astreignante.
M. Lellouche a fait des remarques pertinentes sur les déclarations de l'OCI et de M. Marzouki. Ce qui doit être dit sera dit.
Pourquoi cette urgence, demande M. Grouard. Quelles qu'aient été les précautions prises par les services, un moment est venu où les terroristes s'apprêtaient à prendre Mopti puis Bamako. Il fallait donc intervenir. Mais la France avait procédé depuis longtemps à une série de reconnaissances, et heureusement ! Se préparer à ce que les Africains interviennent dans plusieurs mois avec notre soutien est une chose ; constater le retournement d'Ansar Dine et son alliance avec le MUJAO et AQMI pour passer à l'offensive en est une autre. À un moment, on nous a dit : « Ils sont là. Si vous n'intervenez pas, dans cinq heures, il n'y aura plus d'État malien. »
M. Teissier est revenu avec raison sur les questions de défense, et M. Guilloteau sur nos relations avec l'Allemagne. Ce sont des questions qu'il faut en effet poser, mais de manière positive.
Pardonnez-moi si j'ai été trop rapide, mais je suis à votre disposition, ainsi que Jean-Yves Le Drian.
La séance est levée à quatorze heures quarante-cinq.