Je vous remercie tout d'abord de m'avoir invitée, Mme la présidente, à un moment où nous avons certaines inquiétudes en matière d'égalité professionnelle, concernant en particulier le non-remplacement à la préfecture de région d'Île-de-France de la chargée de mission qui s'occupait de l'égalité professionnelle, dont la mission va être intégrée dans les attributions de la personne chargée de l'accès aux droits et des violences, ainsi que la transformation, à la mairie de Paris, de la mission « égalité femmes-hommes » en un poste de chargé de mission « égalité, insertion et inclusion ».
Je souhaite ici évoquer notre expérience de terrain : ADAGE est une jeune association, même si nous avions travaillé auparavant dans le domaine de l'insertion, qui accueille environ trois cents femmes par an, et nous salarions environ quinze personnes dans notre chantier d'insertion.
En 2012, nous avons été stupéfaits de constater que, pour la première fois, une femme salariée par notre association avait été contrainte de dormir dehors avec son fils. De fait, l'emploi ne protège plus de la pauvreté. Par ailleurs, en voyant revenir des femmes plus fréquemment, nous avons décidé de mener une étude, en 2014 et 2015, sur une cohorte de cent trente femmes, et ces données chiffrées sont très préoccupantes. Ainsi, sur environ 60 % de sorties positives en emploi, on observe une diminution de l'ordre de 50 % des embauches en contrat à durée indéterminée (CDI), tandis que le nombre de contrats à durée déterminée (CDD) de moins de six mois était environ 2,5 fois plus élevé.
Des femmes sont donc en CDD de trois ou quatre mois, et cette précarité les expose à des difficultés particulières en termes de logement et à des temps de transports importants. Pourtant, ces femmes sont prêtes à faire de grands sacrifices pour travailler. Je peux citer l'exemple de cette femme ingénieure des eaux et forêts qui a un trajet de deux heures et demie pour aller travailler. En outre, le renouvellement des papiers constitue un obstacle au maintien dans l'emploi, et il devient par ailleurs de plus en plus difficile de maintenir des droits entre deux CDD.
Dans le projet de loi présenté par Mme Myriam El Khomri, j'ai vu qu'il était beaucoup question du temps de travail, mais le temps des femmes en situation de précarité est occupé par les temps de transports, les démarches administratives et la santé, notamment. Avant, un emploi permettait de sortir de la pauvreté et de sécuriser un parcours, en permettant la mobilité sociale, l'accès à un logement, aux droits, à la santé, etc., mais aujourd'hui, le travail est source d'insécurité. Actuellement, beaucoup de femmes ont des plannings à la semaine, par exemple dans le domaine de la distribution et des services à la personne, où il y a aussi du travail au noir : comment organiser sa vie familiale quand on ne connait pas son planning au-delà d'une semaine ? Une aide-comptable me disait par exemple récemment qu'elle avait espéré que son CDD serait transformé en CDI et qu'elle avait tout fait pour s'insérer dans une entreprise, mais que son contrat ne serait malheureusement pas renouvelé et qu'elle craignait de ce fait de ne pas pouvoir payer les frais de scolarité de son fils à la rentrée. Par ailleurs, les droits changent entre deux CDD, et comme ailleurs les aides à l'emploi sont concentrées sur les bas salaires, ces personnes sont souvent rémunérées au SMIC.
Sur les cent trente femmes que nous avons suivies, 12 % ne savent pas lire et un tiers ont au moins le baccalauréat et jusqu'à bac +5 – et lorsque l'on voit le type de postes auxquels elles accèdent ensuite, il y a clairement une déqualification : autrement dit, les femmes acceptent le premier emploi pour sortir de la misère, et cela nous inquiète beaucoup. Par ailleurs, de plus en plus d'employeurs proposent à des femmes de travailler avec le statut d'auto-entrepreneur. Autrement dit, il n'y a plus de garanties et, plus généralement, trouver en emploi n'est plus automatiquement synonyme d'amélioration des conditions de vie.
Par ailleurs, la réforme de la formation professionnelle n'est pas bénéfique pour nos publics qui ont besoin d'une formation, qui ne soit pas forcément qualifiante ou très spécialisée. Ainsi, la préparation aux concours d'aide-soignante et d'auxiliaire de puériculture n'est pas considérée comme une formation qualifiante et n'est pas prise en charge financièrement par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA).
Un mot également sur la réforme de l'économie sociale et solidaire, qui a favorisé les grosses structures alors que nous sommes une petite structure, et nous tenons à le rester. Il nous est ainsi souvent proposé de développer plusieurs chantiers d'insertion, alors que nous souhaitons n'en avoir qu'un seul.