Intervention de Suzy Rojtman

Réunion du 23 mars 2016 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes, CNDF :

Je précise tout d'abord que mon propos porte sur l'avant-projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs et que nous avons essayé de prendre en compte les dernières annonces du Premier ministre. Si ce texte constitue une entreprise de précarisation générale pour tous les salariés de droit privé, certaines dispositions auront des conséquences particulières pour les femmes, parce qu'elles sont plus souvent concernées que les hommes par les emplois précaires, les temps partiels et les salaires les plus bas, et parce que ce sont aussi elles qui constituent, avec leurs enfants, la grande majorité des familles monoparentales.

Il est d'ailleurs révélateur que le rapport du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) n'ait pas été rendu public. Il n'y a pas non plus d'étude sur l'impact de ces dispositions sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

L'inversion de la hiérarchie des normes constitue l'un des axes de ce projet de loi, en proposant de faire primer les accords d'entreprise sur les accords de branche ou la loi. Or les femmes sont surtout présentes dans les entreprises sous-traitantes et dans les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME), par exemple dans le commerce et l'aide à domicile, où il y a moins d'implantation syndicale, et donc moins de possibilité de négocier et de se mobiliser. Faire primer les accords d'entreprise entraînera donc une baisse des droits et des garanties dans les secteurs à prédominance féminine. S'agissant de la négociation sur l'égalité professionnelle, la durée de vie des accords serait limitée à cinq ans, sans garantie de maintien des avantages acquis en l'absence de nouvel accord.

L'avant-projet de loi multiplie aussi les dérogations aux règles relatives au temps de travail : les temps d'astreinte pourraient ainsi être décomptés des temps de repos ; par ailleurs, des accords d'entreprise pourraient déroger à la durée maximale de travail de quarante-quatre heures, pour la porter à quarante-six heures sur douze semaines. Or ce sont les femmes qui prennent très majoritairement en charge les tâches domestiques, l'éducation des enfants et l'accompagnement des personnes dépendantes : si ces mesures sont adoptées, elles devront donc concilier ces contraintes personnelles avec une durée de travail plus importante. Il y a des femmes qui travaillent trop et d'autres pas assez. L'extension du forfait jours, prévue par l'avant-projet de loi dans les entreprises de moins de 50 salariés, risque d'instaurer comme norme le présentéisme, qui concourt au plafond de verre. Or cette norme se fait au détriment des femmes qui, en raison des contraintes familiales qui leur incombent, ne peuvent être présentes aussi longtemps que les hommes sur leur lieu de travail. Et cela pourra se faire d'ailleurs avec le simple accord d'un salarié mandaté, et l'on connaît la fragilité de ce dispositif : il peut s'agir par exemple de la secrétaire de l'employeur.

Concernant les temps partiels, les dispositions sur la durée minimale de vingt-quatre heures, prévues par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, avec toutefois plusieurs possibilités de dérogation, notamment par un accord de branche, seraient de fait assouplies puisque l'avant-projet de loi prévoit que cette durée minimale serait désormais fixée par les accords de branche. Ce n'est qu'en l'absence d'accord que cette durée minimale serait de vingt-quatre heures. En outre, nous craignons que le taux de majoration des heures complémentaires soit de 10 %, et non de 25 % à partir d'un dixième des heures prévues dans le contrat, comme c'est le cas actuellement. Par ailleurs, les changements d'horaires seraient possibles avec un délai de prévenance de trois jours, alors que dans l'état actuel du droit, ce délai est de sept jours, sauf si un accord de branche ou d'entreprise prévoit une durée inférieure.

De même, les femmes seront davantage affectées par la disposition du projet de loi prévoyant que la durée minimale de congés légaux sera déterminée par un accord d'entreprise ou de branche. C'est le cas du congé de solidarité familiale, qui est accordé en cas de pathologie grave d'un membre de sa famille, et ce congé pour accompagner un proche en fin de vie est pris très majoritairement par les femmes. Un accord d'entreprise ou, à défaut, de branche, pourrait déterminer la durée maximale de ce congé et le nombre de renouvellements possibles, alors qu'actuellement ce congé est d'une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois. Il en va de même pour le congé de proche aidant, qui permet d'accompagner une personne âgée dépendante ou un proche en situation de handicap. En outre, alors qu'un employeur ne peut changer aujourd'hui les dates de congés payés d'un de ses salariés un mois avant leur commencement, l'avant-projet de loi permet qu'un accord collectif, dans l'entreprise ou dans le secteur, réduise ce délai.

Ce texte accroît par ailleurs la flexibilité du travail en permettant une modulation du temps de travail sur une période allant jusqu'à trois ans actuellement, au lieu d'un an actuellement. En l'absence d'accord, elle ne pourra dépasser un mois, comme c'est le cas aujourd'hui, sauf dans les entreprises de moins de 50 salariés, qui pourront aller jusqu'à seize semaines sous réserve d'un accord validé par un salarié mandaté. Là encore, les femmes, qui doivent très souvent concilier leur vie professionnelle avec des impératifs familiaux, par exemple aller chercher les enfants à l'école, ne seront donc plus en mesure de maîtriser leurs horaires.

Si le Gouvernement a renoncé au fractionnement du repos quotidien de onze heures, l'article 26 du projet de loi prévoit qu'une concertation sera engagée avant le 1er octobre 2016 « sur le développement du télétravail et du travail à distance » et qu'elle portera également sur « l'évaluation de la charge de travail des salariés en forfait jours, la prise en compte des pratiques liées aux outils numériques pour mieux articuler la vie personnelle et la vie professionnelle, ainsi que sur l'opportunité et, le cas échéant, les modalités du fractionnement du repos quotidien ou hebdomadaire de ces salariés ». La réforme du repos quotidien est donc encore envisagée.

L'avant-projet de loi prévoit aussi de réformer la médecine du travail. Il propose de supprimer la visite d'aptitude obligatoire et de centrer le suivi médical sur les salariés dits à risques. Or les risques et la pénibilité des métiers à prédominance féminine sont sous-évalués : c'est le cas par exemple de professions comme les caissières de supermarché ou les aides à domicile. On mesure donc l'impact d'une telle réforme sur la santé de ces salariées.

Cet avant-projet de loi, qui répond aux volontés du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), part du principe que pour créer des emplois, il faut faciliter les licenciements, ce que nous trouvons aberrant. C'est pourquoi nous ne pouvons que le combattre et exiger son retrait, et nous serons dans la rue le 31 mars pour porter cette revendication.

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